Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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Perronneau (Jean-Baptiste)

Peintre français (Paris 1715  – Amsterdam 1783).

Jusqu'en 1744, il semble surtout graver d'après Boucher ou Natoire (les Quatre Éléments, en collaboration avec Aveline), dont il est probablement l'élève avant de passer dans l'atelier de Laurent Cars. Il exécuta le portrait de celui-ci (1750, Ann Arbor University of Michigan, Museum of Art ; autre version au pastel au Louvre) ; c'est durant ces années qu'il fait la connaissance à Orléans, où il se rend plusieurs fois après 1744, de Desfriches, qui lui obtiendra plusieurs commandes de portraits. Ses premières œuvres sont fortement marquées par l'influence de Nattier : la Petite Fille au chat (pastel, 1743, Londres, N. G.) et l'un de ses chefs-d'œuvre, Madame de Sorquainville (1749, Louvre), dont la mise en page rappelle celle de la Marie Leszczyńska de Nattier (Versailles), exposée au Salon l'année précédente. En 1753, Perronneau est reçu à l'Académie avec les portraits peints d'Adam l'Aîné et de J.-B. Oudry (Louvre). C'est le large usage qu'il fait de la technique du pastel qui autorise déjà ses contemporains à le comparer à La Tour : comme celles de son émule, les effigies de Perronneau (rarement des portraits en pied) sont des représentations en buste, vues de trois quarts, sur un fond neutre avec un minimum d'accessoires, et dont l'intention semble avant tout esthétique et non descriptive : Le Normant du Coudray (1766, Paris, musée Cognacq-Jay). Cependant, à la différence de La Tour, Perronneau mène une existence difficile. Il n'obtient jamais au Louvre le logement qu'il réclame à plusieurs reprises, et doit se contenter d'une clientèle bourgeoise, essentiellement provinciale ou étrangère : Daniel Jousse (musée d'Orléans), Mademoiselle Courrégeoles (1768, musée de Bordeaux) ; cela explique, en partie, l'interminable randonnée que constitue sa carrière à travers l'Europe : voyages en Hollande (1754, 1755, 1761, 1771, 1772, 1780, 1783), en Italie (1759), en Angleterre (1761), en Russie (1781) et en Pologne (1782).

   L'œuvre de Perronneau est tournée vers l'étude psychologique tout autant que celle de La Tour ; mais une technique moins fondue et la juxtaposition sur les visages de coloris parfois heurtés (qui rappelle singulièrement l'art des portraitistes anglais contemporains) lui confèrent l'accent d'une vérité plus rude. L'aspect un peu cru des figures explique la réticence de la clientèle de la Cour et a forcé Perronneau à choisir surtout des modèles masculins, qui restent le meilleur de son œuvre : Abraham Van Robais (1767, Louvre) ; là, Perronneau se rapproche davantage de Chardin, avec un sentiment d'intimité, une utilisation du clair-obscur et des reflets entre les différentes masses colorées qui font de lui un coloriste plus brillant que La Tour.

   Il est principalement représenté au Louvre, au musée d'Orléans (belle série), à Boston (M. F. A.), à Chicago (Art Inst.), à Detroit (Inst. of Arts), à l'Ermitage (l'Enfant au livre), à Copenhague (S. M. f. K.), au musée de Genève, au Rijksmuseum, au musée de Tours, au musée de Saint-Quentin (Maurice Quentin de La Tour).

perspective

Science géométrique qui se propose de construire les formes et de déterminer les proportions relatives des éléments composant un spectacle réel ou imaginaire considéré d'un point fixe.

   Dans l'étude de la peinture, le mot perspective s'emploie d'une manière plus générale à propos de tous les procédés empiriques ou conventionnels en rapport avec le problème de la transposition sur un plan d'espace à 3 dimensions. Ce problème se trouve en particulier posé toutes les fois que la peinture se veut figurative tout en faisant intervenir la notion de point de vue. Autrement dit, la perspective a partie liée avec ce qu'on peut continuer à appeler le " réalisme visuel ", par opposition au " réalisme intellectuel " (ou plus exactement " conceptuel "), qui s'intéresse à ce que l'on sait des objets et de l'espace plutôt qu'à ce que l'on en voit.

   Constater cette relation avec le monde tel qu'il apparaît à nos yeux ne doit pas conduire à confondre la perspective avec l'ensemble des phénomènes de la perception visuelle si passionnément étudiés par Léonard de Vinci, et qui sont assez bien connus maintenant grâce aux nombreux travaux d'ordre scientifique et philosophique entrepris depuis le début de ce siècle sur la perception en général.

   La perspective se distingue également du geste graphique, même lorsque celui-ci s'effectue sous l'influence directe ou indirecte d'objets dont on cherche à restituer l'apparence. Plutôt que son aspect sensible, la perspective représente en effet essentiellement le côté rationnel du réalisme visuel.

La perspective géométrique classique

La perspective, pour un esprit occidental, est avant tout la perspective classique, et c'est le plus souvent par rapport à elle que les autres perspectives sont appréciées. Il n'est donc pas inutile de rappeler tout d'abord, tels qu'ils nous sont parvenus, les principes fondamentaux sur lesquels repose cette discipline.

   Plaçons-nous devant un spectacle quelconque, et regardons-le attentivement. Nous recevons des sensations lumineuses et, grâce à des habitudes prises depuis l'enfance, nous distinguons un certain nombre d'objets situés dans un champ qui ne nous semble pas limité (le champ visuel est en réalité limité mais nous n'y prêtons pas attention ; les ophtalmologistes disposent d'un appareil spécial pour le mesurer). Si, redoublant d'attention, nous considérons les objets de forme géométrique, nous nous apercevons qu'ils sont formés de lignes verticales, horizontales et obliques, mais il sera très difficile de comprendre à quelle logique répond leur agencement, et nous serons sans cesse amenés à modifier nos appréciations soumises à de multiples illusions.

   Regardons maintenant le même spectacle à travers une surface transparente, réelle ou virtuelle, appelée tableau. Du même coup, nous passons du domaine de ce qu'on appelait au Moyen-Âge la perspective " naturelle " (l'" optique " des Anciens et de Vinci), et disons d'une manière plus générale du domaine de la perception, à la perspective " artificielle ", c'est-à-dire à un ensemble de données à partir desquelles il va être possible de construire un espace objectif ou du moins recherché comme tel. Le champ visuel, qui prend alors le nom de champ pictural, peut cette fois, artificiellement en effet, être délimité par un rectangle situé sur le tableau, ces deux notions pouvant pratiquement être confondues. Le regard — qui ne tient compte ici que d'un seul œil, ou, ce qui revient presque au même, d'une vision binoculaire réduite par le cerveau à un point de vue fixe — peut être figuré par une pyramide, dite " pyramide visuelle ". La hauteur de cette pyramide, ligne virtuelle issue du sommet (le point de vue) et perpendiculaire au plan du tableau, est appelée rayon visuel principal. La ligne horizontale, virtuelle également, observable toutefois au bord de la mer et qui est perpendiculaire au rayon visuel sur le tableau, est la ligne d'horizon. Le point de rencontre du rayon visuel principal avec la ligne d'horizon est le point de fuite principal. Les points de distance sont déterminés par le rabattement sur la ligne d'horizon, de part et d'autre du point de fuite principal, de la distance qui sépare celui-ci du point de vue, c'est-à-dire de la longueur du rayon visuel principal. Le bord inférieur du tableau est dit " ligne de terre ".

   Dès lors qu'il s'agit de perspective centrale, c'est-à-dire que le point de vue est situé à une distance finie du tableau (par opposition à l'axonométrie, où le point de vue est rejeté à l'infini), toutes les lignes qui ne sont pas parallèles au plan du tableau sont fuyantes. Seules les lignes contenues dans les plans passant par le rayon visuel principal (donc le point de fuite principal) ne sont pas fuyantes, même si elles ne sont pas parallèles au tableau.

   Le nombre des points de fuite possibles est infini. Ceux qui jouent dans les constructions perpectives le rôle le plus important sont le point de fuite principal, où convergent toutes les lignes parallèles au rayon visuel principal, et les points de distance, où convergent les obliques qui forment sur le plan horizontal un angle de 45° avec la ligne de terre. Le choix de la distance est évidemment le facteur qui influe le plus sur les déformations que la mise en perspective fera subir aux objets. Ces déformations sont particulièrement sensibles lorsque la distance est courte. Ces quelques notions relativement simples, mais qui peuvent donner lieu dans leurs applications à des constructions très compliquées, passent souvent pour être les fondements d'une méthode mise au point une fois pour toutes pour reproduire la réalité. Nous savons maintenant qu'il s'agit bien plutôt du reflet stéréotypé des expériences passionnées qui ont amené les esprits du quattrocento à créer un espace très nouveau pour l'époque et riche d'immenses possibilités, mais en soi aussi discutable qu'un autre.

   La perspective classique correspond certes à un niveau intellectuel en deçà duquel le point de vue propre ne peut être distingué des autres, et il est vrai que sa pratique, surtout si le sujet est quelque peu complexe, peut constituer une sorte de prouesse technique. Mais il est aisé de noter des résistances à cette perspective dans des cas où il ne peut être question d'invoquer l'arriération mentale, et il est tout spécialement utile de rappeler ici que le savoir est d'une importance secondaire en regard des intentions qui sont à l'origine de la création artistique.

   Le seul moyen de saisir véritablement la perspective dans son ensemble, c'est donc de chercher à savoir comment elle s'est formée et comment elle a évolué, en relevant à travers l'histoire de la peinture certaines de ses manifestations les plus caractéristiques.