Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
G

grisaille

Peinture monochrome en camaïeu gris donnant l'illusion du relief sculpté. Les grisailles furent sans doute mises à la mode dès le XIVe s. par les sculpteurs, qui cherchaient, dans leurs dessins préparatoires, à rendre l'impression de relief au moyen d'un clair-obscur très nuancé, jouant sur une seule couleur, grise ou jaunâtre, qui se rapproche le plus de celle de la pierre. C'est, semble-t-il, en France que l'on pratiqua d'abord la grisaille, notamment dans les œuvres produites par l'atelier du peintre-sculpteur André Beauneveu. La grisaille fut souvent employée dans les manuscrits (Heures de Jeanne d'Évreux par Jean Pucelle, New York, Cloisters) et plus particulièrement dans les encadrements restituant des sculptures ou des éléments d'architecture (Psautier de Jean de Berry, 1380-1385, Paris, B. N.). Sous le règne de Charles V, elle fut l'objet d'une véritable mode dans la miniature, le vitrail ou même la peinture (Parement de Narbonne, Louvre). Dans les tableaux, elle apparaît comme l'une des caractéristiques de la peinture du Nord ; au revers des retables, une Annonciation est souvent représentée en grisaille (Van Eyck, Polyptyque de l'agneau mystique, Gand, cathédrale Saint-Bavon). La liturgie, en associant au temps de carême l'emploi de la grisaille, donne à cette dernière une fonction religieuse (les volets fermés des retables représentaient souvent l'Annonciation, qui est la grande fête du carême). La grisaille fut utilisée par Bosch (l'Enfant prodigue, Rotterdam, B. V. B.) et Bruegel, mais elle avait alors perdu sa fonction religieuse pour devenir un procédé pictural qui, traduisant le trompe-l'œil, prouvait l'habileté du peintre et fut utilisé ensuite par de très nombreux artistes : Andrea del Sarto, Corrège (Camera di San Paolo, Parme) Beccafumi, Otto Venius, Rubens, Van Dyck, Van Thulden, etc. Au XVIe s., surtout v. 1550-160, elle connut un grand succès dans l'émail avec Pierre Reymond ou avec Jean II, Jean III et Pierre Penicaud.

   Le procédé de la grisaille continua à être employé par la suite (anonyme du XVIIe s., le Massacre des Innocents, musée de Rouen ; Jean de Saint-Igny, Adoration des bergers, Adoration des mages, id.) jusqu'au XIXe s. (Ingres, l'Odalisque en grisaille, Metropolitan Museum). Au XVIIIe s., la grisaille constitue une des variétés de l'esquisse " rococo " avec des peintres comme Boucher ou Pittoni (P. J. Sauvage se fit une spécialité des faux bas-reliefs peints). Notons aussi son emploi (déjà par les Flamands du XVIIe s.) comme une étude préparant une composition gravée (Lemoyne, Frontispice de la thèse du cardinal de Rohan, musée de Strasbourg ; Cazes, Frontispice pour l'" Histoire de l'hôtel royal des Invalides " de l'abbé Pérou, parue à Paris en 1736, musée de Caen).

Grobon (Michel)

Peintre français (Lyon 1770  –id.  1853).

Il fut un des peintres les plus marquants de l'école lyonnaise du début du XIXe s. Les conseils de Dunouy et de Boissieu l'incitèrent à travailler sur le motif, mais il témoigna surtout de l'influence des Pays-Bas dans ses paysages précis de Lyon ou de la région lyonnaise, ses scènes de genre et ses portraits. Ce caractère fut encore accusé par une matière émaillée due à un " secret " hollandais. Grobon laissa aussi un œuvre de graveur. Le musée de Lyon conserve un ensemble important de ses œuvres, évoquant sa carrière, de 1794 à 1848, et les différents genres qu'il traita.

Grohar (Ivan)

Peintre d'origine slovène (Sorice  1867  – Ljubljana  1911).

Issu d'une famille de paysans, il commence ses études à Zagreb, puis à Graz, avant de se rendre à Munich dans l'école de son compatriote Anton Ažbé. À partir de 1900, il appartint au groupe des impressionnistes slovènes, avec lesquels il travailla et exposa (Vienne, 1904, 1905 ; Belgrade, 1904, 1907 ; Londres, 1906 ; Trieste, 1908). Son développement artistique est parallèle à la naissance et à l'évolution de l'art moderne en Slovénie, à la charnière des XIXe et XXe s. D'abord auteur de tableaux religieux d'un réalisme idéalisé, Grohar s'enthousiasme un moment pour le romantisme böcklinien, mais, depuis 1900 et grâce à l'amitié du peintre slovène Jakopič, il s'oriente définitivement vers l'Impressionnisme. La connaissance de l'œuvre de l'Italien Segantini influence fortement son évolution, de même que les toiles des impressionnistes français contemplées aux expositions de la Sécession à Munich et à Vienne. Grohar se consacra à l'étude de la lumière et rechercha l'expression picturale du paysage slovène, qu'il interpréta en visionnaire inspiré : Škofia Loka sous la neige, 1903 (Ljubljana, G. A. M. ), Stara Loka, 1907 ; le Semeur, 1907 ; les Pommes de terre, 1909 ; Berger, 1911 (musée de Ljubljana). Appartenant à la première génération des créateurs de l'art moderne en Yougoslavie, il reste le plus grand poète du sol natal.

Gromaire (Marcel)

Peintre français (Noyelles-sur-Sambre, Nord, 1892  – Paris 1971).

Il se forme à Paris (1910) aux Académies Colarossi, Ranson et la Palette à Montparnasse, où il a Le Fauconnier pour correcteur, et voyage dans les pays du Nord (Belgique, Hollande, Allemagne, Angleterre). Il commence à exposer au Salon des indépendants en 1911. Pendant la guerre, il est blessé sur la Somme en 1916. Il tient sa première exposition particulière à la galerie La Licorne (Paris) en 1921. Admirateur de l'art roman et de l'art gothique, il se situe dans la tradition française des plasticiens, de Fouquet à Cézanne et Seurat, ce que confirme l'expérience cubiste revivifiant la Figuration de l'après-guerre. Dès ses débuts, après une brève influence de Le Fauconnier, son univers est celui d'une humanité laborieuse et taciturne, rustique le plus souvent, parfois citadine (la Loterie foraine, 1923, Paris, M. A. M. de la Ville). Gromaire donne à l'individu la dimension du type, dans des compositions monumentales, aux masses sommairement définies, anguleuses, rendues par des couleurs où dominent les terres, les ocres et les gris-bleu, et par une touche petite et pommelée (le Faucheur flamand, 1924, id.). La Guerre (1925, id.), présentée au Salon des indépendants, attira par son éloquente sobriété l'attention sur son auteur, qui entra en relation avec son principal collectionneur, le docteur Girardin. L'artiste est alors le meilleur représentant en France d'un Réalisme synthétique et expressif, illustré également à l'étranger. Parallèlement à ces tableaux caractéristiques de milieux sociaux, il peint des nus aux volumes denses, d'une robuste sensualité. En 1937, il exécuta plusieurs décorations pour l'Exposition internationale de Paris et, à partir de 1938, participa avec Lurçat à Aubusson à la renaissance de la tapisserie (les Quatre Éléments, Paris, Mobilier national). Il s'orienta dès lors vers une manière plus décorative, où les tons, plus vifs, sont exaltés par la structure noire du graphisme (suite de vues de villes : New York, 1951 ; Paris, 1956). Graveur, d'abord sur bois (l'Homme de troupe, 10 bois, 1918), puis à l'eau-forte, il a illustré Petits Poèmes en prose de Baudelaire (1926), Macbeth de Shakespeare (1958), Gaspard de la nuit d'Aloysius Bertrand (1962). Le M. A. M. de la Ville de Paris, qui conserve un ensemble de ses œuvres, provenant du legs Girardin, lui consacra une rétrospective en 1980.