Bruegel (les)
ou les Breughel
ou les Brueghel
Famille de peintres flamands.
PIETER LE VIEUX OU L'ANCIEN
(V 1525/1530 – BRUXELLES 1569).
Vie de Bruegel
La date et le lieu de naissance de Bruegel n'ont pu être déterminés avec certitude. Karel Van Mander mentionne qu'il naquit au village de Breugel, près de Breda, en Brabant. Généralement, on situe sa naissance entre 1525 et 1530. Après avoir été l'élève de Pieter Coecke Van Aelst, il devint franc maître dans la gilde des peintres d'Anvers en 1551. À partir de ce moment, il dut commencer à travailler pour le graveur et marchand d'estampes Hieronymus Cock, qui l'engagea sans doute à entreprendre un voyage en Italie, non dans l'intention de parfaire son instruction, comme il était de coutume alors, mais bien dans celle de réaliser une suite de dessins de paysages italiens et alpestres destinés à la reproduction par la gravure.
L'artiste traversa la France en 1552 et parcourut toute l'Italie jusqu'au détroit de Messine. Il était à Rome en 1553-54, et l'on sait qu'il y fut en relation avec le miniaturiste Giulio Clovio, mais il retourna en 1555 à Anvers, où il reprit sa collaboration avec l'éditeur Hieronymus Cock. Selon toute probabilité, Pieter Bruegel s'est mis à peindre assez tardivement : son premier tableau daté est de 1553. En 1563, il épousa la fille de son maître Pieter Coecke. Après son mariage, Bruegel se fixa à Bruxelles, où il mourut en 1569, laissant deux fils en bas âge : Pieter (1564) et Jan (1568). Devenus peintres, ils seront connus sous les surnoms de Pieter d'Enfer et Jan de Velours.
Personnalité de Bruegel. Esprit et portée de son œuvre
Les tableaux authentiques de Bruegel conservés de nos jours sont au nombre de 45 ; 14 des peintures les plus importantes se trouvent à Vienne (K. M.). La plupart d'entre eux sont signés et datés entre 1553 et 1568. L'artiste a laissé près de 120 dessins, qui, en général, sont également signés et datés.
L'esprit de l'œuvre de Bruegel a donné naissance aux hypothèses les plus contradictoires. À part la production même du peintre, il n'existe que peu de données intéressantes concernant sa personnalité. C'était probablement un homme cultivé puisqu'il était l'ami du grand géographe Ortelius, mais de là à conclure qu'il était lui-même humaniste et érudit paraît excessif. Un autre abus d'interprétation trouve son origine dans les écrits de Van Mander, qui relate que Bruegel fut surnommé Pierre le Drôle parce qu'il fit rire ou au moins sourire ses contemporains par ses représentations de scènes de mœurs et de dictons populaires. Aujourd'hui encore, en se fiant trop à certains tableaux très populaires, comme les Proverbes de Berlin, on ignore le côté tragique de cet art, Bruegel restant toujours le peintre de mœurs paysannes, capable seulement d'amuser les spectateurs, comme le voulut la tradition ancienne. Van Mander rapporte encore que Bruegel, avant sa mort, avait détruit un certain nombre de ses dessins pour épargner des ennuis à sa veuve. On en a conclu que le peintre était non seulement un intellectuel individualiste, mais aussi un idéaliste épris de liberté politique, se révoltant contre la politique néfaste de Philippe II en Flandre. Il est vrai que certains éléments de ses tableaux sont des reflets de situations de son époque, mais, si Bruegel a rendu avec objectivité les détails pittoresques de la vie de son temps, c'est qu'il ne pouvait guère faire autrement ! Il semble exagéré cependant de vouloir y chercher des allusions et des parodies politiques et religieuses de caractère " engagé ", car ces sortes de provocations n'auraient jamais été admises en son temps et d'ailleurs ne correspondent pas avec la mentalité et le tempérament de Bruegel. Van Mander mentionne encore un trait caractéristique de l'état d'esprit du peintre. Celui-ci assistait avec son ami Franckert aux fêtes et aux kermesses populaires non comme spectateur, mais habillé en paysan. C'est donc en se mêlant au peuple qu'il a vécu les scènes pittoresques, représentées ensuite avec réalisme et perspicacité, avec compréhension peut-être, mais jamais avec amour. Vu à travers son œuvre, Bruegel apparaît comme un artiste intelligent, un sage, issu et toujours proche du peuple, et, comme tel, doué d'un solide bon sens.
Le style de Bruegel : inspiration et interprétation
Bien que fidèles à la réalité, les tableaux de Bruegel ne se limitent pas au pittoresque. L'artiste veut avant tout atteindre la synthèse, donner un caractère imposant et cosmique à ses représentations du monde, transfigurer la vérité de la nature par une vision personnelle et puissante. Ce sens de la grandeur se manifeste particulièrement dans les paysages, qu'il s'agisse des vues cosmiques, des Alpes ou des plats pays de Flandre avec leur horizon illimité (les Chasseurs dans la neige, Vienne, K. M. ; la Moisson, Metropolitan Museum). La nature est le réel protagoniste de l'œuvre de Bruegel et il la rend impassible au drame humain, qu'il réduit jusqu'à le traiter en simple événement fortuit. Dans plusieurs scènes religieuses, comme le Dénombrement de Bethléem (Bruxelles, M. R. B. A.) ou le Portement de croix (Vienne, K. M.), les personnages principaux sont complètement intégrés à la foule. Ils y perdent leur austérité religieuse, mais le tableau, illustrant la vanité de toute présence humaine sur terre, y gagne en valeur artistique. Ainsi, le constant souci de Bruegel est de projeter ses sujets sur un plan universel. Même lorsqu'il accorde à la figure humaine une importance primordiale, comme dans les Noces villageoises et la Danse des paysans (Vienne, K. M.), il ne voit pas ses personnages comme des individualités, mais comme des types généralisés, doués d'une puissante présence physique, ou bien, par exemple dans les Aveugles de Naples (Capodimonte), comme la personnification de l'accomplissement de la destinée humaine, qui, irrévocablement, mène à l'abîme et à la mort. Le langage pictural de Bruegel est spontané et direct. Il émane de la réalité quotidienne, dont il est l'expression intuitive et synthétique. C'est ce qui explique que les influences soient rares dans son œuvre. Issu du milieu artistique de Hieronymus Bosch, il s'est inspiré de certains de ses thèmes, mais sa vision est plus directe et moins onirique. D'autre part, Bruegel semble ignorer complètement les leçons des Italiens, malgré son voyage en Italie et le succès énorme que l'italianisme connut en Flandre à son époque. La composition de ses œuvres est claire et bien définie d'avance. Elle est subordonnée à un rythme général qui crée l'unité de l'ensemble et qui suggère à la fois l'évolution du mouvement et celle du temps. Par elle, le peintre atteint à une vision ample qui contraste souvent avec le foisonnement des détails. Mais l'impression d'unité est également obtenue par l'harmonie des tons et des valeurs, qui lient toutes les parties entre elles. Au point de vue de la couleur, Bruegel a réalisé un grand progrès en perfectionnant le passage des tonalités, surtout dans la subdivision du paysage en trois plans, où il fond les trois tons, brun, vert et bleu, de sorte que la première tonalité se mélange à la deuxième et ainsi de suite. Mais si la couleur et la lumière aident à réaliser l'unité du tableau, elles sont également de nature à créer des contrastes lorsque le peintre oppose une scène tragique à un paysage inondé d'une lumière claire et transparente, comme dans la Parabole des Aveugles (1568) du musée de Naples (Capodimonte). En ce qui concerne l'interprétation du sujet et l'ordonnance de la composition et du coloris, qui en résultent, la Chute des anges rebelles (Bruxelles, M. R. B. A.) peut être considérée comme un des cas les plus captivants de l'œuvre de Bruegel. Dans un enchevêtrement de figures, la composition, légèrement asymétrique sans pour autant exclure l'équilibre parfait des masses et des vides, donne une impression réelle de mouvement. Un bleu céleste domine la partie supérieure du tableau, tandis que, dans la partie inférieure, où grouillent les monstres de l'enfer, la couleur est chaude et sourde. De la clarté d'en haut, qui représente la présence divine, déferlent des ondes concentriques qui deviennent de moins en moins lumineuses, pour aboutir à l'obscurité de l'enfer.