Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
M

maniérisme (suite)

Angleterre

L'art de cour, qui est l'un des aspects significatifs du Maniérisme, favorisé en Angleterre par les conditions historiques, atteignit au XVIe s. un éclat dont nous ne savons malheureusement plus grand-chose aujourd'hui, car la plupart des œuvres ont disparu. Il fut encouragé par des souverains mécènes pour qui l'art était, souvent, un instrument de prestige. En fait, l'Angleterre paraît au début de la Renaissance singulièrement retardataire par rapport au reste de l'Europe : Henri VIII fit appel à des étrangers, notamment aux Flamands, réputés pour l'excellence de leur technique et aux Italiens considérés comme les vrais créateurs de l'art contemporain. Il tenta d'acclimater en Angleterre le Maniérisme florentin ou romain avec Toto (Antonio di Nunziato d'Antonio), Bartolomeo Penni et Nicolas Bellin de Modène, qui introduisit également à la Cour le style décoratif bellifontain et dont les projets (Louvre, cabinet des Dessins) montrent une adaptation intéressante des motifs de Rosso et de Primatice. Se rattachant au Maniérisme international et rappelant par leur froideur et leur gamme colorée Floris et Jan Metsys, des artistes flamands (Scrots, Eworth) peignirent des " allégories " au sujet complexe ou des mythologies.

   Si les Italiens ont joué un rôle capital pour la décoration, les Flamands ont dominé l'art du portrait, qui s'est développé considérablement sous le règne d'Élisabeth : des genres propres à l'Angleterre se sont alors épanouis, comme les portraits allégoriques de souverains, sortes d'icônes profanes à tendance politique ou, dans le domaine de la miniature, parfait exemple du goût maniériste pour le " minuscule ", les créations raffinées de Nicholas Hilliard et d'Isaac Oliver.

France

C'est à Fontainebleau que se développa l'un des centres maniéristes les plus remarquables de la Renaissance grâce à l'intelligente politique artistique des rois. Non seulement, comme François Ier, ceux-ci surent s'entourer d'artistes italiens (Rosso, Primatice), qu'ils retinrent définitivement en France, mais encore ils réunirent autour d'eux des collections d'œuvres d'art prestigieuses, dont la présence à Fontainebleau fut importante dans la création du nouveau style.

   Celui-ci apparaît dans sa perfection au château de Fontainebleau, où s'élabora, sous la direction des Italiens d'abord, un art décoratif d'une telle originalité qu'on l'appela " la manière française ".

   La galerie Francois-Ier, encore conservée, montre toute la complexité formelle et iconographique de cet art de cour, dont d'autres exemples, plus altérés, sont encore en place (chambre de la Duchesse d'Étampes, salle de Bal). Rosso et Primatice, servis par des collaborateurs de classe (Luca Penni, Nicolò Dell'Abate), abordèrent tous les genres et s'imposèrent dans le décor d'inspiration mythologique, le nu et le paysage. Largement diffusé par la gravure, adapté dans les tapisseries, le nouveau style bellifontain connut un succès auquel peu d'artistes français échappèrent (les Cousin, François Clouet).

   Imité dans les châteaux (Oiron), le décor de stuc et de fresques de Fontainebleau fut souvent, par économie, traduit uniquement en peinture (Écouen). Le développement du cadre ornemental, dont l'importance est souvent plus grande que celle du tableau principal, est caractéristique du style bellifontain et eut un succès qui s'étendit aux techniques les plus diverses (armes, livres, miniatures, meubles, orfèvrerie). Des dessinateurs au talent distingué (Delaune) servirent avec bonheur cette mode, de même que des graveurs (J. Androuet du Cerceau).

   On créa aussi, en liaison avec les modèles de la Cour et par l'intermédiaire de grands peintres comme François Clouet, le type du portrait mythologique, avec des figures vues à mi-corps, d'un érotisme raffiné (Dame à sa toilette, musée de Dijon).

   La vogue du style " miniature " (Delaune), celle des allégories sophistiquées (Caron) continuent jusqu'à la fin du siècle, alors que, dans les dernières années, sous Henri IV, un Maniérisme tardif, fortement influencé par le Maniérisme nordique et par le style des décorateurs précédents (et singulièrement par l'époque d'Henri II), renouvelait technique et sujet, redonnant un éclat assez remarquable au vieux château. Dominés par des Flamands et non plus par les Italiens, Dubreuil, Dubois, Fréminet reprennent plus lourdement et en le simplifiant le décor de stuc et de fresque ; leur manière, plus colorée, est proche du Maniérisme international, et leurs sujets sont empruntés à de nouvelles sources (romans grecs, littérature italienne). Cette seconde école de Fontainebleau a produit un des chefs-d'œuvre du Maniérisme, la décoration de la chapelle de la Trinité (château de Fontainebleau).

Écoles du Nord (Flandre, Hollande, Allemagne)

Les personnalités exceptionnelles de Bosch et de Bruegel dominent le siècle et posent un problème tout particulier vis-à-vis du Maniérisme. On a qualifié de maniériste la peinture anversoise vers 1520, épithète qui fut, parfois, sérieusement critiquée, bien que la préciosité de l'exécution et la coquetterie des attitudes des personnages y fassent bien souvent penser. En fait, ces maîtres souvent charmants (Engebrechtsz) annoncent l'œuvre italianisante d'un Pieter Coecke Van Áelst, celle d'un Scorel, fasciné par l'antique et l'Italie, autant que l'éclectisme d'un Heemskerck.

   Les romanistes, dont les expériences ont été annoncées par Gossaert, sont dominés par Frans Floris, qui sut assimiler la culture italienne tout en restant fidèle à un tempérament puissant) qui le préserva d'un académisme où s'enlisa malheureusement parfaitement son école. Chez Michiel Coxcie, chez Lambert Lombard, la leçon italienne est aussi assimilée parfaitement, comme chez Maerten de Vos. Quant à Lambert et Friedrich Sustris, mis à part certains détails techniques, ils sont tout italiens, comme devient italien aussi un Pietro Candido (Pieter de Witte). Pour presque tous ces artistes, la culture italienne est, en effet, capitale, comme chez Goltzius, mais n'entamera pas les qualités fondamentales du Réalisme nordique : les œuvres à sujet mythologique offrent, ainsi, un contraste saisissant avec les portraits. C'est donc dans certains thèmes traditionnels que l'originalité des maîtres des Pays-Bas se fait jour, singulièrement dans le paysage (Coninxloo, Savery, avant les Bril) ou la nature morte (Hoefnagel). Dans des centres très actifs, à Haarlem, à Utrecht, à la fin du siècle, s'élabore un art élégant et passionné (Cornelisz Van Haarlem, Wtewael, Bloemaert). Les couleurs discordantes, les recherches expressives de ces peintres sont typiquement maniéristes. Ils se distinguent aussi par une grande délicatesse d'exécution, qui annonce souvent l'art du XVIIIe s. En Allemagne, si Dürer et Holbein échappent au Maniérisme, l'" école du Danube ", qui groupe des artistes divers (d'ailleurs sans rapport avec la région du Danube), de Cranach à Wolf Huber, s'y rattache par l'irréalisme fantastique de ses paysages : les nus de Cranach ont un accent singulièrement érotique, que le peintre se plaît encore à accentuer en les entourant de voiles transparents ou en les parant de bijoux somptueux. Il emprunte des motifs de composition à l'Italie, mais les peint avec une rigueur de dessin et une froideur encore gothiques qui leur donnent un charme singulier. Certains de ces caractères et une grande saveur d'exécution marquent aussi l'œuvre du Suisse Niklaus Manuel Deutsch. Un foyer maniériste tardif particulièrement brillant se constitua à Prague à la cour de Rodolphe II, qui sut, à l'instar de François Ier, réunir des artistes remarquables et une précieuse collection d'œuvres d'art. L'étrange, l'érotique, le précieux y furent encore plus appréciés qu'à Fontainebleau et — sous le pinceau de Spranger, de Heintz, de Hans von Aachen — ont souvent un charme un peu trop insistant : leurs expériences ont été préparées par Karel Van Mander ou Speckaert à Rome. Mais on reste séduit par une invention qui annonce le Baroque ou le Rococo et par une technique raffinée (Spranger, Hercule et Omphale, Vienne, K. M.).