Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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Rigaud (Hyacinthe Rigau y Ros, dit Hyacinthe)

Peintre français (Perpignan 1659  – Paris 1743).

Parti pour Montpellier dès l'âge de quatorze ans, le jeune Rigaud travaille dans l'atelier de P. Pezet, puis dans celui d'Antoine Ranc, qui lui révèle l'art de Van Dyck. Il se rend à Lyon à dix-huit ans et arrive en 1681 à Paris, où il devient élève de l'Académie royale et obtient rapidement, en 1682, le premier prix de peinture avec Caïn bâtissant la ville d'Enoch. Il renonce, sur le conseil de Le Brun, dit-on, au séjour à Rome, pour se consacrer entièrement à l'art du portrait ; il travaille alors avec François de Troy et Nicolas de Largillière. Il se fait rapidement une solide réputation dans ce domaine. C'est pourtant encore avec un tableau d'histoire, une Crucifixion, qu'il est, en 1684, agréé à l'Académie. Il sera reçu académicien en 1700 avec 2 Portraits du sculpteur Desjardins (l'un au Louvre, peint en 1692) et gravira dès lors tous les échelons de la carrière académique, jusqu'à devenir, en 1733, directeur de l'Académie. Sa clientèle s'accroît vite : bourgeois, banquiers ou financiers. Sa renommée devient éclatante lorsqu'il peint, en 1688, le portrait de Monsieur, frère de Louis XIV, et, l'année suivante, celui de son fils Philippe d'Orléans, le futur Régent. Le roi lui-même désire poser pour le peintre : portrait en armure du Prado (1694), portrait en costume de sacre du Louvre, tableau resté le plus célèbre de Rigaud et véritable emblème de la monarchie française, peint en 1701, peu après le Portrait de Philippe V d'Espagne (1700, auj. à Versailles), unanimement admiré. L'artiste donnera ensuite de brillants portraits officiels du petit Louis XV (1717, id.) et du même souverain un peu plus tard (1730, id.). Sa carrière, qui se déroula sur quelque soixante années, fut glorieuse et féconde ; il n'est guère de personnage important, à la Cour ou à la ville, qui, à la fin du règne de Louis XIV, sous la Régence ou au début du règne de Louis XV, ne soit passé dans son atelier. La production de l'artiste se monte à environ 400 tableaux : Rigaud tenait un " Livre de raison ", heureusement conservé (bibliothèque de l'Institut), qui aide l'historien à identifier les modèles et à dater les œuvres. Sa clientèle devient vite européenne : Portrait du roi Auguste III (Dresde, Gg), Portrait du comte Sinzendorf (Vienne, K. M.). Les graveurs (Edelinck, Drevet) diffusent largement les effigies de Rigaud. Souvent le peintre, surchargé de commandes, a recours à des collaborateurs pour l'aider dans l'exécution des parties secondaires de ses vastes portraits : ainsi le Portrait de Bossuet (Louvre), peint en 1702 avec la collaboration de Sevin de La Penaye ; d'autres fois, il confie un morceau à tel de ses grands contemporains, par exemple Joseph Parrocel, qui brosse le fond de bataille de son Portrait du duc de Bourgogne (1704, Versailles).

   Rigaud est à l'aise dans les portraits éclatants et somptueux, ambitieusement mis en scène, dont il s'est fait une spécialité : Portrait de J. A. Morsztyn et de sa fille (1693, musée de Cherbourg), le Maréchal Charles-Auguste de Matignon (1708, musée de Karlsruhe), Pierre Cardin Le Bret et son fils (Melbourne, N.G.), Pierre Drevet (musée de Lyon), le Président Hébert (Washington, N. G.), le Cardinal de Bouillon (1708, musée de Perpignan), le Cardinal Dubois (1723, musée de Cleveland), Noël Bouton, marquis de Chamilly (Pasadena, Norton Simon Foundation), le Cardinal Fleury (musée de Budapest), le Financier Pâris l'Aîné (1724, Londres, N. G.). Certaines toiles atteignent au chef-d'œuvre dans l'emphase décorative et le pittoresque somptueux, comme le Portrait du marquis de Dangeau (1702, Versailles), dans son théâtral manteau de grand maître de l'ordre de Saint-Lazare, ou le cocasse Portrait de Gaspard de Gueidan jouant de la cornemuse (1735, musée d'Aix-en-Provence), tout orné et chamarré. Mais un Rigaud plus détendu, davangage " peintre " et par là plus proche de nous se révèle parfois : avec le Portrait de Marie Serre (1695, Louvre), étonnant double portrait de la mère de l'artiste, vue de profil et de trois quarts, conçu de cette sorte pour servir de modèle à un buste de marbre de Coysevox, Rigaud livre une œuvre sobre et strictement dépouillée, d'une fine pénétration psychologique, d'un caractère " intime " tout à fait exceptionnel.

   D'autres esquisses montrent un artiste inattendu : Étude de tête d'un jeune Noir (Dunkerque, musée), Tête d'homme (Paris, musée Carnavalet), le Marquis de Villars (Toledo, Ohio, Museum of Art), Coysevox (musée de Dijon) ou les Esquisses de cuirasse (musée de Bordeaux) et l'Étude de mains et de fleurs (musée de Rouen). Rigaud s'affirme par ailleurs dessinateur raffiné, avec de très fines études de mains ou de draperies sur papier bleu (San Francisco, California Palace of the Legion of Honour ; musée de Besançon ; Cologne, W. R. M.). Les portraits de famille de l'artiste, souvent à mi-corps, peuvent revêtir un aspect détendu, dépourvu de solennité : Portrait de Laffite [son beau-frère], de sa femme et de sa fille (vers 1694, Louvre), librement brossé dans des tons rose et ardoise ; ils apparaissent d'autres fois plus officiel et " posés ". la Famille Léonard (1693, Louvre) ou la Famille Le Juge (1699, Ottawa, N. G.), somptueusement organisées et enrichies d'accessoires pittoresques, fruits, fleurs ou animaux. Rigaud peint parfois des portraits rétrospectifs : ainsi le curieux double portrait de Charles Le Brun et Pierre Mignard, premiers peintres du roi (1730, Louvre). La petite Présentation au Temple du Louvre (1743), scintillante d'étoffes qui luisent dans la pénombre, offre un témoin exceptionnel de l'influence de Rembrandt et surtout de Gerrit Dou, dont le peintre collectionnait les œuvres ; Rigaud la légua à Louis XV.

   La manière ample et vigoureuse, la mise en page brillante, la noblesse des attitudes des modèles, le sens du faste et de l'éclat, toutes qualités servies par un métier pictural consommé, expliquent le succès des portraits de Rigaud. Virtuose des tissus, le peintre affectionne les draperies froissées et brillantes, les rideaux chatoyants dans de forts contrastes de lumière et d'ombre qui révèlent le velours, la soie ou la dentelle. Ses portraits, surtout masculins, orchestrent ces éléments somptueux et variés autour d'un visage à la fois aimable et hautain, souvent mi-souriant, à l'expression fine et lointaine. La célébrité même de ses modèles, l'emphase versaillaise de beaucoup de ses toiles ont pu faire sous-évaluer Rigaud, en réalité créateur d'un art tout original, celui du portrait d'apparat, qui devait se répandre dans les cours européennes dans la première moitié du XVIIIe s. Ce type de portrait dont Philippe V et le Louis XIV offrent les plus typiques exemples, doit beaucoup aux œuvres génoises et anglaises de Van Dyck, peut-être à l'art florentin du XVIe s. et certainement à Pourbus et à Philippe de Champaigne. Mais l'apport de Rigaud reste essentiel, et son rôle est capital dans l'histoire du portrait français.