Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
R

Restout (Jean II)

Peintre français (Rouen 1692  – Paris 1768).

Il est le fils de Jean Ier Restout (Caen 1663 – id. 1702), peintre originaire de Caen qui travaillait à Rouen, où il épousa la sœur de Jean Jouvenet. Celui-ci devint le parrain et le maître de son neveu Jean II, qui se rendit à Paris v. 1707 et, comme Jouvenet, n'alla jamais en Italie. En 1720, Restout est reçu à l'Académie (Alphée et Aréthuse, musée de Rouen), où il fera une brillante carrière et dont il deviendra recteur en 1752, directeur en 1760 et chancelier en 1761. Son œuvre comprend des peintures mythologiques, proches de l'esprit de Boucher ; comme lui, Restout oppose d'élégants corps féminins à des figures viriles brunâtres, mais dans un coloris plus simple et moins irréaliste (dessus-de-porte à l'hôtel de Soubise, auj. aux Archives nationales, 1736-1738 ; Histoire de Psyché, 1748, château de Versailles). L'essentiel de sa production consiste en tableaux religieux, genre auquel le prédestinait son tempérament, proche des jansénistes. Continuateur direct de l'œuvre de Jouvenet dans les cartons de tapisserie de la tenture du Nouveau Testament (Baptême du Christ, 1733, Louvre) ainsi que dans divers grands tableaux de sa jeunesse (Saint Paul et Ananie, 1719, Louvre ; la Guérison du paralytique, 1725, musée d'Arras ; la Mort de sainte Scholastique, 1730, musée de Tours ; l'Extase de saint Benoît [id.] ; la Pentecôte, 1732, Louvre), Restout a, comme son oncle, le don d'animer de grandes compositions encadrées d'architectures solennelles en s'appuyant sur l'observation du réel, comme l'attestent ses portraits : Dom Baudoin du Basset (1716, musée de Rouen), l'Abbé Tournus (v. 1730, un exemplaire au musée de Vire), Portrait de Jean-Bernard Restout (1736, Stockholm, Nm). Toutefois, son style est foncièrement différent de celui de Jouvenet. Les longues figures qu'il affectionne, surmontées d'une tête minuscule émergeant de draperies mouvementées, se plient en tous sens comme sous l'effet d'un souffle mystique qui évoque parfois l'art de Bernin : Saint Hymer dans sa solitude (1735, église de Saint-Hymer, Calvados), la Charité de saint Martin (id.), la Présentation de la Vierge (1735, musée de Rouen), le Bon Samaritain (1736, musée d'Angers ; dessin au musée de Lille), Abraham et les trois anges (1736, Le Mans, Notre-Dame-de-la-Couture), Cycle de la vie de saint Pierre (1738, Orléans, église Saint-Pierre-du-Martroi), Saint Benoît (1746, église de Bourg-la-Reine), Martyre de saint André (1749, musée de Grenoble). Le talent réaliste et visionnaire de l'artiste s'exprime par une technique très libre, une pâte légère et souple où apparaissent souvent les gris et les roses : le Triomphe de Mardochée (1755, Paris, église Saint-Roch), la Purification (1758, id., dessin au musée de Rouen). Professeur respecté, Restout est l'auteur d'un Essai sur les principes de la peinture, publié à Caen en 1863 et qui contient notamment des préceptes recueillis auprès de Jouvenet, de La Fosse et de Largillière. Son art, si original, semble avoir été peu imité, sauf par des artistes provinciaux de second rang, tel Bernard-Joseph Wampe. Le musée des Beaux-Arts de Rouen a, dès 1970, consacré une grande exposition à l'artiste.

retable

  • Matthias Grünewald, la Crucifixion

L'étymologie de ce mot, tabula de retro, en éclaire l'origine : simple gradin situé en retrait de la table d'autel et destiné à recevoir les objets du culte (candélabres, tabernacle, croix), c'est sous cette forme rudimentaire qu'apparaît le retable dès l'époque paléochrétienne. Cette fonction utilitaire s'estompe rapidement au profit de l'aspect décoratif, lequel, lié à la fonction religieuse du retable (évocation de la présence divine ou représentation des saints), en suscite l'ample développement. Le mot retable désigne alors la partie postérieure et décorée de l'autel, qu'il s'agisse de l'ensemble de la construction contre laquelle est adossée la table d'autel ou simplement du décor, mobile ou fixe, posé sur celle-ci. On mesure d'emblée l'extension du mot et l'étroite relation qui, dans le retable, unit l'architecture au décor proprement dit, sculpture, peinture, orfèvrerie, émail ou ivoire. S'en tenir aux retables peints ne permet pas d'ignorer ces interférences, car l'évolution générale des arts, et particulièrement de l'architecture, exerce une influence directe sur les structures mêmes du retable.

   Sous sa forme la plus rudimentaire, le retable se présente comme un simple panneau rectangulaire placé verticalement en retrait de l'autel. On le trouve en Italie dès l'époque romane, où il s'agit la plupart du temps d'œuvres anonymes, par exemple à Sienne chez les prédécesseurs de Guido da Siena ou, au XIIIe s. encore, chez le Maître de Santa Cecilia (Retable de sainte Cécile, Offices). C'est à ce type de retable qu'il faut rattacher la fameuse Maestà que Duccio exécuta de 1308 à 1311 pour la cathédrale de Sienne et qui est aujourd'hui conservée dans sa presque totalité à l'Opera del Duomo. La Vierge en majesté, entourée d'anges et de saints, y est représentée sur la face principale, tandis qu'au revers le compartimentage en panneaux selon des registres superposés se prête au déploiement narratif des Scènes de la vie du Christ.

   À l'époque gothique, surtout à partir du XIVe s., le retable connaît un grand développement dans tous les importants centres picturaux de l'Occident chrétien. Il adopte alors les formes de l'architecture gothique. Dans de nombreux cas, il s'agit encore d'un panneau unique, mais la partie supérieure prend l'aspect d'un fronton triangulaire, encore appelé " arc en mitre ". Cette forme est particulièrement bien représentée en Toscane dès la fin du XIIIe s. et au début du XIVe s. ; il suffit d'évoquer les Maestà de Cimabue, de Duccio et de Giotto réunies aux Offices. Les variantes à partir de cette structure fondamentale sont multiples et l'on assiste à l'apparition de panneaux latéraux de part et d'autre du panneau central.

   On nomme polyptyque (du grec polus, plusieurs, et ptukhos, pli) un retable composé de plusieurs panneaux, fixes ou mobiles ; un diptyque comporte 2 panneaux, un triptyque en comporte 3. Lorsque les panneaux latéraux sont mobiles et peuvent se replier sur le panneau central, on parle de volets, ceux-ci étant d'ailleurs souvent peints sur leurs 2 faces et parfois en grisaille sur la face postérieure (retable de l'Agneau mystique de Van Eyck, Gand, cathédrale Saint-Bavon). La prédelle (racine lombarde pretil, banc ou planche) désigne, à l'origine, la partie sur laquelle s'appuie le retable, puis la partie inférieure du retable lui-même. Elle est normalement indépendante du corps principal du retable et composée de panneaux juxtaposés ; cependant, la simple délimitation d'un compartimentage dans le registre inférieur tient parfois lieu de prédelle, comme c'est le cas dans le Saint François recevant les stigmates de Giotto (Louvre). Au XVe s., on trouve parfois à la partie supérieure de certains retables un élément, le plus souvent en bois sculpté et peint, faisant saillie en avant sur toute la largeur : c'est le dais, ou superciel. On sait que la Pietà de Villeneuve-lès-Avignon (Louvre) en comportait un ; mais c'est surtout parmi les tableaux de l'école espagnole qu'on rencontre, sous le nom de guarda-polvos, ce genre d'élément, étendu également aux bords latéraux du retable. Aux XIVe et XVe s., les formes des différents panneaux des polyptyques sont aussi variées que les formes architecturales dont elles découlent. On trouve des panneaux en mitre à la partie supérieure, en arc brisé, subdivisés ou non en plusieurs lancettes, en accolade ou en anse de panier. Le panneau principal est souvent couronné d'une lunette de forme semi-circulaire. Les panneaux, sans décoration à l'origine (Polyptyque de la Badia de Giotto aux Offices), se hérissent de pinacles sculptés, tandis que des médaillons de formes diverses (trèfles, quatre-feuilles) sont réservés à l'intérieur des gables et accueillent des figures d'anges ou de saints. Des colonnettes plus ou moins ouvragées, torsadées ou à chapiteaux, ou encore des pilastres plats séparent les différents éléments selon une grande souplesse de conception. À la superposition et à la juxtaposition de scènes sur un unique panneau succède donc, en raison de la complexité et de la cohérence des programmes iconographiques, la spécialisation de chacun des éléments constitutifs du retable : le panneau central accueille l'image principale (la Vierge en majesté, le saint auquel est dédié le polyptyque), tandis que, sur les volets, sont représentés différents saints et que la prédelle raconte les épisodes essentiels de leur vie.

   Tel est le parti généralement adopté en Italie pendant tout le XIVe s., où, à Florence avec Giotto et les peintres qui suivirent (T. Gaddi, B. Daddi, Orcagna) comme à Sienne avec Simone Martini (retable de l'Annonciation, Offices), les Lorenzetti et plus tard Sassetta, ou encore à Venise, la peinture religieuse trouve dans le polyptyque une forme particulièrement adéquate. Les petits diptyques et triptyques portatifs, dont B. Daddi et son atelier se font les spécialistes, sont une variante miniature du même schéma, destinée à la dévotion particulière.

   Dans les écoles du Nord, c'est surtout à partir du XVe s. que se manifeste une floraison de retables analogue à celle qu'on rencontre en Italie. Citons seulement le retable de l'Agneau mystique de Van Eyck, achevé en 1432, le Jugement dernier de Van der Weyden, v. 1445 (hospice de Beaune), le Retable Portinari de Van der Goes (Offices) et le triptyque du Mariage mystique de sainte Catherine de Memling, v. 1475 (Bruges, hôpital Saint-Jean). En France, à la même époque, la Provence, avec l'école d'Avignon, apparaît comme le centre le plus important : outre la Pietà de Villeneuve-lès-Avignon d'Enguerrand Quarton, citons encore le Couronnement de la Vierge (musée de Villeneuve-lès-Avignon) du même peintre et le Retable de Boulbon (Louvre), anonyme. À Moulins (cathédrale Notre-Dame), le grand retable de la Vierge glorieuse du Maître de Moulins fut peint v. 1500, tandis que, dès la fin du XIVe s., 2 artistes étrangers venus à la cour de Bourgogne avaient réalisé le retable mixte de la Passion, sculpté par Jacques de Baerze et peint par M. Broederlam (volets représentant l'Annonciation, la Visitation, la Présentation au Temple et la Fuite en Égypte, musée de Dijon).

   En Espagne, le retable, ou " retrotabula ", est issu directement du frontal, simple panneau rectangulaire placé devant l'autel et non pas en retrait de celui-ci ; très fréquent en Catalogne dès l'époque romane et le plus souvent de main anonyme, un bon exemple en est le frontal de Soriguerola de la fin du XIIIe s. (Paris, musée des Arts décoratifs). À partir du milieu du XIVe s., les retables se multiplient en Espagne et sont souvent accrochés en hauteur derrière l'autel, en oblique par rapport à celui-ci. Le XVe s. donne des chefs-d'œuvre comme le Retable de saint Ildefonse (Louvre), et de nombreux retables prennent une allure monumentale, jusqu'à couvrir le fond de l'abside tout entière : retable de l'église S. Tomas à Ávilapar P. Berruguete ; retable de la chapelle de Los Luna dansla cathédrale de Tolède par Sancho de Zamora et Juan de Ségovie ; retable de l'abside principale de la cathédrale de Valence par Dello Delli.

   En Allemagne, c'est encore à la formule gothique que se rattache le chef-d'œuvre de M. Grünewald, le Retable d'Issenheim (musée de Colmar). Cette tradition se prolonge d'ailleurs en Italie jusqu'aux premières manifestations de la Renaissance, et la grande Déposition de croix de Fra Angelico (Florence, museo di San Marco) date des années 1440.

   Avec la Renaissance, la structure du retable se modifie profondément, en liaison directe avec le nouveau rendu de la perspective et avec les formes de l'architecture italienne contemporaine. On constate très souvent le retour au panneau rectangulaire, mais celui-ci s'habille de pilastres et de chapiteaux décorés à l'antique. C'est le cas du monumental polyptyque achevé par Mantegna en 1459 pour l'église S. Zeno de Vérone. À partir de cette date, et jusqu'à la fin du XVe s., l'Italie connaît une période particulièrement brillante, et les retables, ou " pale ", se multiplient : à Venise, avec les Vivarini et les Bellini (Pala de Pesaro de Giovanni Bellini, 1472) ; à Ferrare, avec Cosme Tura (Polyptyque Roverella, v. 1474, dispersé), Crivelli et les peintres des Marches ; en Lombardie, avec Foppa, Zenale, Bergognone ; à Urbino, où Piero della Francesca exécute la Pala de Montefeltro en 1472 (Brera). Au XVIe s., le retable a tendance à devenir un simple tableau d'autel, fréquemment de forme rectangulaire (A. del Sarto, Madone des Harpies, Offices ; Giorgione, Madone de Castelfranco), mais il s'orne souvent d'un cintre à la partie supérieure (Pérugin, Mariage de la Vierge, musée de Caen ; Raphaël, Couronnement de la Vierge, Vatican ; Titien, Assomption de la Vierge, Venise, église des Frari ; Bronzino, Déposition de Croix, v. 1544-1545, Besançon, musée des Beaux-Arts ; réplique à Florence, Palazzo Vecchio, chapelle d'Éléonore de Tolède). C'est finalement à ces deux structures fondamentales que vont se conformer les peintres aux XVIe et XVIIe s., peignant de grands retables souvent intégrés dans un dispositif architectural ou sculpté de type classique. Citons notamment : dans les Pays-Bas, Rubens (Descente de croix de la cathédrale d'Anvers, v. 1612), Van Dyck (Saint Martin partageant son manteau, église de Saventhem) ; en France, Vouet (Présentation de la Vierge au Temple, Louvre), Poussin (Miracle de saint François Xavier, peint pour le grand autel du noviciat des Jésuites entre 1640 et 1642, Louvre), Ph. de Champaigne (grand Christ en croix peint pour le couvent des Chartreux à Paris en 1674, Louvre) ; en Italie, Caravage (Mort de la Vierge, peint pour S. Maria della Scala, Louvre ; Crucifixion de saint Pierre pour S. Maria del Popolo, Rome), les Carrache, Guerchin (Funérailles de sainte Pétronille, Rome, Gal. Capitoline) ; en Espagne, Zurbarán (Retable de la chartreuse de Jerez, conservé en partie au musée de Grenoble), Ribera et Murillo. Carreño de Miranda donne un chef-d'œuvre, l'immense retable de la Messe de fondation de l'ordre des Trinitaires (1666, Louvre).

   Le XVIIIe s. est l'ère des grands retables baroques, où souvent architecture et sculpture associées au tableau d'autel réduisent l'importance de ce dernier ; le retable est enchâssé dans des lambris aux formes contournées. À Venise, des peintres comme Tiepolo, Piazzetta, Ricci, Pittoni ou Pellegrini peignent de nombreux retables pour les églises de la ville. Ce style gagne rapidement l'Europe centrale par l'Allemagne et l'Autriche et atteint également l'Espagne, en partie grâce aux voyages d'un Tiepolo. Rottmayr et Maulbertsch (la Famille de la Vierge, Vienne, Österr. Gal.) sont, en Autriche, les peintres les plus célèbres ; ce sont en Allemagne Holzer au Tyrol et M. Gunther.

   Au XIXe s., le retable amorce un déclin que le XXe s. ne fait que confirmer. Ce phénomène est indiscutablement lié à l'essoufflement de la peinture religieuse au profit de la peinture d'histoire ou de grand décor au XIXe s., ou encore il est la conséquence de recherches esthétiques radicalement nouvelles en ce qui concerne les peintres du XXe s. Le simple tableau (Bouguereau, Mater Afflictorum, 1877, musée de Strasbourg), la décoration murale, qu'elle soit à fresque ou non, le vitrail (Chagall, vitraux pour la synagogue du Medical Center Hadassah à Jérusalem, 1960-61) ou encore la juxtaposition sur les murs de panneaux peints (Rothko, Chapel Paintings, Houston, Texas, 1965-1967) semblent devoir assumer jusqu'à ce jour la fonction autrefois dévolue au retable. Si quelques exemples subsistent, notamment au XIXe s., ce n'est qu'à titre d'exception ; les sujets en sont profanes pour la plupart, et nous les devons en majeure partie aux peintres symbolistes (G. Moreau, Vie de l'humanité) ou aux Nazaréens (Rossetti, la Damoiselle élue, v. 1875-1879).

   L'évolution de la liturgie catholique ne peut que confirmer la disparition du retable en tant que tableau d'autel et clore ainsi l'histoire d'une forme intimement liée à une ferveur et à une fonction religieuses.