Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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Moro (Antoon Mor Van Dashorst, dit Antonio)

Peintre hollandais (Utrecht v. 1519  – Anvers 1576).

Il fut à Utrecht, v. 1570, l'élève du célèbre peintre italianisant Scorel, s'établit ensuite à Anvers, où il fut reçu franc maître en 1546. Antoine Perrenot, archevêque d'Arras et futur cardinal Granvelle, le prend sous sa protection et l'introduit à la cour de Bruxelles en 1579. Moro peint alors, outre le Portrait de Granvelle (1549, Vienne, K. M.), ceux du Duc d'Albe (1549, New York, Hispanic Society) et du futur Philippe II (Althorp, coll. Spencer). En 1550, la gouvernante Marie de Hongrie l'envoie au Portugal pour y exécuter les portraits des membres de la famille des Habsbourg. Il semble que son voyage l'ait conduit à travers l'Italie et à Rome, où il apprit à mieux connaître les portraits de Titien et de Bronzino.

   C'est très probablement à Gênes que fut réalisé, en 1550, le portrait en pied de Maximilien d'Autriche, le futur empereur, qui avait épousé la sœur de Philippe II ; le portrait de cette dernière, daté de 1551, fut peint en Espagne (tous deux au Prado). En 1552, la présence de Moro au Portugal est attestée par des documents.

   L'artiste séjourne encore un temps à Madrid, où le contact avec l'étiquette rigoureuse de la cour espagnole le révèle définitivement à lui-même. Là, le peintre met au point un type de portrait d'apparat qui sera apprécié et imité dans bien des cours européennes : portrait sobre, sans draperies décoratives et pourvu d'un minimum d'accessoires, mais d'autant plus impérieux et fascinant. Les modèles de Moro regardent, impassibles, attentifs à ne rien trahir de leurs sentiments, encore que la fixité pénétrante du regard ait quelque chose d'envoûtant.

   De ce premier séjour du peintre dans la péninsule datent le portrait de la reine Catherine de Portugal, sœur de Charles Quint (Prado), et l'admirable portrait de la Dame au joyau (id.), dont l'austérité n'exclut pas une pointe de maniérisme. En 1553, nous retrouvons Antonio Moro à Utrecht, où il achète une maison, de concert avec sa femme, Metgen. Dès l'année suivante, il est envoyé à Londres, à l'occasion du mariage de Philippe II avec Marie Tudor. Le portrait de celle-ci (1554, id.), exécuté sans flagornerie aucune, mais aussi sans intention dénigrante, est un chef-d'œuvre de vérité et de grand style. C'est à Bruxelles que Moro peint, en 1555, l'année de l'abdication de Charles Quint, l'émouvant portrait du jeune Prince d'Orange en armure, le futur Taciturne (musée de Kassel), au regard à la fois énergique et rêveur, ainsi que le charmant portrait d'Alexandre Farnèse, jeune garçon de onze ans, fièrement campé, la main sur la poignée de l'épée (1557, Parme, G. N.). De la même époque date le portrait en armure de Philippe II, destiné à commémorer la victoire de Saint-Quentin et dont il existe plusieurs exemplaires.

   En 1558 et en 1559, Moro parvient enfin à rallier sa maison d'Utrecht et il aura le loisir de se portraiturer lui-même, vêtu de satin noir, assis devant son chevalet, palette et pinceaux au poing, conscient de sa valeur, mais sans morgue aucune (1558, Offices). C'est à cette époque qu'il peint l'époque des effigies de bourgeois, plus détendus, telles celles du musicien Jean Lecocq et sa femme (1559, musée de Kassel). En août de cette année, Moro s'embarque pour l'Espagne dans la suite du roi, mais il n'y restera guère plus d'un an, le temps de peindre le pitoyable portrait de Pejeron, bouffon du comte de Benavente (Prado), et celui de l'Infante Juana, sœur de Philippe II et jeune veuve du prince du Brésil (1559, id. ). En 1560, il est déjà rentré en Utrecht, où il retrouve son maître Jan Van Scorel, dont il fixe les traits vieillis sous la forme d'un médaillon en trompe-l'œil (1560, Londres, Society of Antiquaries). De la même époque datent le Portrait du nain du cardinal Granvelle (Louvre) et celui d'un Orfèvre (1564, Mauritshuis).

   La ville d'Utrecht restera désormais le port d'attache de l'artiste, mais celui-ci n'abandonnera pas pour autant son rôle de portraitiste officiel. Il représente ainsi la nouvelle gouvernante des Pays-Bas, Marguerite de Parme (musées de Berlin), la quatrième femme de Philippe II, la jeune Anne d'Autriche (1570, Vienne, K. M.). Ces portraits alternent avec les figures de juristes et d'hommes d'affaires (Thomas Gresham et son épouse, Rijksmuseum), dont le style est devenu plus souple et l'expression psychologique plus fouillée. En 1568 et en 1569, Moro a encore passé quelques mois à Londres, comme l'attestent les dates de quelques portraits anglais.

   À partir de 1570, on n'entend plus guère parler de l'artiste. Pourtant, quelques mois avant sa mort, Antonio Moro enlève en une séance le portrait si vivant de son ami le numismate Hubert Goltzius (1576, Bruxelles, M. R. B. A.). Son champ d'action a correspondu aux pays que l'Espagne a marqués de son empreinte. Les effigies des grands personnages de son temps reflètent une observation particulièrement scrupuleuse traduite par un style très serré.

   Il est à noter que l'influence d'Antonio Moro fut grande sur Frans Pourbus le Vieux, Adriaen-Thomas Key et l'Espagnol Alonso Sanchez Coello.

Morone (les)

Famille de peintres italiens.

 
Domenico (Vérone v. 1440  – ? apr. 1518). D'origine lombarde, il passa presque toute sa vie à Vérone. Son activité semble avoir commencé v. 1471, date de la fresque, aujourd'hui perdue, de la via Mazza à Vérone (Vierge à l'Enfant entre saint Christophe et la Madeleine), sa première œuvre citée. Élève de Francesco Benaglio, il adopta d'abord, dans les volets d'orgue de S. Bernardino (Vérone, 1481), le mantégnisme superficiel de celui-ci, avec son répertoire d'éléments architectoniques, de guirlandes, et avec sa sécheresse de formes. Mais, dès 1484, comme le montre la Vierge à l'Enfant de Berlin, cette leçon ne lui suffit plus et il se tourne vers les Vénitiens, Gentile Bellini et Carpaccio. Cette collusion avec des écoles voisines se révèle encore dans l'Expulsion des Bonacolsi, tableau de bataille peint au palais ducal de Mantoue, en 1494, lors d'une des rares absences de Morone de sa ville natale : on trouve davantage l'atmosphère ferraraise que celle de Venise dans ce paysage urbain animé de figurines au rythme haché.

   Après cette première phase, qui correspond à Vérone à une période de transition marquée par l'influence de Mantegna, Morone trouva, au début du XVIe s., son style personnel. Il peignit alors surtout de grandes décorations à fresque, le plus souvent en collaboration avec son fils Francesco (à partir de 1496) : 2 fresques de l'église de Paladon, près de Valpolicella (auj. à Vérone, Castel Vecchio), représentant Huit Saints (1502) ; décoration de la bibl. Sagramoso à S. Bernardino de Vérone (1503) ; fresque de la chapelle de S. Antonio à S. Bernardino (1502). Dans sa recherche de puissance expressive empreinte d'une poésie rustique, comme dans son austérité mystique, il révèle une personnalité originale qui retrouve le langage propre de la vieille école véronaise. Domenico Morone, avec son contemporain Liberale da Verona, a fixé les caractères de l'art véronais du début du XVIe s. Sa manière mène insensiblement à celle de son élève Girolamo dei Libri, qui montre le même aspect solide des volumes, le même côté plaisant, plus qu'elle n'annonce celle de son fils.

 
Francesco (Vérone v. 1471-1529). Celui-ci fut jusqu'à la fin du XIXe s. plus connu que son père. Collaborant dès 1496 avec lui, il admira d'abord les mêmes artistes (Mantegna, Carpaccio et Antonello), qu'il interpréta, à la manière de Michele da Verona, mais avec plus de raideur (Christ en croix, 1498, Vérone, S. Bernardino).

   Jusque v. 1498, l'art de Francesco n'est pas dénué de réminiscences lombardes. Mais, de 1498 à 1515, il appliqua un " antonellisme " plus strict, jouant sur les formes géométriques dans des espaces nus : Vierge avec saint Zenon et saint Nicolas de Bari (1502, Brera), tableau d'autel (Madone et saints) de S. Maria in Organo (1503) et fresques de la sacristie de la même église représentant les supérieurs et les papes de l'ordre olivétain.

   À partir de 1515, Francesco Morone s'adapte aux milieux culturels qu'il côtoie successivement : son art reflète le piétisme des créations tardives de Montagna, avant de découvrir le renouveau classique (Sainte Catherine et donateur, Vérone, Castel Vecchio) et de subir l'influence de Carpaccio, manifeste dans une de ses plus belles œuvres : Samson et Dalila (Milan, musée Poldi-Pezzoli).

   Dans les Stigmates de saint François (Vérone, Castel Vecchio) et la Vierge à l'Enfant de l'Acad. Carrara de Bergame (entre 1515 et 1519), on perçoit le reflet des Scènes de la Passion de Cavazzola et, à travers lui, l'influence de la peinture ferraraise (Ortolano, Dosso Dossi, Garofalo), surtout dans le chromatisme et l'effet des tissus soyeux ; c'est à cette époque que Francesco travaille en étroite collaboration avec Girolamo dei Libri qui travailla avec Liberale da Verona et fut influencé par Mantegna. En 1519 arrive à Vérone le tableau d'autel de S. Biagio de Francesco Bonsignori, dont on retrouve l'aspect sombre et triste dans les œuvres de cette année (Madone du Museo Civico de Padoue, 1519 ; Lavement des pieds, Vérone, Castel Vecchio), de même que chez Cavazzola. Mais, à la mort de ce dernier, le Classicisme de Palma influença Morone (Trinité, id.), avant que celui-ci ne s'inspire enfin du Romantisme de G. F. Caroto (Saints Paul, Denis et Madeleine, Vérone, S. Anastasia).