Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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baroque (suite)

Baroque et Contre-Réforme

Au début du XVIIe s., l'Europe est bouleversée et divisée à la suite des guerres de Religion. Les forces novatrices de la bourgeoisie et de la Réforme menacent l'Europe des Habsbourg. Les États riches d'avenir — tels que la Hollande, l'Angleterre, la Suède, auxquels se sont jointes les villes marchandes et une France qui, malgré l'absolutisme de ses monarques, trouve sa force dans la richesse de sa bourgeoisie — se heurtent à un monde en pleine gloire mais déjà proche de son déclin. L'Allemagne est divisée en petits royaumes aux structures encore féodales. L'Espagne est à peu près ruinée par les guerres de Philippe II, l'expulsion des morisques et la faiblesse de ses rois. Au milieu de cette Europe en guerre, Rome est en paix. C'est là que naît le Baroque : art triomphal mais aussi art d'illustration, qui marquera l'apothéose d'une Église universelle qui ne l'est déjà plus. Bien qu'on ne puisse réduire le Baroque à son seul aspect religieux, on ne peut négliger le fait qu'il a été diffusé surtout dans les pays pour lesquels la soumission au concile de Trente constituait un fonds culturel commun et qu'il a rencontré de très vives résistances dans tous les pays réformés, en particulier en Hollande. Il faut se garder d'identifier Baroque et Contre-Réforme. Toutefois, du point de vue de l'histoire des idées, on ne saurait oublier l'importance de la défense et de la revalorisation des images : d'une part, elles favorisent, au contraire de la Réforme, l'essor de l'œuvre d'art religieuse ; d'autre part, elles assurent la continuité de la thématique et de la forme de la Renaissance. Si le Baroque n'est pas l'art des Jésuites, il ne faut pas sous-estimer l'influence que les Exercices spirituels de saint Ignace exercent, surtout au début du siècle.

La peinture baroque à Rome

Au XVIIe s., Rome est par excellence la ville où l'on apprend à peindre. Caravage, en s'opposant à la tradition, et les Carrache, en vivifiant l'art de la fresque, ouvrent la voie aux nouvelles conceptions picturales. Le premier, au nom de la réalité, se dégage du raffinement maniériste et la transforme en contrastes de lumière et de ténèbres. Il commence le renouvellement profond de l'iconographie religieuse en substituant à une vision hagiographique de l'histoire une vision actuelle, vive et dramatique. Celui qui regarde le tableau s'insère dans sa perspective et, à travers la lumière, participe à la vision personnelle et inexprimable du miracle : Conversion de saint Paul (v. 1601, Rome, S. Maria del Popolo). Le second artiste qui prépare à Rome l'épanouissement de la peinture baroque est Annibale Carracci. Il entreprend, de 1597 à 1604, la décoration de la Galerie Farnèse, point de départ de la grande décoration baroque. Les scènes sont encore compartimentées selon la méthode maniériste des " tableaux rapportés ", mais tout est unifié par un rythme joyeux et dynamique qui annonce les temps nouveaux.

   Un vigoureux courant classicisant (R. Wittkower emploie le terme de " classical baroque ") domine la première moitié du siècle. Les élèves des Carrache — Dominiquin, Guido Reni, Guerchin — développent à Rome des grands cycles de décoration. Le triomphe de Lanfranco sur le classicisme extrême de Dominiquin révèle l'évolution du goût. Dans la coupole de S. Andrea della Valle (1621-1625), Lanfranco rompt avec le système du compartimentage et s'inspire de la perspective illusionniste de Corrège à Parme.

   En 1621, Guerchin exécute l'Aurore au plafond du Casino Ludovisi — antithèse de celle peinte par Guido Reni au Casino Rospigliosi —, composée comme une frise et selon le principe du tableau rapporté. Guerchin, en fait, instaure la perspective illusionniste et ouvre les architectures sur le ciel. C'est Pierre de Cortone qui réalise les fresques les plus éclatantes de la décoration baroque : peintre, architecte, décorateur et dessinateur de sculptures, il est presque contemporain de Bernin et de Borromini. Dans une de ses œuvres majeures, le plafond du palais Barberini (1633-1639), les architectures et les sculptures feintes se fondent dans un effet de peinture totale, et les allégories complexes sont unifiées dans le mouvement, si bien que tout contenu didactique se transforme en rythme pur. Dans le compartiment principal, la Divine Providence, trônant sur les nuages au-dessus de Chronos et de la Parque, reçoit une couronne d'étoiles de la main de l'Immortalité et montre le blason des Barberini. Le poème emblématique dicté par Bracciolini continue sur les quatre scènes autour du cadre central et illustre le travail temporel du pape. Fait remarquable, les formes aussi continuent sans être interrompues par le cadre, masqué par les atlantes en stuc peint et que débordent les personnages trônant sur les nuées. Le cadre fait alors partie intégrante du tableau, et tout l'espace se trouve profondément unifié. La couleur, influencée par les Vénitiens, est chaleureuse et souligne l'unité de l'œuvre. Le contraste des complémentaires est savamment employé pour rendre évidents non seulement des rapports formels, mais aussi des centres de signification : ainsi dans l'alternance des rouges et des verts des Muses qui soutiennent la couronne de lauriers et dont les intervalles chromatiques rythment le vol des puissants personnages en raccourci. Le cercle qui représente la gloire des Barberini se trouve sur l'orbite d'un autre mouvement circulaire plus général, qui a comme centre la lumière divine. Tout cet enchaînement de significations emblématiques, telles des métaphores filées, est unifié par le mouvement. Dans ce poème sacré tout devient rythme pur, et les formes semblent s'engendrer spontanément l'une l'autre. Dans son Traité, Pierre de Cortone compare la fresque au genre épique, avec un thème principal, mais plusieurs épisodes qui sont nécessaires pour lier les groupes. Ces théories, qui illustrent bien la conception unitaire de la peinture baroque, sont combattues par Sacchi et par ses disciples, qui prennent la relève de la génération classicisante des élèves d'A. Carracci et qui, au nom de la lisibilité de l'œuvre, réfutent le nombre des personnages qu'autorise l'" unité multiple ".

   Gaulli, dit Baciccio, reprend les idées défendues par Cortone contre Sacchi. Dans sa décoration du Gesù (1674-1679), influencée par Bernin, de vraies statues d'anges et l'architecture de l'église se fondent avec la fresque. Ainsi se constitue une entité picturale où il n'y a plus de frontière mais une intégration des différents modes d'expression. L'artiste cherche à surprendre le spectateur par cet éclatement du cadre, où la réalité ne se distingue plus de l'illusion. L'œil ne peut s'arrêter aux personnages, mais traverse des zones de lumière et d'ombre. On ne distingue plus masses et couleurs : la conception mystique de la lumière divine donne au sujet une unité ineffable.

   En 1691, le père Pozzo, auteur d'un Traité de la perspective, décorateur de théâtre et virtuose de la quadrature, illustre, dans la voûte de Saint-Ignace, l'œuvre missionnaire des Jésuites. Ici, le vrai sujet est les gigantesques architectures feintes, qui prolongent les vraies, et parmi lesquelles se perdent de minuscules personnages.

La peinture baroque en Italie, hors de Rome

Le Baroque romain n'est pas le seul Baroque existant en Italie. Des écoles très riches et très différentes se développent : surtout à Gênes, avec G. B. Castiglione, B. Strozzi, G. de Ferrari, A. Magnasco ; à Naples, fief caravagiste où travaillent l'Espagnol Ribera et ses élèves ; à Milan, où Morazzone et Cerano sont influencés par la doctrine borroméenne. C'est à Venise, dont les recherches du siècle précédent ont vivifié toute la peinture européenne de l'époque, que brillent les " derniers feux " du Baroque : la fête se dissout dans la touche " impressionniste " de ses peintres. Les fresques de Tiepolo font déjà partie d'une autre époque.

La peinture baroque dans les Pays-Bas espagnols

Personnalité européenne souvent chargée d'importantes missions diplomatiques, Rubens s'établit à Anvers après un séjour à Rome de 1600 à 1608. Sa peinture se rattache d'un côté à l'art flamand et de l'autre elle assimile la nouveauté des recherches qui de Michel-Ange, à travers les artistes de Parme et de Mantoue, aboutissent à Tintoret. La composition géométrique de la Renaissance, faite de contrastes multiples et équilibrés, ne résiste pas à la vitalité de l'art de Rubens. Toute stabilité est abolie et la bigarrure de l'univers est saisie dans son changement. Les intentions apologétiques des commanditaires favorisent l'explosion de ce monde grandiose et tourbillonnant, où l'histoire devient une vivante allégorie. Les tableaux de la Galerie de Médicis, faits pour le Luxembourg (Louvre), sont un bel exemple de la façon dont Rubens a su transposer les faits de la chronique contemporaine.

   Dans l'Enlèvement des filles de Leucippe (v. 1618, Munich, Alte Pin.), le raccourci et la torsion sont associés à un extraordinaire lyrisme de la couleur. Rubens ne respecte plus les systèmes du clair-obscur italien, obtenu par l'adjonction du noir : les ombres brunes sont rendues incandescentes par du rouge, surtout dans les carnations claires. Les corps des femmes, nacrés et rehaussés de carmin, s'opposent aux corps sombres des ravisseurs dans un jeu de courbes et de contre-courbes, le cheval bai et le cheval pommelé sont intégrés dans une spirale où les oppositions sont prises dans un rythme général qui tourbillonne. C'est à partir de 1620 que Rubens exécute les grandes compositions des Mages de Saint-Michel d'Anvers, l'Assomption de la cathédrale, le Mariage mystique de sainte Catherine et les grands cycles de Saint Charles Borromée à Anvers, de Whitehall en Angleterre ; il dessine aussi les tapisseries pour les carmélites de Madrid. Son rayonnement, immense sur toute l'Europe, marque particulièrement la peinture flamande, sans que personne n'ait su recueillir son héritage grandiose pour entreprendre de nouvelles recherches. Van Dyck, qui travailla dans l'atelier de Rubens v. 1618, avant de voyager en Italie et en Angleterre, fut surtout le portraitiste d'une aristocratie raffinée et languissante. Dans ses tableaux, le mouvement est suspendu, mais le rendu des matières atteint la perfection dans le miroitement des lumières et le chatoiement des satins. Le réalisme de Jordaens évoque surtout des fins de banquet, et la touche légère qu'avait Rubens se transforme dans ce travail en pleine pâte. Les autres ateliers anversois sont partagés entre la tradition de Bruegel et le Caravagisme.