Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
A

Art nouveau

  • Winsor McCay, Little Nemo in Slumberland
  • Gustav Klimt, le Baiser
  • Hector Guimard, bouche de métro, Paris
  • Gaudí, maison Battló, Barcelone

Ce terme fut employé dans les pays de langue anglaise et de langue française pour désigner le style qui se développa en Europe et aux États-Unis entre 1890 et 1905. Il a pour origine le nom que Siegfried Bing, marchand d'art ancien chinois et japonais, donna le 26 décembre 1895 à sa boutique, sise à l'angle de la rue Chauchat et de la rue de Provence à Paris, lorsqu'il en consacra une partie à l'art européen contemporain. Bing accueillit tout d'abord dans ses galeries d'exposition des projets de vitraux de Bonnard, de Grasset, d'Ibels, de Roussel, de Sérusier, de Toulouse-Lautrec, de Ranson, de Vallotton et de Vuillard, qu'exécuta Louis C. Tiffany (1848-1933), créateur du Favrile, verre coloré et irisé très caractéristique de la renaissance des arts décoratifs, à la fois par la recherche technique et par la nouveauté des formes. Dans son " 1er Salon de l'Art nouveau ", qui ne comprenait pas moins de 662 numéros, Bing exposait également des peintures de Carrière, de Maurice Denis et de Khnopff, des sculptures de Rodin, des verres de Gallé (1846-1904) et de Tiffany, des bijoux de Lalique (1860-1945), des affiches de Beardsley, de Charles Rennie Mackintosh et de l'Américain Bradley. En 1896, Bing présentait la première exposition parisienne d'Edvard Munch et demandait à Henry Van de Velde de créer pour lui un mobilier de quatre pièces, qui fut envoyé en 1897 à l'exposition de Dresde. Dès sa création, la boutique du 22 de la rue de Provence fut donc un lieu de rencontre pour les artistes de toutes nationalités et l'un des symboles de ce nouveau style international.

Manifestes et revues

Les très nombreuses revues créées à cette époque — on en compte plus de vingt-cinq de quelque importance — contribuèrent également à la diffusion très rapide d'œuvres nouvelles. Une des plus anciennes, la revue anglaise The Studio, qui paraît aussi en français dès 1893, présente chaque année près d'un millier de reproductions consacrées aux différentes techniques : peinture, sculpture, architecture, meubles, papier peint, illustration, " étoffes décoratives ", poterie, objets d'art usuels. Par des concours mensuels d'art appliqué, elle se pose comme l'initiatrice et la propagatrice du " mouvement si moderne qui se manifeste dans l'Europe entière ".

   C'est ainsi que, reproduit dans le premier volume de The Studio, en 1893, un tableau de Toorop, peintre hollandais lié au groupe des Vingt de Bruxelles, les Trois Fiancées (1892, Otterlo, Kröller-Müller), devait influencer directement la première manière de Mackintosh et de Frances Macdonald, du groupe des Quatre de Glasgow.

   Les Belges font plus encore figure de pionniers avec L'Art moderne, fondé à Bruxelles en 1881, et la revue flamande Van Nu en Straks (Anvers-Bruxelles, 1892-1901). Dans ce climat d'avant-garde, les personnalités de Henry Van de Velde et de l'architecte Victor Horta (1861-1947) s'affirment, faisant de la Belgique la véritable terre natale de l'Art nouveau.

   Parmi les revues épisodiques, citons : à Londres, The Yellow Book (1894-1897) et The Savoy (1896), sous la direction artistique de Beardsley ; à Berlin, Pan (1895-1900), édité par Julius Meier-Graefe, qui devait fonder à Paris en 1899 une boutique décorée par Van de Velde : la Maison moderne ; à Vienne, Ver Sacrum (1898-1903), organe de la Sécession, association fondée en 1897, présidée par Gustav Klimt et dont le nom reste attaché à la variante autrichienne de l'Art nouveau. Plus populaires sont les hebdomadaires de Munich Jugend et Simplicissimus, à la fois satiriques, littéraires et artistiques, fondés en 1896 ; le premier, qu'illustraient les vignettes florales d'Otto Eckmann, devait être à l'origine du terme de " Jugendstil ", qui désignait en Allemagne le nouveau mouvement, et c'est à son imitation que fut fondée à Barcelone la revue Joventut, à laquelle Picasso collabora à ses débuts, tandis qu'un de ses amis, Ramón Casas, éditait plusieurs petites revues d'avant-garde : Quatre Gats, Pel y Ploma, Forma, témoignant du modernisme de la ville, où s'édifiaient les constructions d'Antonio Gaudí (1852-1926).

   À Darmstadt (où le Jugendstil s'est maintenu au début du XXe s. à l'instigation du grand-duc Louis de Hesse), à partir de 1896, paraît Zeitschrift für Innen-Dekoration, plus spécialisée dans l'art décoratif, comme le sont deux autres publications, également mensuelles, créées à Paris les années suivantes : Art et décoration en 1897 et l'Art décoratif en 1898 ; on y retrouve certaines formules mises à la mode par The Studio, comme les concours pour la création d'objets usuels.

Les Arts décoratifs

Une des préoccupations essentielles du moment est, en effet, le renouveau de l'architecture et des arts décoratifs, et l'on assiste à la réhabilitation de ces derniers, qui sont accueillis dans les expositions jusqu'alors réservées aux arts nobles. À Paris, les arts appliqués apparaissent en 1891 au Salon du Champ-de-Mars, organisé par la Société nationale des beaux-arts ; la même année, le Salon des indépendants présente 3 céramiques de Gauguin et un ensemble décoratif de Bonnard ; en 1893, la Société des artistes français, héritière du vénérable Salon officiel, accueille timidement une rubrique " Objets d'art ", transformée en " Art décoratif " à partir de 1895. De même, à Bruxelles, les Vingt, groupe fondé, comme les Indépendants, en 1884, donnent aux arts décoratifs une place aussi importante qu'à la peinture et à la sculpture dans leurs expositions de 1892 et de 1893, et la même tendance se retrouve par la suite dans les manifestations organisées par la Libre Esthétique.

   L'Angleterre, où s'étaient développées depuis le milieu du siècle ces idées d'unité de l'art, a pour sa part une tradition déjà ancienne en ce domaine, ainsi qu'en témoigne le périodique des préraphaélites, The Germ, qui eut quatre numéros en 1850 ; ceux-ci devaient s'intéresser aux tissus, au mobilier et créer des motifs industriels nouveaux. En 1882, Oscar Wilde fit des conférences sur le thème de l'art et l'artisan, qui eurent une grande répercussion en Amérique. Enfin, dès 1888, le mouvement Arts and Crafts organise des expositions spécialisées dans l'artisanat d'art dont l'immédiate influence se fait sentir aux Pays-Bas et en Allemagne, et la gloire de Walter Crane atteint même Budapest et Milan. Par le retour à l'artisanat, William Morris, comme Ruskin, voulait supprimer les méfaits de l'éclectisme à une époque où la copie des styles de tous les temps et de tous les pays était considérée comme une garantie de vente par les industriels en pleine possession de moyens techniques permettant d'imiter, en les abâtardissant, n'importe quelle matière, n'importe quel décor. Il y a donc en contrepartie une volonté d'honnêteté du travail, de respect de la matière et de la fonction de l'objet, mais l'utilité du décor n'est pas mise en doute. Cette réforme devait aboutir à un nouveau style, mais non au résultat social souhaité. Avoir perdu de vue les idées sociales sur le beau à la portée de tous, en produisant des objets faits à la main et d'un luxe raffiné, est l'une des raisons du déclin rapide de l'Art nouveau.

   D'ailleurs, d'autres tendances, essentiellement liées à l'architecture et à son renouveau fonctionnel, déjà défendu par Viollet-le-Duc, se font jour à cette époque et proposent une solution industrielle. En Angleterre même, Charles Robert Ashbee (1863-1942), architecte et décorateur, membre du mouvement Arts and Crafts, proclame que la civilisation moderne repose sur la machine, cette dernière étant, pour l'Américain Frank Lloyd Wright (1869-1959), " le précurseur de la démocratie, qui est notre espoir le plus cher ". Déjà, dans cet esprit, l'ornementation ne semble plus nécessaire, aussi bien à l'Américain Louis Sullivan (1856-1924) en 1892 qu'à l'Allemand Adolf Loos (1870-1933), qui déclare en 1902 que l'" ornement est un crime ".

   L'accueil fait à l'Art nouveau dans les grandes expositions internationales est significatif de cette évolution : à Paris, en 1900, le style français a un brillant succès, tant avec le pavillon de Bing, décoré par Eugène Colonna, Georges de Feure et Eugène Gaillard, qu'avec les dernières créations (meubles et verreries, où triomphe un symbolisme floral très raffiné) de Gallé, chef de l'école de Nancy, alors au faîte de la gloire avant que sa carrière ne soit interrompue par une longue maladie. Mais en 1902, à l'exposition de Turin, où les pays autres que la France sont mieux représentés qu'en 1900, un style plus simple, plus linéaire, plus géométrique, dont la sobriété exclut presque le décor, est la caractéristique des produits écossais, anglais, belges et surtout allemands et autrichiens : Olbrich (1867-1908), Behrens (1868-1940), Hoffmann (1870-1956) y représentent la nouvelle tendance. En 1905, à Liège, la France ne présente rien et, en 1908, à Londres, il n'y a plus trace d'Art nouveau.