Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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nature morte (suite)

Le XVIe siècle : décor et Maniérisme

L'élément naturaliste gagne partout du terrain au XVIe s., même chez Raphaël : les instruments de musique de Sainte Cécile (Bologne, P. N.) montrent un goût sinon nouveau, tout au moins plus marqué pour les choses qui nous entourent. La curiosité pour toutes les richesses de la nature et l'aspect décoratif du Maniérisme tendront à affranchir l'artiste de graves spéculations et feront éclore un goût particulier pour l'insolite. Un dessin précis, une observation sévère du détail réaliste, une lumière également répartie, un espace complexe où s'épanouit le compromis maniériste figure humaine-nature morte caractérisent aussi bien les bizarreries décoratives d'Arcimboldo, visages faits de légumes et de fruits, que la vision réaliste d'Aertsen, scènes religieuses ou non, dans des intérieurs rustiques. Plusieurs versions du Christ chez Marthe et Marie (1552, Vienne, K. M. ; 1559, Bruxelles, M. R. B. A.) présentent au premier plan et sur les deux tiers de la hauteur du tableau un vaste étalage complexe de morceaux de viande, de fromages, de pains et de légumes plus ou moins imbriqués avec une figure de cuisinière figée dans son geste ; au deuxième plan, de petites silhouettes, élancées et instables, s'ordonnent autour d'un thème religieux qui tend à s'effacer devant le décor du premier plan. Ce style large, dynamique, avec des couleurs vives, une matière dense, un espace complexe et souvent une juxtaposition de petites et de grandes figures, constitue une formule développée à Anvers par Beuckelaer, élève d'Aertsen qui séjourna dans cette ville de 1535 à 1555, et en Italie, peut-être par l'intermédiaire du marchand de " tableaux hollandais " Affaiati de Crémone, par G. Campi v. 1580 à Crémone et, à Bologne, par B. Passarotti et Annibale Carracci (la Boucherie, Oxford, Christ Church College).

   Le précurseur de la nature morte florale est à l'extrême fin du XVIe s. Georg Hoefnagel, qui transposera la technique minutieuse de la miniature à la peinture de chevalet ; dans le tableau de Téniers représentant Léopold-Guillaume visitant ses collections, on présente à l'archiduc un tableau de fleurs de Hoefnagel ; le style miniaturiste rappelle que le microscope vient d'être inventé à Middelburg et que le premier recueil florilège a été imprimé chez Plantin à Anvers v. 1550 — origine des nombreux herbiers d'Anvers et de Francfort ; un dessin incisif, une couleur claire, un soin extrême des détails caractérisent l'art de Hoefnagel, père de la peinture de fleurs du XVIIe s. La mode des chambres des merveilles et des cabinets de curiosités va fournir des ressources iconographiques inépuisables à la peinture d'objets considérée comme un inventaire de la nature.

Le XVIIe siècle : avènement d'un style international

De 1600 à 1620, un style international se développe en Hollande, en Flandre et en Allemagne et s'attache à 2 thèmes : les fleurs ou fruits et les repas servis, caractérisés par une présentation archaïque. Une perspective plongeante montre le maximum d'objets posés sur une table et bien séparés les uns des autres ; un dessin ferme cerne des volumes denses, dans une lumière uniforme, où des coloris vifs sont juxtaposés.

   Ce style a pu être diffusé en Espagne par Juan Van der Hamen y León ou en Italie par Lodovico Susio et Fede Galizia. Les bouquets sont symétriques, composés d'un grand nombre de fleurs aux couleurs fines, comme ciselées, dont la tulipe de Hollande importée de Turquie par le relais de Vienne.

   En Hollande, à Jacob de Gheyn et à A. Bosschaert, surtout, qui amplifie le thème en plaçant ses bouquets dans des niches devant des paysages, succèdent B. Van der Ast, séduit par la nacre et la forme des coquillages, et R. Savery, qui allonge ses bouquets et emplit les angles inférieurs de fleurs éparpillées. À Anvers, J. Bruegel de Velours, peut-être créateur du type du bouquet flamand parallèlement à Bosschaert, mêle bijoux et fleurs avec liberté et virtuosité technique. L'énergie plastique caractérise en Hollande les " repas servis " de N. Gillis, F. Van Dyck, Fl. Van Schooten et Roelof Koets ; elle se tempère, à Anvers, d'un aspect plus précieux, avec des verres de Venise chez O. Beert ; elle est plus intime chez Clara Peeters, Hans Van Essen, Jacob Van Es, Jacob Van Hulsdonck. En Allemagne, à côté des qualités plastiques de Peter Binoit et de celles de Soreau, Georg Flegel assouplit son métier et prélude aux effets luministes de Gottfried von Wedig.

La Hollande : du repas monochrome à la richesse décorative

Durant son siècle d'or, la Hollande va donner au genre ses lettres de noblesse et l'introduire définitivement dans la grande peinture. La nature morte est le reflet du goût néerlandais pour la réalité concrète des choses, mais aussi bien souvent la traduction de préoccupations morales. Son style suit l'évolution des autres catégories : peinture d'histoire, paysage, portrait, peinture de genre.

   Vers 1620-1630, la représentation dominante de la nature morte hollandaise est le " déjeuner monochrome " : un nombre restreint d'éléments rassemblés sous un éclairage diagonal est présenté dans une harmonie brune ou grise, la perspective s'abaisse et la profondeur augmente — évolution parallèle à celle du paysage. À cette époque se fixe l'iconographie de la " vanité ". P. Claesz et W. Cl. Heda, tous deux originaires de Haarlem, interprètent respectivement le déjeuner, le premier dans un style bourgeois et monochrome gris-brun, le second avec plus de préciosité et dans une monochromie gris-vert. Dans le même répertoire, Jan Jansz den Uyl montre un art plus solide, au verticalisme accentué, et Harmen Van Steenwyck développe le thème de la vanité. En 1653, Rembrandt, dans le Bœuf écorché (Louvre), est le premier grand maître du Nord à exécuter une nature morte, d'ailleurs dans la lignée d'Aertsen, mais avec son goût personnel pour une pâte très travaillée et la suggestion d'une atmosphère qui noie l'accidentel. G. Metsu et G. Dou en Hollande, Christoph Paudisz en Allemagne prolongent son influence.

   Dans la seconde moitié du XVIIe s., le souci de composition et de couleur, déjà visible dans les gibiers de Salomon Van Ruysdael, trouve son expression la plus décorative dans les buffets de J. D. de Heem et les orfèvreries de W. Kalff. Le Grand Buffet de De Heem (1640, Louvre), avec sa profusion de motifs, est l'œuvre d'un artiste " d'impulsion flamande ", mais l'éducation hollandaise se révèle par le dessin précis, la claire couleur locale ; le répertoire complexe (livres de Leyde, pâtés de Haarlem, fruits de mer de La Haye) se retrouve chez les élèves de De Heem (A. Mignon en Allemagne, Luttichuys, A. Coosemans, J. Van Son et P. Gillemans à Anvers, Benedetti en Italie), et la virtuosité de l'artiste inspire aussi l'œuvre de J. Van Huysum et de R. Ruysch. W. Kalf peignit des intérieurs de cuisine, puis des buffets avec aiguières d'orfèvrerie italienne ; enfin, à partir de 1653, des compositions avec orfèvrerie hollandaise. Il influença W. Van Aelst aux Pays-Bas et O. Ellinger à Berlin. Des influences italiennes marquent J. B. Weenix, M. Withoos et W. Van Aelst ; on décèle une gravité particulière d'esprit hispanique chez Adriaen Coorte, qui découpe violemment une Botte d'asperges (Oxford, Ashmolean Museum) éclairée sur un fond sombre.

Flandre : la verve baroque

On sait que Rubens demandait souvent à J. Bruegel d'exécuter les fleurs de ses compositions, et à F. Snyders les fruits et légumes. Le goût anversois pour l'accumulation opulente des objets et l'élan vital propre à l'école trouvent leur épanouissement dans l'œuvre de ce dernier, que suivent A. Van Utrecht, P. de Vos, Nicasius Bernaerts, qui travaillera en France : mouvement, richesse, coloris chaleureux caractérisent les natures mortes de Snyders, quelquefois animées par des insectes picorant les fruits : c'est la nature morte " habitée ", par opposition à l'austère nature morte hollandaise. À côté de Snyders, peintre des fruits, J. Fyt est le peintre du gibier : la distinction du coloris et la densité de la matière caractérisent ses grandes compositions dynamiques et décoratives. Il eut pour suiveurs P. Boel, P. Van Boucle, qui vint en France. Dans le sillage de Jan Bruegel, citons Jan Van Kessel et Daniel Seghers, dont les couronnes de fleurs sont disposées souvent autour d'une image sainte, et qui influença Mario dei Fiori en Italie. Le style flamand rhétorique et empreint de religiosité se propage partout en Europe à partir de 1630-1640.