Antonello de Messine
Peintre italien (Messine v. 1430 – id. 1479).
Formé en Sicile et à Naples, où il fut, selon le témoignage de l'érudit Summonte (1524), l'élève de Colantonio, Antonello est considéré comme le plus grand artiste de l'Italie méridionale du milieu du XVe s. D'après Vasari, il aurait effectué un voyage d'études en Flandres ; cette hypothèse, qui trouva crédit auprès de quelques auteurs, doit cependant être écartée.
Dans la première moitié du XVe s., Naples et la Sicile ont des rapports étroits avec les peintures espagnole et flamande ; la Sicile est une véritable province culturelle de la péninsule Ibérique, elle-même puissamment marquée par la sensibilité poétique des Flandres. Naples, passée sous la domination de la famille d'Aragon, est devenue un centre très brillant qui attire des artistes venus de toutes parts et où l'on peut admirer aussi bien des œuvres de Jan Van Eyck, de Petrus Christus, de Jacomart Baço ou de Juan Rexach que des tapisseries des Flandres ou du nord de la France, des miniatures, des peintures françaises et provençales.
Entre 1450 et 1463, Antonello séjourne à plusieurs reprises à Naples, et l'éventualité (fondée sur une interprétation erronée de certains documents) d'une rencontre avec Petrus Christus, à Milan, à cette époque, semble assez peu justifiée.
Les premières œuvres
Les premières œuvres d'Antonello sont le Saint Zosime (cathédrale de Syracuse), la Vierge lisant (ou Sainte Eulalie) (Venise, coll. Forti) et celle de la W. A. G. de Baltimore. Dans ces œuvres, des réminiscences de l'art du Valencien Jacomart Baço confirment l'importance des liens qui unissaient alors Valence et la Sicile. Cependant, la manière provençale avait introduit d'autres caractères, en particulier une solennité de la composition et une simplification des formes. La production artistique napolitaine de cette époque, bien que peu abondante, reflète en effet certains échos de l'art de Jean Fouquet et du Maître de l'Annonciation d'Aix (Barthélemy H d'Eyck), mêlés à des imitations plus littérales de la peinture flamande connue par des originaux de Van Eyck. Colantonio recueillit ces influences et les transmit à son brillant disciple. Enrichi par cet éclectisme pictural, Antonello assimila encore davantage l'art flamand, comme le prouvent en premier lieu les 2 panneaux du musée de Reggio de Calabre Abraham servi par les anges et Saint Jérôme en prière, puis, un peu plus tard, sa Crucifixion (musée de Bucarest). Son expérience napolitaine s'est nettement exprimée dans le polyptyque, auj. perdu, de S. Nicolò, pour lequel il s'inspira nettement du Retable de saint Vincent Ferrier à S. Pietro Martire à Naples, dû à Colantonio.
Antonello et la Renaissance toscane
En 1465, le Sauveur du monde (Londres, N. G.) prouve que la vision d'Antonello subit alors une nette métamorphose — tant du point de vue formel que du point de vue spirituel —, liée aux innovations toscanes. On peut noter dans cette œuvre la remarquable concrétisation de ce changement : un repentir modifia l'inclinaison des doigts de la main du Christ, non plus appuyés sur le thorax, mais traités en raccourci et dirigés vers le spectateur, qui se trouve désormais concerné et attiré dans le champ de ce nouvel espace pictural. Cette interprétation de l'espace est la marque d'une complète adhésion aux nouveautés les plus révolutionnaires de la Renaissance toscane, affirmée à Arezzo avec les chefs-d'œuvre de Piero della Francesca, dans lesquels la perspective donnait leur pleine valeur aux architectures et aux volumes. Il est difficile de déterminer à quel moment et de quelle manière se réalisa cette mutation artistique. Les documents siciliens ne mentionnent pas l'artiste entre 1465 et 1472 : il est possible qu'Antonello ait, à cette époque, effectué quelques séjours soit à Rome, soit à Milan ou à Venise et qu'il ait pu y connaître les expériences les plus avancées de la Renaissance aussi bien que des exemples directs de la peinture flamande. Lorsque l'on examine le Polyptyque de saint Grégoire (1473, musée de Messine), on remarque que la vision du peintre cristallise un tout autre ordre d'émotions : l'archaïsme analytique flamand des premières œuvres apparaît absorbé de nouveau dans une texture originale, fondée sur la connaissance des récents travaux d'analyses perspective et volumétrique des théoriciens toscans. C'est avec l'Ecce Homo (1470, Metropolitan Museum), dont le thème fut repris dans des peintures auj. à Gênes (G. N. di Palazzo Spinola), à Piacenza (1473, collège Alberoni), à Vienne (1474, autrefois coll. part.), pour aboutir plus tard à celui du Christ à la colonne (Louvre), et l'Annonciation de 1474 du Palazzolo Acreide (musée de Syracuse) que la Renaissance atteint son apogée dans l'Italie méridionale. Ces œuvres témoignent de la parfaite adhésion d'Antonello à l'art de Piero della Francesca. L'artiste possède alors la pleine maîtrise des formes et des valeurs spatiales ; il a également conscience de la lumière, qui, dans une luminosité diffuse, détermine les volumes. Très pure et irréelle dans sa clarté ivoirine, la Madone Benson (Washington, N. G.) constitue un exemple caractéristique où la parfaite soumission à la rigueur du style s'associe à un lyrisme d'expression qui donne à la scène des inflexions tendres et familières. Par rapport à la Vierge lisant (ou Sainte Rosalie) [Baltimore, W. A. G.] ou à la Madone Salting (Londres, N. G.), que l'on considère comme les toutes premières œuvres d'Antonello, la Madone Benson représente un aboutissement.
Antonello à Venise
En 1475-76, Antonello est à Venise et exécute quelques portraits célèbres : Portrait d'inconnu (Rome, Gal. Borghèse), le Condottiere (Louvre), Portrait Trivulzio (Turin, Museo Civico), qui, avec ceux déjà peints peut-être auparavant (Cefalu, musée ; Madrid, fondation Thyssen-Bornemisza ; New York, Metropolitan ; Londes, N. G.), font de lui le plus grand portraitiste italien de quattrocento avant Leonard. Il peint l'émouvante Pietà du musée Correr et des retables qui comptent parmi les réalisations les plus solennelles de la peinture du XVe s. : Saint Sébastien pour l'église S. Giuliano (Dresde, Gg) et la Madone avec des saints de S. Cassiano (fragments à Vienne, K. M.). Grande " Sainte conversation " inspirée par celle de Giovanni Bellini à San Giovannife Paolo (détruite), la perfection de toutes ces œuvres eut une influence décisive sur la peinture vénitienne de la fin du XVe s. Dans ses grandes réalisations, Antonello atteint à la pureté du rythme et des couleurs mises au service d'une large synthèse monumentale. Ses Crucifixions (1475, musée d'Anvers ; 1475 ou 1477, Londres, N. G.), tableaux de moindres dimensions, dénoncent au contraire une minutieuse objectivité descriptive, typiquement flamande. On peut rattacher à cette période son Saint Jérôme dans son cabinet de travail (Londres, N. G.), bien que certains auteurs considèrent cette peinture comme une œuvre de jeunesse.
La dernière période
De retour de Sicile à la fin de 1476, Antonello peint une nouvelle Vierge de l'Annonciation (musée de Palerme) ; la précédente (Munich, Alte Pin.) avait été exécutée à la même époque que le Polyptyque de saint Grégoire. Cette œuvre, suprême fruit de la dernière activité d'Antonello, est celle d'un artiste qui, étranger d'abord à la Renaissance, en fut l'un des promoteurs, tout en conservant une position d'indépendance absolue. Le génie d'Antonello n'eut que peu de répercussions en Sicile (bien que son fils Jacobello ait copié et sans doute terminé certaines de ses œuvres) et dans l'Italie méridionale, pauvres en véritables artistes créateurs. C'est au contraire à Venise qu'Antonello exerça une influence profonde et que la richesse de son œuvre ouvrit des perspectives déterminantes pour les grands peintres de la nouvelle génération, en particulier Montegna et Carpaccio.