paléochrétienne (peinture) (suite)
L'iconographie du IVe siècle
À partir du IVe s., surtout, des thèmes nouveaux enrichissent l'inspiration d'artistes chrétiens, dont l'art s'exerce dans un climat nouveau : le mouvement de conversion commence à toucher plus largement l'aristocratie. Les nouveaux convertis apportent, avec eux, des exigences esthétiques nouvelles. En même temps, les donations des empereurs et les largesses de l'aristocratie viennent enrichir l'Église, comme en témoigne dans le Liber pontificalis l'impressionnante liste des donations faites par Constantin. Mais les générosités impériales ou privées permettent surtout de réaliser un programme systématique de construction de basiliques. Jamais en faveur de l'art païen un tel effort n'avait été réalisé en si peu de temps. De ce fait, des tâches nouvelles s'imposent à l'art chrétien : décorer des édifices du culte, les basiliques, les martyria consacrés au souvenir d'un martyr ou établis sur le lieu saint des théophanies, les baptistères. Les artistes n'œuvrent plus pour la décoration d'édifices privés, mais pour la glorification de la foi nouvelle sous les yeux des communautés ecclésiales tout entières. Pour remplir ce programme, les artistes chrétiens ont créé des types, des images dont nous ne connaissons pas toujours les prototypes. Tout d'abord, la représentation du Christ qui figure au centre de nombreuses compositions se transforme : ce n'est plus le philosophe barbu du IIIe s., mais un Christ héroïsé au visage juvénile ; au milieu du IVe s. s'est formé le type du Beau Christ, imberbe, les traits empreints de douceur, la chevelure ondulée en larges boucles. En même temps apparaît une imagerie nouvelle, créée d'après les modèles de l'iconographie triomphale ou ceux de la liturgie impériale : le Christ reçoit l'offrande de couronnes, tel l'empereur celle de l'or coronaire. Le Seigneur n'est plus un docteur siégeant sur sa chaire, mais un maître sur son trône, entouré non plus de disciples, mais d'assesseurs. La Traditio legis montre le Christ disant sa loi et tenant le rouleau que Pierre s'apprête à recevoir, mains voilées, en un geste inspiré du cérémonial aulique. Ailleurs (Sainte-Pudentienne de Rome), le collège apostolique entoure le Cosmocrator dominant sur un trône impérial, derrière lequel se dresse la croix triomphale constellée de pierreries. L'empereur céleste domine l'imagerie des grandes basiliques qui accueillent les fidèles pour les réunions régulières de la synaxe.
Dans les édifices consacrés au culte du martyr, là où les chrétiens viennent se rassembler pour célébrer l'anniversaire du martyr, des images exaltent les souffrances et le triomphe de celui-ci : en Palestine, près des Lieux saints, en Égypte et même à Rome (confession des S. Giovanni e Paolo) se crée une imagerie historique d'un type nouveau. Scènes triomphales, images des martyria complètent le répertoire déjà assez riche d'une iconographie connue surtout au IIIe s. par les peintures des catacombes romaines.
Les centres artistiques
De tous ces types nouveaux, largement diffusés dans le monde chrétien, quelle est l'origine ? Rome ou l'Orient ?, pour reprendre la question posée par Strzygowski. Celui-ci attribuait à l'Orient un rôle fondamental dans la création des images ou des monuments. En revanche, l'école archéologique italienne et d'autres savants ont mis l'accent sur le rôle créateur de l'Italie. Mais on posait la question à partir de données fausses : au IIIe et au IVe s. s'est constituée dans l'Orbis romanus une koinè artistique ; des formes d'influence orientale ont été intégrées à ce langage commun. Certaines expressions — le goût des représentations frontales —, que l'on considérait comme orientales, appartiennent en réalité à cet art populaire longtemps étouffé par l'esthétique officielle et qui resurgit avec la révolution artistique dès la fin du IIe s. Au lieu de choisir entre Rome et l'Orient, il faut souligner le rôle de certains grands centres privilégiés dans l'élaboration de l'iconographie : Constantinople, Alexandrie, Jérusalem (martyria palestiniens), Antioche sans doute ont créé, à partir de procédés artistiques communs et de traditions locales, leur langage iconographique. L'originalité créatrice de Rome est particulièrement sensible ; elle se manifeste d'abord pour des types iconographiques : les artistes de S. Sebastiano (sur la via Appia) ont peut-être fixé le visage de Pierre et celui de Paul, le premier avec une barbe courte et une chevelure plantée bas ; le second avec une longue barbe et le front découvert. À Rome se crée aussi toute une imagerie originale : Pierre est représenté comme un second Moïse, donc comme le chef d'une milice spirituelle, dans le miracle du rocher, dans l'épisode de l'enseignement au désert et dans la scène de la Traditio legis. Avec ces créations se reflète l'attachement au martyr local, en même temps qu'une conception de l'ecclésiologie qui exalte à la fois le fondateur et son Église, établie par la prédication apostolique.
Les peintres du IVe siècle
À partir du IVe s., les peintres travaillent à la décoration des églises et non plus seulement à celle des édifices funéraires et des maisons chrétiennes. Mais nous ne connaissons guère d'autres peintures que celles des catacombes ; une exception notable cependant : la décoration d'une " confession ", à S. Giovanni e Paolo, donne l'exemple des images de Martyria dont nous parlent souvent les contemporains (Prudence, Paulin de Nole). L'influence de la décoration monumentale, dont les compositions survivent aujourd'hui grâce aux mosaïques de Rome ou de Ravenne, se reflète parfois dans les images des catacombes. Ces influences se marquent mieux dans la succession des modes picturales. À Rome, la peinture constantinienne, illustrée à Domitille, au cimetière Majeur, à la catacombe de " via Yser ", à celle de la via Anapo, manifeste des expressions nouvelles : le goût pour une décoration aux traits lourds, aux bandeaux larges, qui se substituent à l'architecture gracile du siècle précédent. Le visage des orantes, traité avec une attention particulière, marque plus qu'au IIIe s. l'inspiration de la spiritualité nouvelle : des yeux démesurés, cernés de lignes dures, des traits — l'arête du nez, la bouche — fortement dessinés. Spiritualisé, l'orant conserve l'individualité de ses traits. Dans la seconde moitié du siècle (à Domitille par exemple), la renaissance aux tendances classiques, le " beau style ", ne modifie pas substantiellement ces moyens d'expression, mais, en quelques cas, donne plus de somptuosité et de richesse aux couleurs. Par la suite, l'influence des mosaïques d'absides, celle des " icônes ", exerce sur l'art ciméterial — ses thèmes, la composition de ses peintures — une influence croissante (à la fin du siècle, S. Marcellino e Pietro ; puis, au début du Moyen Âge, Commodille et Calliste). Nous connaissons surtout les peintures des catacombes de Rome en quelques exemples privilégiés, nous entrevoyons toute la richesse d'un répertoire païen ou hétérodoxe : hypogée de Vibia, de Trebius Justus. Les thèmes désormais classiques de l'imagerie chrétienne se mêlent parfois aux schémas païens, s'enrichissent de compositions originales (catacombe de la Via Latina), inspirées peut-être par des bibles à peintures. En dehors de Rome, à Syracuse, à Naples, apparaissent des œuvres analogues à celles de Rome ; elles reflètent souvent d'autres influences (Syracuse, Maria in Stelle, près de Vérone) et révèlent parfois un art populaire (Silistra).
Technique de la peinture paléochrétienne
La technique des peintres chrétiens utilise largement les procédés de l'art hellénistique et romain répétés par Pline et par Vitruve. Pour les catacombes qui ont donné de très nombreux exemples de l'art paléochrétien, les conditions particulières de travail, l'humidité des lieux suggèrent quelques expédients particuliers. Ajoutons encore qu'il s'agit souvent, pour décorer les voûtes ou les arcosolia de chapelles funéraires, de travaux exécutés aux moindres frais, sans prendre toutes les précautions dont s'entourent les artistes qui décorent les nymphées ou les œcus des maisons particulières. Avant les peintres interviennent les tectores (des plâtriers) qui préparent les murs suivant une technique étudiée par G. Wilpert (1857-1944), l'auteur du premier corpus des peintures chrétiennes, et plus récemment par les Italiens P. Testini, A. Nestori. On recouvre la paroi d'un enduit, sur plusieurs couches, fixées parfois avec des clous ou des chevilles en ciment (Priscille, Capella graeca). Immédiatement en contact avec le mur, une première couche est faite d'un mélange de chaux, de pouzzolane et parfois de sable, avec des tessons pulvérisés : quelques tessons, quelques fragments de terre cuite consolident ce support. L'enduit superficiel se composait de chaux mêlée à la poussière de marbre. Son épaisseur sur les murs friables des catacombes dépasse rarement un centimètre. Et souvent les tectores, travaillant à la hâte et à peu de frais, se contentaient d'une seule couche d'enduit : ce procédé économique apparaît surtout au IVe s. et pourrait fournir, en quelques cas, un critère de datation. Il arrivait même qu'on utilisât une préparation plus sommaire, en enduisant simplement les parois de lait de chaux (dealbatio). Le peintre intervient après les plâtriers, soit qu'il travaille lorsque l'enduit est encore humide — a tempera —, soit qu'il attende que le support soit bien sec : l'artiste trace sur l'enduit frais les grandes lignes de la décoration géométrique ; il utilise une pointe sèche, un style ou, surtout à partir du IVe s., il trace au pinceau un contour en couleurs claires. La mise en place est rapidement esquissée, dans des conditions souvent difficiles. Il reste le choix des couleurs : le plus souvent des couleurs minérales ou végétales délayées dans de l'eau. L'éventail chromatique est extrêmement limité : au blanc, au rouge, au vert s'ajoutent rarement les bleus et les noirs ; autre moyen d'économiser des produits coûteux, le fond monochrome — souvent l'enduit — est laissé intact par le peintre. Les peintres chrétiens ont peint aussi à l'encaustique, ainsi l'hérétique Hermogènes, que fustige Tertullien au début du IIIe s. ; Eusèbe de Césarée (au début du IVe s.), Épiphane citent des œuvres réalisées avec cette technique : celles-ci n'ont pas survécu et les artistes des catacombes n'ont, semble-t-il, jamais fait usage de cette technique.