Velázquez (Diego de Silva) (suite)
Le second voyage d'Italie
De Malaga, Velázquez s'embarque vers Gênes, retourne à Venise et, par Modène, Parme et Florence, gagne Rome : il y sélectionne les antiques à copier, commande des sculptures à Finelli et y rencontre un véritable succès comme portraitiste : du portrait de son esclave Juan de Pareja (Metropolitan Museum, New York) à celui du pape Innocent X (Galeria Doria Pamphili, Rome) et à ceux de Mgr Camillo Massimi (Kingston Lacy, The National Trust) et du cardinal Camillo Astalli (Hispanic Society, New York). Nommé académicien de Saint-Luc, il réalise les deux vues de la Villa Médicis (Prado), paysage réel où prime le jeu de lumière.
Il faut un ordre du roi pour rappeler à Madrid le peintre — qui a eu un petit garçon d'une femme inconnue. Est-ce là, ou en Espagne, v. 1648, qu'il peint la Vénus au miroir (Londres Nat. Gallery), nu délicatement sensuel qui appartenait au marquis de Heliche en 1651 ?
Le grand maréchal du palais
Son retour à Madrid ouvre une phase nouvelle de sa carrière. Nommé Aposentador Mayor de Palacio en 1652, Velázquez assume avec conscience des charges administratives parfois lourdes ; il conçoit notamment l'accrochage des peintures de la collection royale dans les sacristies de l'Escorial. La faveur royale lui vaudra en 1659, après l'interminable enquête sur la " pureté " du sang et l'absence d'activités mercantiles, l'habit de chevalier de Saint-Jacques : honneur rare pour un peintre. Velázquez n'en profite que quelques mois. Au printemps suivant, le mariage de l'infante Marie-Thérèse avec Louis XIV lui impose un voyage fatigant à la frontière d'Irun pour y préparer le logement de la Cour et l'entrevue des deux souverains. Velázquez revient en juin après les fêtes, épuisé ; atteint d'une fièvre violente, il meurt après quelques jours de maladie le 7 août 1660. Sa femme ne lui survit qu'une semaine.
Peu nombreuses, les œuvres de ces dernières années marquent un renouvellement des thèmes et du style : la jeune reine et les enfants qui naissent du mariage royal y tiennent une place prépondérante. Velázquez traite les images de ces créatures frêles et un peu inexpressives, figées dans leurs atours, comme des " harmonies " colorées : les roses pâles et les gris d'argent des parures se marient aux carmins des rideaux, aux ors assourdis des consoles et des glaces. Il substitue aux contours arrêtés un jeu de taches vibrantes qui nuance, modèle, fait miroiter les formes : de là cet aspect " magique " d'un monde clos où tout est suggéré plutôt qu'exprimé, où les objets et leurs reflets se fondent ; de là l'exceptionnelle séduction de certains portraits du Prado (la Reine Marianne, l'Infante Marguerite-Marie en rose) et de ceux qui furent envoyés à la branche autrichienne des Habsbourg, qui ont passé au K.M. de Vienne (3 portraits de l'Infante Marguerite, Infant Philippe Prosper).
Deux grandes toiles forment comme la synthèse de ces recherches : les Menines, 1656 (Prado), évoquent la vie quotidienne de la famille royale autour de la petite infante, de ses demoiselles d'honneur et de ses nains familiers ; les Fileuses (Prado), qui semblent un peu plus récentes, transportent le mythe de la jeune Lydienne Arachné (la trop habile fileuse persécutée et métamorphosée en araignée par Athéna pour avoir osé la défier dans l'art de tisser et de broder) dans l'atelier royal de S. Barbara, et sous la forme d'une tapisserie, tandis que les ouvrières travaillent au premier plan : le réel et le mythe se fondent en tons amortis et rompus qui ont la douceur d'une tapisserie. Ce dernier Velázquez, dont l'univers poétique, un peu mystérieux, a pour notre temps une séduction majeure, anticipe sur l'art impressionniste de Monet et de Whistler, alors que leurs prédécesseurs immédiats voyaient en lui le réaliste épique et lumineux, celui qui " faisait tomber les écailles des yeux " et qu'à Madrid Manet proclamait le " peintre des peintres ". Une importante rétrospective a été consacrée à Veĺazquez (Madrid, Prado) en 1990.