Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
C

cadre (suite)

XVIIe et XVIIIe siècle

Au XVIIe s., la division du cadre en 3 zones persiste, mais avec moins de rigueur : les motifs d'angles et de centre deviennent plus importants et sont souvent en relief.

   L'Espagne et l'Allemagne suivent les modes italiennes ; l'Espagne montre surtout de l'intérêt pour les bois gravés et sculptés et introduit de volumineux ornements sculptés, tandis que l'Allemagne multiplie les ouvrages minutieux, avec de fines gravures et des incrustations précieuses.

   En France aussi, les styles de la Renaissance italienne pénètrent, au temps de François Ier, mais progressivement. Un exemple prestigieux en est la série des cadres de la confrérie du Puy Notre-Dame à Amiens (musée d'Amiens) : celui qui est daté de 1519 est du plus pur Gothique flamboyant : celui de 1518 montre un amalgame d'éléments locaux et italianisants.

   L'originalité du cadre français devient plus nette au XVIIe s. Les riches cadres du règne de Louis XIII ressemblent tout d'abord aux prototypes italiens : ils restent assez plats et sont décorés d'un motif continu de rubans, de rinceaux et surtout de feuilles. Peu à peu, le profil devient plus arrondi, tandis que des fleurs sculptées décorent angles et centres. Avec le règne de Louis XIV se confirme l'importance de l'art décoratif français, qui prend la première place en Europe. Les modèles sont donnés par des ornemanistes comme Jean Lepautre, Robert de Cotte (projet au musée des Arts décoratifs à Paris), Jean Bérain, Daniel Marot, et par Le Brun lui-même : à côté des manufactures royales, les corporations parisiennes de fabricants de meubles ont un grand développement ; et, par suite de contrôles nombreux, on aboutit même à une certaine uniformité de la production. Les éléments floraux sont plus stylisés, les centres et les angles ont un décor plus développé, qui rompt la ligne droite du contour extérieur. Un artiste provincial, César Bagard (mort en 1702), sculpteur ordinaire de Charles IV de Lorraine en 1669, sculpte de très riches cadres en bois de cerisier teinté, mais non doré ; cet art, élégant et délicat, relève encore du style Louis XIII, ainsi que l'atteste le cadre à bouts de feuilles du Portrait de Léopold de Lorraine (musée de Nancy) ; Bagard est le créateur d'une école nancéienne, qui se perpétue jusqu'au début du XIVe s.

   Aux Pays-Bas, les styles français sont surtout imités pour l'encadrement des tableaux destinés à l'exportation en France ou en Angleterre, et la production locale est d'une grande originalité. Le cadre mouluré italien est interprété de différentes façons : on utilise bois exotiques et fruitiers, et la plupart des cadres de tableaux sont sombres, peints en noir, avec un décor guilloché. Les cadres les plus volumineux, à profil inversé, semblent avoir été surtout destinés aux miroirs, et les tableaux de Pieter De Hooch, de Metsu ou de Vermeer montrent que de minces cadres noirs étaient le plus souvent utilisés et s'associaient bien au caractère austère des intérieurs hollandais. Cependant, pour des portraits ou pour des emplacements privilégiés comme les dessus de cheminée, on trouve des cadres dorés richement sculptés dans le style mis à la mode par Johann Lutma, d'Amsterdam. Ces cadres sont très plats, parfois sans moulure à la " vue ", et sont décorés d'amoncellements de fleurs, de feuilles, de fruits naturalistes (par exemple le cadre de la Saint-Nicolas de Jan Steen, au Rijksmuseum) ou de motifs, dits " auriculaires ", dérivés plutôt de modèles vénitiens. Pour les portraits, armoiries et attributs sont mêlés au décor ; c'est ainsi que l'Autoportrait de Ferdinand Bol (Rijksmuseum) a un cadre attribué à J. Lutma et décoré de tournesols, symbolisant l'art de peindre.

   Comme les Néerlandais, les Flamands ont une prédilection pour les cadres noirs rehaussés de filets dorés : la série des 15 Mystères du rosaire, dans un des bas-côtés de l'église Saint-Paul d'Anvers (1617), en est un exemple monumental. Les listes des francs maîtres des ligues d'Anvers au XVIIe s. signalent des fabricants de cadres spécialisés dans une seule technique : cadres en bois blanc, en étain, en bois d'ébène, et des enlumineurs de cadres.

   De même, l'Espagne adopta les modèles des Pays-Bas et il y eut un véritable engouement pour les cadres noirs guillochés et ornés de filets dorés. Quant à l'Angleterre, elle fut attirée alternativement par les créations hollandaises et françaises, selon les aléas politiques ; l'essentiel de la production consiste en cadres de miroirs, qu'il est parfois difficile de distinguer de ceux des tableaux, comme l'étonnant cadre en bois sculpté doré, surchargé de fleurs, de feuilles et d'épis (Londres, V. A. M.), par Grinling Gibbons.

   Au XVIIIe s., en France, le style Régence accentue les caractéristiques du style Louis XIV : la sculpture est réservée aux angles et aux centres, ornés souvent de lourdes coquilles, de plus en plus développées et séparées par des espaces sans décor. Une plus grande minutie d'exécution est obtenue grâce au travail des répareurs ; on ne se contente plus de la sculpture directe dans le bois, on sculpte à nouveau les apprêts en plâtre posés sur les premiers motifs taillés : c'est le début de l'évolution vers le cadre en pâte ou en plâtre, fragile, mais qui permet toutes les audaces à moindres frais. La virtuosité est de plus en plus grande au fur et à mesure que s'affirme le style Louis XV : le cadre comporte des évidements, des crosses qui figurent les tiges de fleurs, totalement détachées du profil. Les fantaisies asymétriques du Rococo sont plus fréquentes en Allemagne, en Autriche ou en Angleterre, mais on trouve aussi des motifs désaxés en France, par exemple dans les projets (Paris, musée des Arts décoratifs) de Nicolas Pineau.

   Trop liés au décor général des demeures, ces cadres bientôt nuisent à la bonne contemplation des peintures, et, dès le milieu du XVIIIe s., un retour à la simplicité est souhaité. En réaction à l'exubérance du style rocaille, le mouvement néo-classique amorcé par Winckelmann s'accompagne d'austères décors de perles, de rais-de-cœur, de canaux, de bouts de feuilles. Une certaine fantaisie se déploie pour les motifs de couronnement, avec des cartouches, des nœuds, des guirlandes tombant sur les côtés du cadre, et la mode est aux ovales pour les natures mortes et les portraits.

   En Angleterre, le goût classique des architectes Robert et James Adam impose un style dépouillé, proche de celui des Français, pour remplacer les riches bordures à fronton sculpté comme on peut en voir dans les appartements où se passent les scènes du Mariage à la mode de William Hogarth (Londres, N. G.).

   En France, l'idée de présenter au public les collections royales prend forme dans la seconde moitié du XVIIIe s. et l'on cherche à donner aux œuvres des encadrements uniformes. Joseph Vernet, pour sa série des Ports de France, exige des cadres aux lignes simples, et, dès 1756, la rigueur des bordures sculptées par Cayeux, puis par Guibert, beau-frère du peintre (Louvre et Paris, musée de la Marine), annonce le style Louis XVI.

   Après M. de Marigny, le marquis d'Angiviller continue cette politique et charge François-Charles Buteux, sculpteur des Bâtiments du roi, de créer un type de bordures dorées larges et plates, agrémentées de perles, de rais-de-cœur et de feuilles enroulées, timbrées par un grand cartouche à la partie supérieure, et de créer, pour les tableaux cintrés, un motif de feuilles pour les écoinçons ; l'artiste reçut ainsi commande, en 1777, des 3 cadres pour les Muses de Le Sueur provenant de l'hôtel Lambert, cadres toujours utilisés au Louvre. Le 21 juin 1782, dans un rapport à d'Angiviller, Pierre établit même un tarif pour les ouvrages de Buteux : les bordures des portraits, selon le format, seront payées 1 200, 1 000 ou 800 livres.

   Le souci d'une présentation harmonieuse, à une époque où l'on ne craint pas d'accrocher les tableaux cadre à cadre, détermine d'autres solutions du même genre : c'est ainsi qu'une simple bordure plate est utilisée dans la galerie de l'archiduc Léopold Guillaume, telle que l'a représentée D. Téniers (Bruxelles, M. R. B. A.), et que les collections de l'Académie, à Paris — tant pour les prix de Rome (Paris, E. N. B. A.) que pour les portraits d'artistes (Louvre) —, sont encadrées d'une simple gorge en bois doré, sur laquelle sont inscrits sujet, date et nom de l'auteur en grandes lettres noires. La même formule avait été utilisée dès 1745 au Zwinger de Dresde et devait être suivie, au début du XIXe s., tant à Paris, au musée Napoléon, avec des cadres à palmettes, qu'à Berlin, où l'architecte Schinkel dessine le bâtiment du musée et le matériel de présentation, y compris les cadres qui sont de deux modèles, pseudo-gothique ou néo-classique.