baroque (suite)
La peinture baroque en Europe centrale
La guerre de Trente Ans a retardé l'éclosion de la peinture baroque en Europe centrale. L'Italie, par l'intermédiaire du père Pozzo, qui travaille à Vienne, sera la principale inspiratrice du décor plafonnant, où les fausses architectures en trompe l'œil se multiplient.
Les grandes réalisations de la peinture de plafond en Autriche sont le fruit de la collaboration de l'architecte Fischer von Erlach avec le peintre J. M. Rottmayr, au château de Vranov en Moravie (1695). Dans l'église Saint-Mathias, à Breslau, Rottmayr unit les trois voûtes architecturales dans une grande composition picturale en ellipse, forme privilégiée du Baroque. Une progression attire l'œil depuis le bord de l'ellipse, qui représente une balustrade où s'appuient des personnages, jusqu'au centre, là où resplendit le clair halo du nom du Christ. D. Gran peint le plafond de la Bibliothèque nationale de Vienne en 1726. Avec P. Troger, l'école viennoise assure son triomphe et s'achemine vers le Rococo.
Les frères Asam, E. Quirin, architecte et sculpteur, et le peintre Cosmas Damian continuent à Munich, en Bavière, dans l'église de Saint-Jean-Népomucène, l'illusion optique entre peinture et architecture. Le puissant raccourci du plafond peint de la cathédrale de Prague concourt à accentuer l'élan donné par les colonnes torses qui partent de la première galerie. Les effets d'ombre et de lumière sont rehaussés par l'éclairage naturel qui vient des fenêtres et unifie l'atmosphère. Les lignes architecturales contribuent à la mise en scène de la peinture qui se trouve au fond de la galerie.
La peinture baroque en France
Si la France du XVIIe s. est essentiellement classique, elle possède aussi " son " Baroque, ou du moins des affinités avec cette esthétique. Poussin lui-même, pendant ses premières années romaines, y fut sensible. Il est fructueux de comparer ses deux visions des Bergers d'Arcadie. Dans la première version (1629-1630, Chatsworth, Grande-Bretagne), les bergers ont un mouvement de surprise devant un monument funéraire qu'ils viennent de découvrir. Sur le sarcophage, qui sort du cadre, figurent un crâne et l'inscription Et in Arcadia ego. La composition est dominée par les diagonales : celles des corps des bergers, du sarcophage, des arbres et du cadrage même du tableau. Tout est mouvement, la touche est enlevée, la lumière dramatique et la couleur chaude et titianesque. Dans la seconde version (v. 1640, Louvre), le mouvement a disparu avec les diagonales, le coloris s'est refroidi : au lieu d'intensifier le ton chaud par son complémentaire, comme les Vénitiens, il le tempère au moyen d'un ton froid. Le sarcophage, d'où le crâne a disparu, est devenu un bloc classique rectangulaire, autour duquel se groupent, comme sur un bas-relief, les personnages immobiles. L'inscription est devenue le centre réel et idéal d'une composition close où la surprise s'est transformée en méditation philosophique. Poussin refuse volontairement son premier mouvement baroque pour une peinture de plus en plus intelligible. Les peintres français qui, à Rome, étaient résolument baroques vont retrouver en France les influences classiques. Il en est ainsi de S. Vouet. Pendant son séjour à Rome, de 1614 à 1627, il est influencé par Caravage, l'art décoratif des Napolitains et le modelé ferme de Dominiquin ; de retour à Paris, il tempère son éloquence. Dans la Présentation de Jésus au Temple (1641, Louvre), les diagonales sont équilibrées par les verticales des architectures, et la présentation est moins émotionnelle qu'autrefois. Néanmoins, le mouvement agite ces figurations somptueuses, et l'exécution reste rapide et enlevée. Vouet connaît une immense popularité et on lui confie plusieurs décorations, notamment celle de l'hôtel Séguier, où il se souvient des procédés vénitiens et de l'illusionnisme de Corrège. J. Blanchard et F. Perrier subissent également des influences romaines et, même chez le peintre officiel du règne et garant de la doctrine classique, Le Brun, on peut déceler des traits baroques.
Au début du siècle, les Rubens du cycle de Marie de Médicis, au Luxembourg, suscitent peu d'intérêt ; en revanche, l'artiste flamand influence une partie de la peinture des dernières années du XVIIe s., surtout à la suite de la querelle entre les poussinistes, partisans du dessin, et les rubéniens, défenseurs de la couleur. Charles de La Fosse est influencé par la couleur des Vénitiens vue à travers Rubens. Son esquisse pour le plafond du salon d'Apollon dans les grands appartements de Versailles (musée de Rouen) s'organise selon des schèmes de compositions baroques, mais fait déjà entrevoir la légèreté, la clarté et la grâce rococo. La Fosse résume les tendances de peintres comme Jouvenet et A. Coypel, qui collaborent avec lui à la décoration de la chapelle de Versailles et des Invalides. Le goût du roi et de la Cour change pendant les dernières années du siècle, et une ouverture vers le Baroque s'amorce ; c'est surtout dans les retables de province que l'on a accepté les tendances romaines, parvenues à travers les estampes. Mais c'est plus spécialement dans la décoration éphémère des fêtes et des pompes funèbres, dont les gravures nous ont laissé le souvenir, que s'épanouit en France le style baroque.
La peinture baroque en Espagne
L'Espagne maintient avec rigueur les idées de la Contre-Réforme. La canonisation de plusieurs saints et la campagne en faveur de l'Immaculée Conception fixent une nouvelle iconographie. Les commandes des institutions monastiques sont aussi importantes que celles du palais. Les particularismes régionaux et les attaches avec le passé sont si forts qu'il est difficile de définir les rapports de cette peinture, qui évolue selon ses propres rythmes, avec le Baroque. Les portraits statiques et sculpturaux de Zurbarán révèlent une continuité avec l'art du siècle précédent et sont dans la lignée des retables et des sculptures sévillanes. Aux élévations mystiques de Zurbarán, Murillo oppose une piété plus aimable. Il est le peintre favori de la branche la plus populaire de l'ordre de Saint-François, les Capucins, qui favorisent une dévotion expansive et tendre.
Velázquez, peintre de la Cour, est en revanche en contact continu avec la peinture européenne : il rencontre Rubens en 1628, voyage à Venise et à Rome (1629 et 1649). Il est donc au centre de toutes les recherches picturales contemporaines. Dans les Fileuses (1657, Prado), la réalité observée et la réalité tissée se retrouvent dans une unité d'atmosphère et de ton, la touche ne respecte plus le contour et réduit les volumes à de pures taches de couleur. Dans les Ménines (1656, id.), œuvre qui reprend notamment le thème des miroirs, les formes se dissolvent sous le jeu de la lumière et de l'ombre : dans ces jeux du regard, la peinture se réduit, comme le dit Lafuente Ferrari, " à pure apparence, pure visualité, réalité subjective jusqu'à la limite extrême où elle paraît s'évanouir ". Toutefois, l'indépendance hautaine de l'art de Velázquez défie toute classification.
Sous le règne de Charles II, la peinture reflète des caractères plus nettement baroques. Francisco Herrera le Jeune a étudié à Rome et rapporte d'Italie les retables à colonnes torses, les raccourcis, les diagonales. Carreño de Miranda, influencé par la technique de Rubens, reflète sur un ton mineur le faste pompeux et triste de la cour de Charles II. Valdés Leal, après avoir peint avec une technique fougueuse des œuvres où le mouvement s'allie à un coloris brillant, interprète avec une violence macabre le thème de la fuite du temps et des grandeurs déchues dans Los Jeroglificos de nuestras postrimerias. Finis gloriae mundi et in ictu oculi (Séville, hôpital de la Caridad). Les architectures de la sacristie de l'Escorial se prolongent dans la Sagrada Forma, où Cl. Coello crée une illusion de miroir. En fait, si l'on excepte F. Rizi, ce sont surtout des Italiens qui ont exécuté les peintures de plafond en Espagne. En 1692, à la mort de Coello, dont les fresques ont disparu dans un grand incendie, le Napolitain Luca Giordano, qui dut à sa rapidité d'exécution le surnom de " Luca fa presto ", poursuivit l'exécution des fresques de l'Escorial.
Si le terme baroque est avant tout synonyme d'" architecture ", il existe réellement une peinture qui mérite bien l'épithète de baroque. Conçue en fonction d'un édifice qu'elle modifie ou qu'elle épouse, elle se plaît à l'illusionnisme des murs troués, à l'expansion et au mouvement, aux déséquilibres apparents qui dissimulent une rigoureuse cohérence interne. Qu'il s'agisse du plafond Barberini ou de l'univers de Rubens, cette peinture, décorative ou de chevalet, a créé un nouvel espace dynamique réalisant l'unité dans le multiple, la permanence dans le mouvement.