Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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malades mentaux (expression picturale des) (suite)

Les artistes malades psychiques

Certains peintres parmi les plus grands ont connu, au cours de leur vie, des états pathologiques pendant lesquels leur œuvre s'est complètement transformée et porte indéniablement l'empreinte de la maladie. Peuvent être cités : Hugo Van der Goes, Piero di Cosimo, Parmesan, Pontormo, Goya, William Blake, Géricault, Méryon, Josephson, Hill, Ladislas Paal, Vincent Van Gogh, Munch, Kubin, de Pisis, Leonora Carrington, Antonio Mancini, Dieffenbach.

   De nombreuses études et monographies furent consacrées à certains d'entre eux, dont Munch (état névrotique avec éthylisme, ou psychose), Carl Fredrik Hill (délire schizophrénique), Goya (artérite cérébrale probable), Van Gogh (épilepsie temporale pour l'école française classique, schizophrénie pour l'école allemande, messianisme et recherche narcissique de soi pour les auteurs actuels).

Méthodes cliniques et expérimentales

L'étude des expressions plastiques des malades mentaux a nécessité une élaboration des méthodes au sein de ce que l'on appelle actuellement la " psychopathologie de l'expression ".

La pluralité méthodologique

La psychopathologie de l'expression, créée en 1959, rapproche deux termes connus : " psychopathologie ", concernant la psychiatrie et la psychologie, et " expression ", manière d'être du créateur, de l'interprète, du public, de chacun, et objet d'étude. Elle met en cause l'art, l'homme et la folie, et leurs domaines respectifs : l'esthétique, la psychologie, la psychiatrie et, au-delà, toutes les conduites de communication et leurs moyens méthodologiques. Elle se montre solidaire de l'état de la science contemporaine, considérée en tant qu'attitude, comportement, et témoignant d'une activité, c'est-à-dire d'une technique. La pluralité de ses objets et l'intrication de ses champs d'investigation exigent non une méthode univoque et distincte, mais une méthodologie pluridimensionnelle sur les plans clinique, psychologique (introspection et " Einfühlung ", psychologie de la forme, phénoménologie, psychanalyse), comparatif, expérimental. Elle fait appel à tout un éventail de procédés : pédagogie, éducation, graphologie, linguistique, esthétique, poétique et musicologie, ethnologie, sociologie, historique, dynamique des groupes, psychophysiologie, psychopharmacologie, thérapeutique, psychométrie, analyse factorielle, prospective, automatique, en tenant compte de leur propre développement, de la verbalisation et de la mathématisation actuelle de la connaissance, qui assurent la primauté au mot et au chiffre, à la langue et au calcul, vis-à-vis de l'image.

   Chacune de ces méthodes connaît sa propre critique, qui en mesure la portée, en délimite le champ, en élabore les outils, et qui les éprouve. Mais la critique essentielle tend à démontrer qu'existe une erreur de base, méthodologique précisément, qui est d'appliquer à un domaine des méthodes qui ne lui sont pas destinées ; c'est ce gauchissement, cette distorsion des moyens qui, pour certains, ne peut être admise. Mais l'utilisation des méthodes les plus différentes doit demeurer l'unique règle, seule capable de rendre les faits dans leur complexité et de favoriser le développement et réseau du savoir. Il est nécessaire de provoquer toutes les hypothèses de travail, de les retenir en fonction d'une application précise dans tel ou tel secteur, le choix des méthodes dépendant des projets. C'est à ce niveau particulier, aussi bien que partiel, du projet et de ses méthodes que la critique peut et doit s'exercer. Les résultats de ces recherches pluridimensionnelles permettent d'avancer dans la connaissance des expressions plastiques, communications interhumaines non verbales ou " art ", et d'aborder, dans un esprit nouveau, les thérapeutiques utilisant l'image ou l'objet dans la relation transférentielle. Ces méthodes de traitement par les expressions d'art aboutissent à une fécondation des recherches expérimentales, qui peuvent, inversement, leur assurer des développements futurs. Les directions de recherche, devant tenir compte des ambiguïtés, jouent sur des instances contradictoires et ouvrent sur un accroissement réciproque des connaissances.

La méthode clinique

Employée en premier temps, elle s'appuie sur l'observation et la description, et recherche une symptomatologie graphique correspondant à la symptomatologie clinique des maladies. L'œuvre est conçue comme symptôme, ayant une structure bipolaire, et est un compromis entre les principes opposés du plaisir et de la réalité, possédant une valeur diagnostique et dynamique. Elle explicite, à partir des formes signifiantes, une situation globale ou partielle du malade dans l'œuvre, et de l'œuvre vis-à-vis du malade.

Les méthodes psychologiques

Méthodes indirectes, elles complètent, au fur et à mesure de leur développement, la méthode clinique directe. Les concepts de l'Einfühlung ou de l'empathie mettent l'accent sur la connaissance intuitive. Il est utile de connaître sa propre conscience ou d'éprouver soi-même l'émotion devant l'œuvre d'art. L'introspection maintient l'observateur au niveau de la conscience. Les théories de la perception aboutissent à la psychologie des formes. Les formes, ou " Gestalten ", tendent à se détacher, grâce à la prégnance, comme ensembles limités, ayant une unité subjective, à constituer une figure qui se détache du fond, non différencié. Elles s'actualisent à partir du stade primitif des " pré-formes ". Ces troubles de l'actualisation peuvent dépendre de processus pathologiques. L'évaluation du monde des formes ne peut être qu'artificiellement séparée de la connaissance des thèmes et des images qui se coulent dans elles.

   La phénoménologie considère les expériences vécues des malades ou des artistes et remet l'œuvre dans son contexte émotionnel et volitionnel, extériorisant les significations par rapport au créateur et par rapport aux autres.

   La psychanalyse amène à saisir en profondeur les contenus signifiants, en insérant au niveau de l'image les pulsions instinctives, la sexualité et les souvenirs de l'enfance grâce à l'association des idées, aux rêves et aux fantasmes.

La méthode comparative

Elle propose une confrontation avec des domaines voisins appartenant à l'esthétique et à la psychologie : les dessins de l'enfant, les arts dits " primitifs ", l'art moderne et, de manière solidaire, toute forme artistique. Elle rapproche des faits et des méthodes, étrangers par destination, et permet une extension du champ de l'investigation, qui ne connaît pratiquement plus de limites, mais engage vers les faits extérieurs.

La méthode expérimentale

Les psychodysleptiques, notamment le LSD 25 et la psilocybine, ont été utilisés chez des sujets non malades, artistes ou non, tout d'abord dans le but d'obtenir des œuvres illustrant les troubles psychosensoriels produits par la drogue, puis dans celui d'étudier l'action du produit sur la personnalité même du peintre et sur son activité spécifique et originale, la création picturale. Sont analysés le comportement artistique au sein même de l'expérience dans ses déviations et ses distorsions, et les caractères structuraux des œuvres produites avant, pendant et après l'expérience.

Recherches appliquées et recherches fondamentales

Technique d'analyse picturale formelle et sémantique (C. I. D. E. P.)

Pour tenter de mieux saisir l'expression picturale, un système d'analyse a été établi en trois plans recoupant les niveaux de signifié et de signifiant :— plan formel touchant le graphisme de l'œuvre plastique ;— plan sémantique touchant d'une part l'ensemble de l'œuvre dans une notion linguistique de métonymie ou de métaphore (G. Rosolato), d'autre part les représentations de l'œuvre, les éléments sémiologiques dans les notions de syntagme et de paradigme.

   L'analyse formelle se fonde sur la valeur accordée à la simple perception avec choix de critères intersubjectifs, évitant toute interprétation personnelle de la part des analyseurs, d'items pouvant être immédiatement utilisés.

   Le dessin ou la peinture sont observés dans leurs différents constituants : format, position, matière (unique ou diverse et, dans ce cas, homogène ou non), outil et procédé (uniques ou pluriels), technique de l'exécution, utilisation de la surface, caractéristiques du trait et des surfaces peintes, choix et nombre des couleurs employées et rapport entre elles, utilisation des valeurs, construction ou disposition de l'œuvre, méthode perspective, emploi et nature de la touche du peintre.

   L'analyse sémantique linguistique porte sur l'œuvre considérée dans son ensemble et appréhende celle-ci :— soit comme immédiatement significative, métonymique : trace, rythme, lettre, signe représentatif (pictogramme), objet représenté (picturalisation) ;— soit comme ambiguë, métaphorique : signe non représentatif (cryptogramme), où le signifié de l'œuvre est incertain pour le spectateur ; symbolisation où il est difficile de déterminer le sens général du tableau à partir de ses détails parfaitement représentés.

   L'analyse sémantique sémiologique s'intéresse à la signification des divers éléments de la phrase picturale : ceux-ci peuvent être directement saisissables (syntagmatiques) ou non immédiatement significatifs et laissant une marge d'incertitude (paradigmatiques). Cette étude sémiologique peut être poussée plus loin suivant une méthode de style grammatical, lexique ou syntaxique en considérant les représentations, leurs situations, leurs actions, comme étant respectivement vocabulaire, déclinaison et conjugaison, et les relations des différentes actions des représentations comme construction des différents membres de la phrase.

   Cette méthode d'analyse picturale, qui appréhende les structures physiques et logiques de l'image, amène à un système d'automatisation documentaire, c'est-à-dire à une possibilité de divulgation sous forme analytique et mobile du contenu conceptuel des documents iconographiques.