Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
K

Klee (Paul) (suite)

Les dernières années

L'enseignement au Bauhaus était à la longue devenu pesant ; aussi accepta-t-il la chaire de technique picturale à l'Académie de Düsseldorf, poste dont les nazis le destituèrent en 1933. Rentré définitivement à Berne, il est affaibli considérablement par les premières attaques de la sclérodermie qui devait l'emporter. La préparation d'une importante exposition à Berne en 1935 l'épuisera et 1936 sera une année presque stérile. Ses œuvres s'emplissent dès lors d'une profonde angoisse. Le dialogue avec le monde et lui-même se modifie, l'ironie devient tristesse et la mort est constamment présente. Les éléments thématiques récurrents dans toute son œuvre sont spiritualisés, et leur présence se fait plus profondément symbolique. Le visage du Savant (1933), porteur de tout un drame dans la gravité objective de ses traits, se dissout dans une sorte d'archétype, image primordiale ou noyau organique : la Peur (1934, New York, coll. Rockefeller). Ainsi, dans leur " primitivisme " de dessins d'enfants, souvent joint à une extrême économie de moyens, le fruit, le serpent, le masque ou la flèche deviennent un véritable vocabulaire métaphysique (Pleine Lune au jardin, 1934, Berne, Kunstmuseum). Ce dernier, dès 1936, se muait en notations hiéroglyphiques. Klee entrait dans la phase ultime de son art : le motif figuratif réduit peu à peu au pur échange rythmé de signes, runes ou idéogrammes en larges traits, transcendant désormais le symbole dans la totale liberté de leur association (Projet, 1938, Berne, Kunstmuseum, fondation Paul Klee ; la Mort et le feu, 1940, id.). Durant les derniers mois, l'image de la mort s'impose avec plus d'insistance (Voyage sombre en bateau, 1940), mais elle est désormais sereine, trop réelle, trop concrète pour être terrifiante. Les derniers regards enfantins de Klee la retrouvent dans les motifs heureux d'autrefois : l'Armoire (1940) et Nature morte, son ultime peinture. Le 29 juin 1940, Paul Klee s'éteint à Muralto-Locarno.

   En 1946, une société Paul Klee constitua une fondation comprenant une partie importante de l'œuvre, déposée en 1952 au musée de Berne.

Regards sur l'œuvre

Le génie de Klee réside dans la multiplicité de ses sources, de ses thèmes d'inspiration et de ses formes. Sa conception de l'art est particulière : " La création formelle jaillit du mouvement, est elle-même mouvement fixé, et elle est saisie dans le mouvement. " Elle fonde la nature de sa démarche et de son enseignement. Mais, si le processus créateur se situe au-dessous du niveau de la conscience, l'œuvre ne surgit pas automatiquement du subconscient. Elle est le fruit d'une élaboration organique impliquant gestation, observation, méditation et finalement maîtrise technique, qui tendent à une exacte identification du moi créateur avec l'univers. " L'art ne rapporte pas le visible, il rend visible ", ce qui exclut tout naturalisme, bien que, puissance génératrice, le travail de l'artiste soit semblable à celui de la nature : métamorphose de formes, comparable au développement musical d'un motif et qui, accomplie dans l'œuvre, prend une valeur métaphorique. La musique est d'ailleurs constamment présente dans l'œuvre de Klee. Un grand nombre de peintures, d'aquarelles ou de dessins sont de véritables transmutations graphiques de lignes musicales avec leurs rythmes, leurs accords, leurs mesures, leurs textures chromatiques (Blanc polyphoniquement serti, 1930 Berne, K. M. fondation Paul Klee). Le parcours de Klee n'a, de nos jours, rien perdu de sa valeur exemplaire. Moins par l'originalité du langage et ses capacités de renouvellement que par l'engagement moral, l'authenticité qu'il suppose. En dehors de la fondation Paul Klee à Berne, l'artiste est représenté dans de nombreuses coll. part. et publiques, notamment à Düsseldorf (K.N.W., 91 tableaux, aquarelles et dessins), au musée de Bâle (une trentaine de peintures, dont Senecio, 1922), à Paris (M. N. A. M., où la collection s'est étoffée notamment avec la donation Berggruen, 1972, le legs Kandinsky, 1981, et la donation Leiris), au musée de Grenoble, à la Kunsthalle de Hambourg, à New York (M. O. M. A.), et à Buffalo (Albright-Knox Art Gal.). De nombreuses rétrospectives de son œuvre ont été organisées, en particulier en 1985 au M. N. A. M. de Paris sur le thème Klee et la musique et en 1987 à New York (M. O. M. A.).

Klein (Yves)

Peintre français (Nice 1928  – Paris 1962).

Originaire d'une famille de peintres, il fit ses études à l'École nationale de la marine marchande de Nice et à l'École des langues orientales. Dès 1949, il réalise ses premières œuvres, Monochromes (panneaux recouverts uniformément d'une couche de couleur pure). Entre 1950 et 1954, il voyage en Angleterre et en Irlande, séjourne au Japon pour se perfectionner dans la pratique du judo, sport qu'il enseignera à Madrid (où il expose en privé des peintures monochromes) puis à Paris. En 1955, à la gal. des Solitaires, il expose pour la première fois à Paris ; l'année suivante, à la gal. Colette Allendy (préface de P. Restany), il présente ses Propositions monochromes, toutes de différentes couleurs, et participe au premier festival d'Art d'avant-garde organisé à Marseille par M. Ragon et J. Polieri. En 1957, successivement à Milan, gal. Apollinaire, et à Paris, chez Iris Clert, puis chez Colette Allendy, Klein expose ses peintures et sculptures d'un bleu outremer profond qu'il appelle I. K. B. (International Klein Blue), la couleur bleue matérialisant l'expansion infinie de l'univers. Il décore le nouvel Opéra de Gelsenkirchen (1957-1959), dans la Ruhr, avec des monochromes bleus et des reliefs muraux constitués d'éponges imprégnées de bleu. À l'occasion de sa collaboration à l'Opéra de Gelsenkirchen, Klein donne en 1959 deux conférences en Sorbonne sur l'Évolution de l'art et de l'architecture vers l'immatériel. Dès 1958, il avait réalisé ses premières expériences du " pinceau vivant " annonçant les Anthropométries (1960-1962) et les Suaires, empreintes sur le papier ou sur la toile de modèles nus enduits de bleu qu'il dirige au gré de son inspiration.

   En février 1960, au musée des Arts décoratifs de Paris dans le cadre de l'exposition Antagonismes, il présente pour la première fois un " monogold " (or fin sur toile) et le projet de l'Architecture de l'air, et, avec ses Cosmogonies, il utilise les éléments naturels : pluie, vent, foudre ; il expose avec les Nouveaux Réalistes à Milan et participe à Paris à la fondation du groupe. En 1961, au moyen d'un jet de gaz incandescent, il crée au centre d'essais du Gaz de France les " peintures de feu ", empreintes anthropométriques du feu (Feu couleur FC 1, 1962, Paris, M. N. A. M.), et, en 1962, il moule en plâtre le Portrait-relief d'Arman (id.), dont le bronze peint en bleu est présenté sur panneau doré (de la même année date le Portrait-relief de Martial Raysse). Résolvant la crise de l'Abstraction à la fin des années 50, Klein, au-delà de son utopique conquête du vide et de l'immatériel, a orienté un nouveau courant de recherches. S'il a dérouté d'abord le public (exposition du Vide, 1958, gal. Iris Clert, où 2 000 personnes assistaient au vernissage des murs nus), son œuvre apparaît maintenant comme une nouvelle synthèse du réel contemporain, matérialisant les éléments comme les êtres humains dans les traces fugitives ou affirmées de leur passage sur le support. Klein est représenté dans de nombreux musées d'art moderne, notamment à Paris (M. N. A. M.), à New York (M. O. M. A.), à Londres (Tate Gal.), à Houston (The Menil Coll.), et dans des coll. part. dans les musées de Krefeld et de Cologne. Une rétrospective a été consacrée à l'artiste (Cologne, Düsseldorf, Londres, Madrid) en 1995.