abstrait (art) (suite)
L'Art abstrait après 1945
Après la Seconde Guerre mondiale, l'expression abstraite change radicalement d'aspect et d'intentions. À côté de la tendance purement géométrique, qui, autour de 1950, connaît en France un grand succès (Vasarely) et en dehors de certains artistes qui parviennent à une vision personnelle en atténuant la rigueur géométrique (Poliakoff), d'autres formes d'abstraction apparaissent ne se rattachant plus aux origines de l'Art abstrait (œuvres lacérées de Fontana). Si dans le passé l'Abstraction était le résultat d'une construction méditée, progressivement mise au point, elle acquiert désormais pour certains peintres une valeur expressive d'autant plus forte qu'elle est livrée à l'instant même de son accomplissement (Hartung, Soulages), attitude qui conduit également à l'Abstraction calligraphique ou au Tachisme (Sam Francis), ou alors à une abstraction ambiguë (Wols) qui a été appelée " informelle ". Toutes ces œuvres visent à une expression totale et immédiate de ce que l'artiste porte de plus profond en lui. À ce niveau, la barrière entre Abstraction et Figuration tombe et très souvent le peintre éprouve le besoin de transgresser les moyens traditionnels en se servant d'une matière que la technique courante de la peinture exclut (Fautrier).
Le cas le plus frappant de cette nouvelle tendance de l'Art abstrait a été aux États-Unis celui de Jackson Pollock. Par réaction contre la lenteur d'exécution que la peinture exige, dans une sorte de rage de peindre, il aboutit en 1947 au " dripping ", procédé où il n'a plus besoin de pinceaux parce qu'il emploie des couleurs industrielles (duco, vernis d'aluminium) qu'il laisse directement couler de la boîte sur sa toile posée à plat sur le sol. Son tableau se compose ainsi uniquement de ces traînées de couleurs, superposées en tous sens, qu'il a obtenues en se déplaçant autour de la toile, la boîte de couleur à la main. Cette forme d'expression qui repose sur le geste, adoptée d'une manière plus ou moins exclusive par de nombreux artistes américains et européens, est connue sous le nom d'Action Painting et elle caractérise au plus haut point la liberté de conception et la spontanéité d'exécution qui distinguent l'Art abstrait de l'après-guerre. Une telle ouverture de la sensibilité peut être rapprochée des conceptions picturales de la Chine et du Japon anciens, desquelles, du reste, certains artistes (Tobey, Julius Bissier) avaient déjà, au cours des années 30, tiré un enseignement. Mais pour définir ces formes, le partage rationnel entre Abstraction et Figuration ne suffit plus ; le nombre des artistes purement abstraits, dans l'ensemble, est assez restreint. Bien plus nombreux sont ceux qui ont été abstraits pendant un moment de leur évolution (de Stael, Guston), mais il y a surtout ceux que le grand public pourrait considérer comme tels (Vieira da Silva, Manessier, Bazaine) du fait que leurs tableaux ne représentent rien de " reconnaissable ", alors qu'ils ne le sont nullement.
Au cours des années 60 l'apparition du pop art dans les pays anglo-saxons, suivi de la Nouvelle Figuration en France, marque une réaction contre l'Abstraction en général et plus particulièrement contre l'extrême subjectivité de certains peintres abstraits. Si l'Art abstrait n'occupe plus le centre de l'actualité, il ne cesse pas pour autant d'exister. Aux États-Unis s'impose ainsi, vers 1965, le Minimal Art, qui, à l'opposé de l'expressionnisme abstrait, évite toute redondance et insiste sur la simplicité fondamentale des moyens plastiques. Les principales recherches portent sur l'action perceptive de la couleur étalée en aplat sur la surface de la toile (Barnett Newman). Cette position limite de l'Abstraction, où la notion de forme s'estompe (Ad Reinhardt), n'est pas sans rappeler certaines expériences de Malévitch, notamment les formes blanches sur fond blanc. En France, une interrogation analogue des " unités minimales " de la peinture apparaît un peu plus tard (à la fin des années soixante) au sein du groupe Support-Surface. Nombreux sont les artistes qui, depuis les années 1985, restent marqués par l'abstraction : mentionnons Halley, Mangold, Ryman, Marden aux États-Unis, Armleder en Suisse, G. Richter en Allemagne, tandis qu'en France des peintres aussi différents que Soulages, Morellet, Aurélie Nemours, continuent leur œuvre dans une voie tracée depuis longtemps.