Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
S

symbolisme

Définition du symbolisme

Un " symbole " peut être forme plastique, mot ou phrase mélodique, mais il signifie toujours un contenu qu'il transcende. Jailli spontanément de l'inconscient, il éclaire soudain l'intelligence et lui manifeste la réalité invisible. Il peut n'être parfois que simple référence aux choses de l'esprit, mais, s'il révèle pleinement le songe de l'artiste, il devient synthèse de la pensée et des aspirations de la conscience.

   Le signe symbolique est lié depuis toujours à la peinture. Il est la force magique des évocations rupestres et de l'art religieux égyptien. Il peut être aussi le cercle, porteur d'éternité et de perfection ou le ôm bouddhique, expression de la Trimourti. Le symbole chrétien, qui dit l'indiscible, fut aussi l'élément essentiel de la fresque médiévale et byzantine. Lorsque la Renaissance découvre l'Antiquité et l'humanisme, le symbole prend une place prépondérante pour transmettre à l'esprit l'idée devenue primordiale : en quelque sorte il devient langage. L'iconographie, de plus en plus chargée de valeurs symboliques, devient alors inextricable malgré l'étude iconologique de Ripa (1593). On pourrait, en un sens, déjà parler de Symbolisme à propos de l'œuvre de Léonard de Vinci, des fabulations diaboliques de Hieronymus Bosch ou des gravures emblématiques de Dürer et d'Altdorfer. Le Maniérisme exacerbé, les métamorphoses d'Arcimboldo, les allusions solaires de Versailles ressortiraient aussi à une même inspiration.

   Cependant, il paraît plus juste de conserver au terme Symbolisme une acception historique précise qui le dégage des qualificatifs esthétiques vagues. Le terme définit alors, dans la seconde moitié du XIXe s., les tendances artistiques idéalistes qui se développent en opposition au positivisme scientifique et au naturalisme bourgeois. Le progrès de la science, le développement de l'industrie et de la technicité, la fièvre du commerce et la naissance du socialisme ont entraîné la formation du naturalisme littéraire et du réalisme artistique qui, après le vérisme charnel de Courbet, aboutira parallèlement à la réalité exacerbée de l'Académisme et à l'obsession de la lumière vraie de l'Impressionnisme. Mais ils ont suscité aussi une angoisse profonde sur le sens de la vie et le destin de l'homme, un besoin spirituel, accusé par la déchristianisation et la nécessité pour l'écrivain ou l'artiste de se créer de nouveaux dieux. Cette localisation historique du terme correspond d'ailleurs exactement à son apparition dans la littérature, au moment où théoriciens et poètes le créent pour expliquer leurs rêves et leurs recherches. Parmi eux, Baudelaire fut le premier à tenter une exploration des profondeurs de l'âme humaine, un inventaire des impulsions et des terreurs cachées qui meuvent et broient le cœur (les Fleurs du mal, 1857). Il parle indifféremment de Symbolisme ou de Surnaturalisme pour définir sa poésie ou celle d'Edgar Poe.

Les précurseurs

En art, le Symbolisme trouve ses racines dans certains aspects du Romantisme, pictural ou littéraire, qui connaissait déjà les sujets étranges, les allusions poétiques ou l'évocation des tourments intérieurs. C'est le cas des peintres français comme Gérard ou Girodet qui, dans un néo-classicisme sentimental, illustrent Ossian et les fantômes des héros. Il en est de même, en Angleterre, des aquarelles fantastiques de Heinrich Füssli et de William Blake ou des évocations presque délirantes de John Martin. Le Symbolisme puise aussi son mysticisme chez les Nazaréens et son sens du mystère et du merveilleux chez les romantiques allemands. Inspirés par Jean-Paul ou Novalis, des artistes comme Caspar David Friedrich (Un cimetière de couvent sous la neige, 1819, musées de Berlin) ou Philipp Otto Runge (le Matin, 1808, Hambourg, Kunsthalle) sont en effet très proches dans leur rêverie idéaliste des symbolistes proprement dits.

Les préraphaélites

La création en Angleterre, en 1848, par Rossetti et Millais, de la Confrérie des Préraphaélites (Pre-Raphaelite Brotherhood) peut être considérée comme la première manifestation véritable du Symbolisme. Sous l'impulsion de leur théoricien John Ruskin, les Préraphaélites ont proclamé leur refus du réel historique au profit d'une vision idéaliste de l'homme et pour ce faire leur rattachement esthétique à l'art gothique et à la peinture du quattrocento. Les premiers maîtres du mouvement furent John Everett Millais (le Christ dans l'atelier du charpentier, 1850, Londres, Tate Gal.), William Holman Hunt (la Lumière du monde, 1854, Oxford, Christ Church), Charles Allston Collins et l'Italien Dante Gabriel Rossetti (l'Adolescence de la Vierge Marie, 1849, Londres, Tate Gal.) qui trouvent leur inspiration dans la méditation des vertus du Christ ou l'intensité de sentiment des ballades de John Keats, republiées en 1848, comme la Belle Dame sans merci et Isabelle ou le pot de basilic. Leurs toiles offrent un hyperréalisme des costumes, des objets, des plantes et des fleurs, beaucoup plus héraldique qu'historicisant. Sympathisant mais plus indépendant, Ford Madox Brown (Manchester, décorations de l'hôtel de ville, 1880-1893) partage les recherches médiévales et spiritualistes de la Confrérie en les nuançant d'une note socialisante (l'Adieu à l'Angleterre, 1855, Birmingham Art Gallery). La deuxième vague du Préraphaélisme voit le succès de Rossetti, longtemps hanté par le souvenir de sa femme, Elizabeth Siddal (Beata Beatrix, 1864, Londres, Tate Gal.), et d'Edward Coley Burne-Jones, admirateur fervent de Botticelli (l'Enchantement de Merlin, 1874, Port Sunlight, Lady Lever Art Gallery). Fortement marqués par la Divine Comédie de Dante et les Idylles du roi d'Alfred Tennyson, ils exaltent le mythe des chevaliers de la Table ronde (Burne-Jones, Sir Galahad, 1858, Cambridge, Massachusetts, The Fogg Art Gallery), la cruauté et la pitié d'un Moyen Âge légendaire (Rossetti, La Pia de Tolomei, 1868-1880, University of Kansas, Spencer Museum of Art). Ils ont su créer un type de femme, d'une beauté lointaine et insensible, proche de celles qui traversent les poésies d'Algernon Charles Swinburne. Mais, qu'elles traduisent l'obsession du miroir, les errances de la folie ou la fascination des enchanteresses, leurs œuvres révèlent toujours un grand souci de la ligne et la recherche d'un coloris puissant, aux tons rares. William Morris donnera de ces thèmes une interprétation décorative (Fresques du cycle d'Arthur, 1858, Oxford, Union Club) et les mettra en valeur dans la tapisserie et le vitrail. D'autres artistes participèrent aussi au mouvement préraphaélite et exposèrent à la Grosvenor Gallery : George Frederick Watts dont les grandes figures symboliques s'estompent dans un coloris subtilement flou (l'Espérance, 1885, Londres, Tate Gal.), Walter Crane, attiré par l'étrange et dont les Chevaux de Neptune (Munich, Neue Pin.) s'irisent de couleurs opalescentes, Arthur Hugues aux rêveries mélancoliques (Amour d'avril, 1856, Londres, Tate Gal.), Frederick Sandys (la Fée Morgane, 1864, Birmingham Art Gallery), Simeon Solomon, John Roddam Spencer-Stanhope, John Melhuish Strudwick ou John William Waterhouse, qui traite les légendes préraphaélites avec un académisme poétique et somptueux (Circé Invidiosa, 1892, The Art Gallery of South Australia).

Les précurseurs du Symbolisme français

À Paris, la présentation des Préraphaélites à l'Exposition universelle de 1855 eut un grand retentissement. Elle apportait au public parisien une vision artistique bien différente du Naturalisme de Courbet ou de la grande peinture d'histoire du second Empire, qui rejoignait les recherches de Chassériau, de Gleyre dans ses Illusions perdues (1848, Louvre) ou de Millet dans l'Angélus (1859, Paris, Orsay). Proches des Préraphaélites, les " Nazaréens français " de l'école mystique de Lyon, Orsel ou Louis Janmot, avec les paraboles de son Poème de l'âme (Lyon, musée des Beaux-Arts), ont peint des allégories spirituelles qui réclament déjà un code d'interprétation mais qui restent des œuvres essentiellement catholiques.