théâtre et peinture (suite)
L'époque néo-classique
Les fouilles d'Herculanum et de Pompéi ne furent qu'un des ferments du néo-classicisme, qui, en vérité, désigne une période plutôt qu'un style, tant ses aspects sont parfois contradictoires. Les Bibbiena, déjà, avaient été admirateurs de l'Antiquité à travers Palladio. Pannini répandait par ses œuvres le goût des ruines romaines, et Piranèse y mêlait les styles étrusque et égyptien. À Rome, dès les années 1740, théoriciens et artistes de tous pays se rencontraient dans une commune ferveur envers l'antique. Les Italiens furent appelés dans toute l'Europe comme spécialistes de décors de théâtre, et Français, Anglais, Allemands revinrent dans leur pays chargés d'une moisson d'études. Mais le néo-classicisme ne se réduit pas à l'archéologie. Les Carceri de Piranèse, pour ne citer que lui, qui d'ailleurs ne fut point décorateur de théâtre, sont l'œuvre d'un visionnaire. Par beaucoup de ses aspects et au théâtre surtout, qui fait d'abord appel à l'imagination, le goût des ruines est préromantique. Grottes et rochers, torrents et tempêtes figuraient déjà à la scène au XVIIe s. et, au XVIIIe s., dans les peintures de Joseph Vernet. Les architectures imaginaires des décorateurs de théâtre néo-classiques ne sont pas si différentes de celles d'un Bibbiena, auxquelles elles se relient à travers Palladio. Cependant, les décors pastoraux – fermes et campagnes paisibles –, chers aux âmes sensibles, comme, au même moment, les tableaux de Greuze, se multiplient et révèlent le retour à la nature. L'âge néo-classique se prolonge bien après la fin du siècle, mais peu à peu les caractères romantiques du théâtre vont fortement s'accentuer aux dépens de l'antiquomanie. Il est admis, en effet, que la période néo-classique s'achève vers 1820-1830, dates bien arbitraires et que l'étude des œuvres dément souvent.
Giuseppe Piermarini, l'un des principaux architectes néo-classiques, très actif en Lombardie, construit en 1776-1778 le théâtre de la Scala. C'est alors à Milan que Paolo Landriani, théoricien, Giacomo Quarenghi et Pietro Gonzaga seront les véritables créateurs du décor néo-classique. À Milan, en 1775, le second dessine un souterrain à colonnes doriques et une grotte pittoresque. Au temps de la république Cisalpine, Appiani donne les modèles d'autres décors et peint les rideaux de scène de la Scala et du théâtre de la villa de Monza. Avec Giovanni Perego, Alessandro Sanquirico est aussi un adepte du néo-classicisme et, en 1827, donne à la Scala pour l'Ultimo giorno di Pompeia un décor montrant une immense salle voûtée qui s'ouvre sur une vue de la ville en flammes. En 1831, le temple antique qu'il peint pour Norma est encore un décor archéologique. À Turin, Fabrizio Galliari donne, en 1773, un atrium du palais de Didon, son fils Giuseppino, en 1792, une tente d'Annibal, Gaspare Galliari, enfin, un décor où des arches gothiques reposent sur des colonnes classiques ainsi qu'un autre figurant une chambre rustique.
L'innombrable famille des Quaglio se répand en Europe centrale. Lorenzo, dont le père était dessinateur de théâtre à Vienne, crée des décors pour l'Électeur palatin à Mannheim et à Schwetzingen, puis à Munich. D'abord émule de Bibbiena, il abandonne bientôt le décor baroque pour le plus strict classicisme français. Ses descendants continueront jusqu'en 1878 à mettre leurs talents à la disposition de l'Opéra de Munich.
Les Gaspari sont actifs dans la même ville où Giovanni-Paolo donne en 1763, pour Artaxerxès, au théâtre de la Résidence, un temple du Soleil et aussi en Bohême. Un Sacchetti, architecte et peintre de décors, quitte Venise pour Vienne, Prague et Brno. C'est un admirateur de Bibbiena, dont il prolonge l'esprit baroque, mais aussi du rococo vénitien. Il trouve le moyen de déployer sa fantaisie dans des décors exotiques, qui, jusqu'à sa mort, en 1830, vont l'amener à étudier l'architecture des pays les plus lointains.
Tous les Français qui, revenant de Rome à Paris pendant la seconde moitié du XVIIIe s., vont consacrer une part de leur activité à la décoration théâtrale sont des architectes de talent ou des peintres d'architecture. Michel-Ange Challe, qui a commencé par étudier l'architecture, est prix de Rome de peinture. Il succède en 1764 à Michel-Ange Slodtz aux « Menus ». Bibbiena, Juvarra, Piranèse sont ses modèles. Comme eux, Challe est un visionnaire qui élève, sur le papier, de prodigieuses constructions et fait grand usage des ordres antiques. Certains de ces dessins peuvent être des études libres en vue de décors de théâtre. Pierre-Adrien Pâris succède à Challe en 1778. Il léguera ses dessins à la bibliothèque de Besançon. C'est un architecte auquel son séjour à Rome a donné le goût de l'archéologie et des reconstitutions historiques. Pour Numitor, joué à Fontainebleau en 1783, il dessine un décor de salles basses et voûtées aux lourdes colonnes doriques, que l'on retrouve dans Pénélope et Calypso, où la caverne de Prométhée et la grotte des nymphes sont d'allure très romantique. Mais P.A. Pâris crée aussi des décors de grottes naturelles et de jardins aux hautes frondaisons qui évoquent les dessins de Fragonard à la Villa d'Este, ainsi que de salles turques. Pour le Droit du seigneur, il élève un ravissant petit hôtel dans le goût de celui que Ledoux fit pour la Guimard. Architecte de la nouvelle Comédie-Française, Charles de Wailly avait peint des décors sous Servandoni. La vaste salle du trône dont un Bélanger, architecte de talent, aurait donné le modèle, en 1776, pour l'Alceste de Gluck (musée de l'Opéra) n'est qu'un grand décor symétrique de colonnes classiques. Pour un décor de Dardanus, en 1760, un Demachy, peintre d'architecture et professeur de perspective, s'inspire directement des Carceri de Piranèse.
C'est vers la fin du règne de Louis XV que les sujets d'histoire médiévale et moderne apparaissent dans la peinture. Les mêmes préoccupations d'exactitude historique et de couleur locale sont exigées au théâtre par Voltaire. La « gothicomanie » remonte à 1765. Dès 1750-1755, le même effort est entrepris en faveur du costume historique par la Clairon et par Le Kain, avant de l'être par Talma. Mais, à dire vrai, cette authenticité reste approximative, qu'il s'agisse des décors ou des costumes chinois, turcs ou incas.
Appelé en Suède par Gustave III, le Français Louis Desprez crée pour le théâtre du château de Drottningholm des décors classiques de lignes, mais d'effet romantique à la lueur des chandelles, décors qui y sont encore conservés avec les gros rouleaux peints de vagues et la machinerie intacte. Ainsi peut-on y donner quelques spectacles chaque année, avec l'illusion du temps retrouvé. C'est aussi un Français, Philippe de Loutherbourg, qui donne à Londres en 1785, pour Omaï, qui se passe au Kamchatka, un décor de hutte monumentale et les costumes correspondants. Les Anglais subissent alors l'influence de Robert Adam, et les Écossais plus encore, parmi lesquels Nasmyth est le décorateur qui, en 1819, dessinera des décors pour Walter Scott, évidemment dans le goût romantique.
À la fin du XVIIIe s., Allemands et Autrichiens prennent peu à peu la relève des Italiens. Ramberg peint en 1789 le rideau du théâtre de Hanovre, un Apollon entouré des muses dramatiques, et en 1794 les décors de la Flûte enchantée, que Schwarz a montée aussi en 1793 à Leipzig. C'est pendant le premier quart du XIXe s. que l'on verra des décors conçus dans le style raide et froid du premier Empire, qui plaît particulièrement en Allemagne. Les décors qui sont dessinés en 1815 par Friedrich Beuther à Weimar pour la Clémence de Titus, de Mozart, montrent une salle bordée de lourdes colonnes doriques, et ceux qui le sont pour la Flûte enchantée, jouée à Brunswick en 1824, montrent l'intérieur d'un temple vaguement égyptien. À Vienne, où il est dessinateur des Théâtres impériaux de 1784 à sa mort, en 1806, mais aussi à Prague, dont il est originaire, et dans les autres théâtres de Bohême, Josef Platzer est un créateur fécond (dessins au théâtre du château de Litomyol). Sa scénographie des Noces de Figaro en 1786 fera date. Son goût des architectures imaginaires fera place peu à peu à celui de décors plus austères.
C'est à Berlin que Karl-Friedrich Schinkel se révèle un des décorateurs les plus importants, et ses œuvres illustrent parfaitement le passage du néo-classicisme au romantisme. Si, en 1818, le temple de l'opéra Die Vestalin n'est qu'une froide reconstitution archéologique, Schinkel, dès 1815, en revanche, a réalisé son chef-d'œuvre avec les décors de la Flûte enchantée. Les jardins de Sarastro, avec les rangées de torches bordant un escalier qui descend vers la mer, l'île sur laquelle s'élève, au clair de lune, un immense sphinx au milieu des palmiers devaient produire un effet saisissant, si l'on en juge par les gouaches conservées au Schinkel Pavillon (Berlin-Ouest, château de Charlottenburg).