Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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Léonard de Vinci

Peintre italien (Vinci, près de Florence, 1452  – Amboise 1519).

Par son œuvre picturale, mais aussi par l'universalité de ses intérêts (allant de l'architecture à la musique, de l'hydraulique et de la géologie à l'anatomie et à la botanique) et le caractère précurseur de bien de ses intuitions géniales, Léonard est devenu le symbole et le mythe du génie de la Renaissance italienne : il marque en effet le point extrême du passage de l'art encore quattrocentesque des Pollaiolo et de Botticelli à celui, pleinement renaissant, qu'illustrent Fra Bartolomeo et Raphaël dès le début du XVIe s. On divise habituellement sa carrière en quatre périodes principales : 1452-1481, période de formation à Florence ; 1482-1500, première période milanaise ; 1500-1516, maturité ; 1517-1519, vieillesse et mort en France.

La formation

Léonard fit son apprentissage à Florence, où il est documenté dès 1469, dans l'atelier d'Andrea del Verrocchio, à côté d'artistes comme Botticelli, Pérugin, Domenico Ghirlandaio, Cosimo Rosselli, Filippino Lippi. Dans les œuvres attribuées à ses années de jeunesse (Madone Ruskin, Sheffield, Art Gal. ; l'ange du Baptême du Christ, de Verrocchio, Offices ; le Portrait de Ginevra Benci [ ?], Washington, N. G. ; dessin d'un Paysage de 1473, Offices), il se montre bien, en effet, héritier et continuateur de la tradition plastique et graphique des Florentins Pollaiolo, Verrocchio, Desiderio da Settignano, et imprégné de cette ambiance hautement culturelle de la Florence de Laurent le Magnifique et de Marsile Ficin.

   De cette époque inquiète, il donne une interprétation d'une rare acuité, due peut-être aux résonances qu'elle put éveiller dans sa sensibilité d'enfant illégitime (né d'un bourgeois, le notaire " ser Piero ", et d'une paysanne, une certaine Caterina). Cette condition particulière le sépare de la vie et de la culture des classes supérieures, dont il reste proche cependant et auxquelles il est mêlé de façon indirecte.

   De là, sans doute, sa lutte pour faire admettre l'égalité de la peinture (considérée par tradition " art mécanique ") et de la poésie, et obtenir ainsi pour le peintre le " statut d'art libéral " ; de là son effort incessant pour s'assimiler une culture supérieure (peu instruit en latin, il se considérait " un homme sans lettres " par rapport aux humanistes de son temps) ; de là, sans doute, son style même de vie (tenant tout à la fois du " mage " et du " courtisan "), nettement différent de celui qui était habituel à sa classe.

   De ses multiples aspirations, de ses ambitions littéraires et philosophiques, de ses curiosités techniques et scientifiques, qu'il maintiendra sa vie durant, témoignent les nombreuses feuilles, artistiquement parfaites, de ses codex. Cette période florentine se conclut par l'Adoration des mages (1481-82), destinée à l'église S. Donato, à Scopeto (aujourd'hui aux Offices), dont le style et le sujet apparaissent profondément renouvelés par la recherche d'une expression dramatique fondée sur la mimique et le mouvement. Mais celle-ci est cependant respectueuse de l'équilibre général de la composition, qu'assure un jeu de symétries subtiles. L'œuvre resta inachevée du fait du départ de Léonard, qui est appelé à Milan par le duc Ludovic le More (1482).

Premier séjour à Milan

Durant ce premier séjour à Milan, la peinture de Léonard s'enrichit des apports de l'art local, attentif par tradition aux phénomènes naturels de la lumière et qui, tardivement, assimilait (grâce à l'architecte Bramante) la grande leçon de perspective apportée par la Renaissance.

   Vasari rappelle l'amitié du peintre et de Bernardino Zenale, dont la culture complexe a été récemment très bien étudiée ; et si les apports du premier au style de Zenale sont certains, il est aussi très probable que, sous l'influence du maître de Trévise, Léonard dut méditer plus à fond les problèmes du clair-obscur et de la perspective aérienne. C'est ce que l'on peut déduire en tout cas de l'examen des chefs-d'œuvre de cette époque milanaise : la Vierge aux rochers (Louvre ; Londres, N. G.) et la Cène (1497, Milan, S. Maria delle Grazie). L'état de conservation désastreux de cette fresque (dû en partie à la funeste technique expérimentale de Vinci) n'empêche pas d'apprécier les morceaux de nature morte " naturelle " répartis sur la nappe (assez insolites chez un Florentin) et la construction de la perspective centrale, savamment exaltée par le contraste des ombres et des lumières. Il est évident que, si, dans le groupement ternaire des apôtres, l'artiste poursuit les recherches d'expressions physionomiques, de gestes et de mouvements déjà entreprises dans l'Adoration des mages, et celles d'équilibre ramassé de la Vierge aux rochers, il organise aussi l'ensemble de la composition sur une structure de perspectives indiquées par l'éclairage, car l'impression de profondeur que donne la fresque est accentuée — comme l'avait observé Mengs — tant par la situation en premier plan des protagonistes que par deux séries de gradations des ombres et des lumières, l'une allant de l'éclairage maximal de la nappe à la pénombre du mur de fond, l'autre s'intensifiant progressivement à travers le paysage pour aboutir à la luminosité absolue du ciel. De ce qui dans l'esprit de l'artiste aurait dû être son œuvre capitale à Milan — le gigantesque Monument équestre à Francesco Sforza (7,20 m, v. 1490), père de Ludovic le More — ne restent que quelques dessins splendides (Windsor Castle). Après la chute de Ludovic le More (1499) et la conquête par Louis XII du duché de Milan, le modèle de la statue (grandeur nature) servit de cible aux hallebardiers du roi de France et fut ensuite complètement détruit.

   Pour éviter les désordres consécutifs à la conquête, Léonard quitte Milan. Il se rend d'abord à Mantoue, où il exécute un portrait d'Isabella d'Este (carton au Louvre, 1500), puis à Venise et à Florence. Il reste ensuite un an (1502) en Romagne, comme architecte militaire de Cesare Borgia. Mais, revenu à Florence en 1503, il entreprend le carton pour la Bataille d'Anghiari, qui aurait dû faire pendant, au Palazzo Vecchio, à la Bataille de Cascina de Michel-Ange. L'œuvre ne sera jamais terminée, et le carton (fini en 1505) sera détruit plus tard. Nous pouvons cependant en avoir une idée par des copies partielles (copie par Rubens, Louvre) et des dessins préparatoires (musée de Budapest ; Venise, Accademia ; British Museum ; Windsor Castle). Dans l'épisode central, ou Conquête de l'étendard, Léonard déploie toute sa science de l'anatomie de l'homme et du cheval, des raccourcis et de la composition, et son habileté à rendre les mouvements les plus impétueux comme les plus violentes passions. Nous ne pouvons savoir aujourd'hui l'importance qu'auraient prise les détails d'" atmosphère " que sembleraient suggérer certaines esquisses autographes, et surtout la description écrite qu'en a faite Vinci lui-même dans un de ses célèbres recueils d'annotations. C'est probablement à cette époque qu'il peignit le portrait de Monna Lisa, femme de Francesco del Giocondo, la célèbre Joconde (Louvre).

Second séjour à Milan

En 1506, Léonard revient à Milan, cette fois au service de Charles II de Chaumont, maréchal d'Amboise, nommé par Louis XII gouverneur du duché de Milan. On suppose qu'il put alors travailler à la seconde version de la Vierge aux rochers (Londres, N. G.). En septembre 1507, des différends avec ses frères au sujet de la succession de leur oncle Francesco le ramènent à Florence, où il vécut pendant six mois chez Piero Martelli en même temps que le sculpteur Francesco Rustici, qui exécutait alors le groupe en marbre du Baptême du Christ pour le baptistère de Florence. En juillet 1508, Vinci rentre à Milan, où il restera jusqu'en septembre 1513 ; pendant ces cinq années, il se serait surtout consacré à des études de géologie, tout en préparant le projet du Monument équestre à Gian Giacomo Trivulzio (dessins à Windsor Castle) et en poursuivant l'exécution de la Vierge, l'Enfant Jésus et sainte Anne, tableau pour lequel il a déjà dessiné un carton préparatoire v. 1500 (Londres, N. G.) et qu'il gardera chez lui, sans complètement l'achever, jusqu'à sa mort (Louvre). Le 24 septembre 1513, Léonard quitte Milan avec ses élèves Melzi, Salaï, s'arrête à Florence en octobre, et, le 1er décembre, il arrive à Rome pour entrer au service de Giuliano de'Medici, frère du pape Léon X, qui le loge au belvédère du Vatican. Sous la protection du " Magnifico Giuliano ", passionné de philosophie et d'alchimie, il peut se consacrer à des études techniques et scientifiques.