Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
G

genre (peinture de) (suite)

Le Moyen Âge

Italie

À la suite du triomphe du christianisme et de l'art chrétien, les empereurs byzantins imposent les sujets historiques ou sacrés, puis la réaction à l'iconoclasme favorise un retour au hiératisme désincarné des siècles précédents. Il appartiendra aux peintres toscans de ramener sur la terre les visions célestes de la tradition byzantine : Giotto, peignant à l'Arena de Padoue l'Apparition de l'ange à sainte Anne ou les Noces de Cana, actualise le sujet par tel détail de la chambre aux rideaux bien tirés, tel geste d'un serviteur goûtant le vin. Au revers de la Maestà de Sienne, Duccio représente lui aussi des scènes du Nouveau Testament, avec une sensibilité plus immédiate à l'élégance des rythmes, à l'aisance des attitudes : celles des personnages s'affairant au premier plan dans les Noces de Cana donnent à cette partie de la composition l'animation d'une scène vécue.

   Si les Siennois s'attachent, plus que les Florentins, aux modulations graphiques, parfois délibérément irréalistes, c'est à l'un d'entre eux pourtant, Ambrogio Lorenzetti, que l'on doit l'œuvre la plus monumentale de la peinture profane médiévale, les Allégories du Bon et du Mauvais Gouvernement, peintes entre 1337 et 1339 au Palais public. Ici encore, la portée morale et politique du sujet ne peut abolir l'attrait des multiples scènes de genre qui composent cette évocation magistrale de la vie rurale et citadine, avec les moissonneurs et les batteurs de blé, les maçons sur leurs échafaudages et les boutiquiers affairés, la chasse au faucon, le cheminement des muletiers, la ronde des jolies Siennoises sur la place. Ce sont aussi les Siennois qui, dès le milieu du XIIIe s., ont imaginé de peindre, sur leurs registres d'impôts (les " tavolette di Biccherna "), l'image du percepteur assis derrière son comptoir. Par la suite, le greffier, le contribuable viendront compléter la scène : c'est en somme le schéma de la Vocation de saint Matthieu, qui sera, jusqu'au XVIe s. et au-delà, le prétexte de nombreuses compositions dans lesquelles le thème évangélique devient pour le peintre, italien ou flamand, un simple " prétexte " à la représentation d'une boutique de changeur.

   De même, au XIVe s., l'Annonciation, la Naissance de saint Jean-Baptiste, le Festin d'Hérode sont souvent de véritables scènes d'intérieur florentines. Au XVe s., cette tendance s'épanouira avec les sereines évocations d'un Ghirlandaio et dans les représentations pittoresques, et purement profanes désormais, de fêtes, de chasses, de banquets, décorant les " cassoni ".

   À Venise, l'emprise durable de l'art byzantin détourne la plupart des peintres, jusqu'à Carpaccio, de tout intérêt pour le réel anecdotique. La diffusion du Gothique international impose la dominante du " style " sur les particularismes, les détails d'après nature, l'observation personnelle, dont le goût est pourtant très vif en Lombardie (Tacuina Sanitatis) dès le XIVe s.

Europe du Nord

En France et dans la Flandre, ce sont essentiellement les miniatures qui nous permettent d'imaginer ce que fut la peinture profane avant le XVe s. Elle apparaît d'ailleurs dans les livres de piété et garde un caractère sinon religieux, du moins symbolique : les enlumineurs, comme les sculpteurs des cathédrales, savent exprimer l'animation et la diversité des " travaux des mois " préludant aux fines descriptions de la vie contemporaine conçues par les frères Limbourg pour les Très Riches Heures du duc de Berry.

   Au début du XVe s., comme en Italie cent ans plus tôt, les épisodes du Nouveau Testament ont pour cadre des intérieurs " modernes ", avec des meubles bien astiqués, des fenêtres serties de plomb, des étagères garnies de cuivres luisants : il suffit d'évoquer ici la Naissance de saint Jean-Baptiste dans les Heures de Turin, l'Annonciation de Van Eyck sur le retable de Gand et surtout celle du retable de Mérode de Campin avec le volet montrant saint Joseph dans son atelier, absorbé par la confection d'une souricière. Puis, dans l'un de ces intérieurs cossus, paisibles, les Arnolfini prennent la place de la Vierge : au-delà du portrait, c'est le tableau de genre qui naît avec cette peinture, assurant d'emblée aux Pays-Bas une première place, qui ne leur sera pas enlevée. D'autres œuvres de Van Eyck, aujourd'hui perdues (un Bain de femme, une Dame à sa toilette), ont certainement contribué à déterminer cette orientation nouvelle.

Le XVIe siècle

Le développement s'accomplira au XVIe s. par l'interprétation de plus en plus " sécularisée " des thèmes sacrés, puis sous le couvert d'intentions moralisantes et de préoccupations symbolistes, qui s'estompent progressivement : l'illustration des proverbes, des Cinq Sens, des Saisons, des Vices et des Vertus crée un répertoire qui sera exploité longtemps et suscitera des variantes délibérément vidées de toute allusion intellectuelle ou spirituelle. Le Saint Éloi de Petrus Christus inspire à Quentin Metsys le Changeur et sa femme, tandis que son disciple, Marinus Van Reymerswaele, pousse le thème à la caricature pour stigmatiser l'âpreté des usuriers et autres recéleurs et que Jan Van Hemessen en revient à la Vocation de saint Matthieu. Pieter Aertsen insiste sur les préparatifs du repas lorsqu'il peint Jésus chez Marthe et Marie et sur les étalages croulants de victuailles dans ses Marchés aux légumes. Son neveu, Joachim Beuckelaer, traite des sujets analogues, mais ses Cuisinières ont à peine la prétention d'incarner la diligente sœur de Lazare.

   Annoncé par Jérôme Bosch, dont les satires féroces et les visions de cauchemars fourmillent d'éléments " vrais ", Pieter Bruegel est le grand interprète de la vie paysanne dans ses travaux et ses divertissements.

   Hors de Flandre, et en Flandre même chez les Anversois, le courant maniériste, comme jadis le Gothique international, entraîne un désintérêt pour les scènes de genre. À Venise seulement, Jacopo Bassano avec ses pastorales, Véronèse avec ses somptueux festins, Bonifacio de' Pitati avec ses représentations plus intimes de la vie patricienne continuent à rechercher la source de leur inspiration dans la réalité. En France, les peintres de l'école de Fontainebleau s'en détournent eux aussi pour s'attacher aux raffinements de la forme, à l'élégance des rythmes : les " dames au bain " sont des célébrations de la beauté féminine et, par là, en quelque sorte, des " tableaux de culte " !

Le XVIIe siècle

Rome et le Caravagisme

Le besoin de réagir aux artifices, d'ailleurs usés, du Maniérisme va déterminer une adhésion quasi unanime au Caravagisme. Cette révolution constitue une étape essentielle dans l'histoire de la peinture de genre, qui, pour la première fois, acquiert, du nord au sud de l'Europe, certains caractères généraux en ce qui concerne la technique, la mise en page, le choix des sujets et des ambiances lumineuses. À Rome, dès le début du XVIIe s. et jusqu'en 1630, des Flamands comme Abraham Janssens et Rombouts, des Hollandais comme Ter Brugghen, Baburen, Honthorst, des Français enfin — Valentin, Régnier, Tournier, Georges de La Tour probablement — découvrent par l'intermédiaire de Manfredi la " peinture naturelle " de Caravage et le luminisme. Après lui, la Vocation de saint Matthieu, le Reniement de saint Pierre, l'Enfant prodigue sont des scènes de corps de garde et de beuveries, celles-ci directement inspirées par les tumultueuses virées nocturnes dans les tripots romains, où fraternisent toutes les colonies d'artistes étrangers. On y boit, on y joue aux cartes, on y fait de la musique, et voilà de nouveaux sujets tout trouvés.

   Une variante " en mineur " du Caravagisme est fournie par les peintres de bambochades, venus de Hollande (P. Van Laer), de Flandre (Miel), de France (Bourdon), qui retrouvent les Italiens (Cerquozzi) pour développer une peinture de genre populaire et pittoresque.

France

Revenus chez eux, les peintres élaborent un registre personnel, forment une nouvelle génération d'artistes, bientôt soumis à leur tour à d'autres influences. C'est ainsi que les peintres flamands établis à Paris près de Saint-Germain-des-Prés marquent la manière d'un Antoine Le Nain, tandis que son frère Louis donne ses lettres de noblesse aux sujets de genre paysans (la Forge ou un Maréchal dans sa forge, Paris, Louvre), dont la dignité et la profonde humanité sont d'esprit tout classique. Mathieu Le Nain, Tassel, Michelin révèlent moins de rigueur et d'intériorité. Georges de La Tour a probablement vu à Rome les œuvres de Honthorst et de Ter Brugghen ; il peut avoir repris contact avec elles lors d'un séjour aux Pays-Bas, et pourtant, si l'on compare son Reniement de saint Pierre, ses Joueurs de cartes ou ses Joueurs de dés, sa Rixe de musiciens aux toiles contemporaines sur des sujets analogues, on reconnaît aussitôt en lui le plus original de tous les maîtres qu'ait touchés le Caravagisme. Comme Caravage lui-même, il sait associer peinture de genre et sujets religieux, au point que le Nouveau-né peut être interprété comme une scène quotidienne ou comme une œuvre sacrée.