Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
V

vitrail et peinture (suite)

Les années 1980-1990

L'association entre peintres qui mettent leur écriture picturale au service du vitrail et praticiens qui les exécutent reste maintenant réservée à des chantiers prestigieux. À la cathédrale de Saint-Dié (Vosges), Bazaine réunit autour de lui une équipe composée d'artistes déjà habitués à ce type de travaux, Alfred Manessier et Geneviève Asse, et des plus jeunes, en une confrontation sur le thème " Mort et Résurrection " (1982-1987). Après des années de recherches, on s'oriente vers une solution analogue à la cathédrale de Nevers, édifice, comme le précédent, largement sinistré pendant les années de la dernière guerre.

   À la suite d'Ubac auquel furent confiés les cartons des baies du chœur occidental roman (1977-1983), quatre peintres, parmi les plus représentatifs des tendances actuelles, ont été retenus. Aux fenêtres hautes du chœur, Viallat, chef de file du mouvement " Support-surface ", a proposé des variations chromatiques et formelles à partir de son module favori, la forme " éponge ". Rouan retrouve les procédés du papier découpé et du pliage pour les fenêtres basses de la nef. Honegger choisit des compositions claires et quadrillées, chères à Raynaud, que parcourent d'immenses ondulations à l'étage supérieur de la nef. Les compositions que propose Alberola aux baies du transept roman profitent de sa volonté de citation, des emprunts qu'il fait à des œuvres anciennes, ici les verrières de style roman tardif de l'église Saint-Cunibert de Cologne (vers 1230). En réalisant les verrières de Sainte-Foy-de-Conques (1944) Soulages retrouve une des sources primordiales de son inspiration.

   Mentionnons aussi le travail de Jean-Pierre Bertrand à Bourg-Saint-Andéol (Ardèche), les réalisations de Daniel Dezeuze pour l'église Saint-Laurent au Puy-en-Velay et celles du verrier L. R. Petit à l'abbaye cistercienne de Sénanque (Vaucluse) en 1993-1994.

   L'appel à ces peintres n'arrive cependant pas à masquer les difficultés que connaît l'art du vitrail aujourd'hui en Europe, où il n'est plus considéré comme une démarche picturale majeure comme ce fut le cas, notamment en France du XIIIe au XVIe siècle et plus encore au XIXe siècle. On ne peut admettre que, dans un pays recelant d'excellents praticiens (G. Lardeur, J.-D. Fleury, J. Mauret, J. Weiss-Gruber, etc.), qui en renouvellent les effets formels et chromatiques, les rapports avec l'architecture, leur reconnaissance en tant que créateurs soit si difficile à obtenir. 

Vivarelli (Carlo)

Peintre suisse (Zurich 1919  – id. 1986).

Carlo Vivarelli a effectué ses études à la Kunstgewerbeschule de Zurich ainsi que dans l'atelier de Paul Colin à Paris. Il va se préoccuper essentiellement de graphisme. Dès 1940, ses affiches se situent dans la tradition constructiviste, Vivarelli ayant recours à la photographie et au photomontage pour les réaliser. Il va porter également une attention particulière à la typographie et au dessin des lettres, comme le montre le grand nombre de sigles qu'il exécutera pour des firmes diverses, telles que la télévision suisse ou encore la marque Électrolux. En 1949, son affiche pour l'aide aux personnes âgées, Für das Alter, qu'il réalise à partir d'une photographie de Werner Bischof, constitue, par le rapport entre l'image, le texte et la mise en page, l'un des chefs-d'œuvre de cet art. Vivarelli se consacre néanmoins à la peinture et, après 1960, il va faire partie de la tendance représentée par les artistes concrets zurichois. Très marqué par le style de Richard Paul Lohse, il adopte un système dans lequel il explore les différentes combinaisons que peuvent offrir les formes et les couleurs disposées dans un ordre rigoureux.

Vivarini (les)

Famille de peintres italiens.

 
Antonio (documenté à Venise de 1440 environ à 1470) eut, selon Roberto Longhi, dans la dernière vague du Gothique vénitien, " la même position nuancée vis-à-vis de la Renaissance que Masolino à Florence ". Il se situe à la charnière du Gothique, dont il ne fait déjà plus partie, et de la Renaissance, qu'il se contente d'aborder. Il en est d'autant plus intéressant, car il semble entrevoir un monde nouveau tout en revivant, avec une grande force suggestive, la tradition du Gothique vénitien, si riche et si fastueuse, et quelquefois d'une aristocratique sévérité.

   C'est sans doute dans le polyptyque de la basilique Eufrasiana de Parenzo, signée et daté de 1440, que se manifeste le début de son activité. On y perçoit une sensibilité nouvelle dans la façon dont est rendu le volume par un subtil dégradé d'ombre et par la tonalité claire des couleurs, qui paraissent absorber la lumière, comme si l'exemple en venait de Gentile da Fabriano et encore plus de Masolino. En 1443-44, Antonio signe avec son beau-frère Giovanni d'Alemagna (à qui revient probablement toute la partie en bois sculpté de l'œuvre) les trois retables de Sainte Sabine, du Rosaire et du Rédempteur à S. Zaccaria de Venise : œuvres d'un raffinement extrême par la richesse et la délicatesse des encadrements, qui semblent prendre exemple sur les architectures flamboyantes des Bon et participent ainsi à ce moment culturel de la lagune, ainsi que par la sensibilité du rythme des draperies, ornées de pastilles d'or selon la tradition de la fin du trecento ; et, cependant, tout est déjà dominé par la lumière du jour, qui adoucit chaque trait. On retrouve ce monde fragile dans le grand triptyque de la Scuola della Carità de Venise (exécuté également avec son beau-frère en 1446), qui montre la Vierge assise comme une " Basilissa " sur un trône d'une grande richesse devant un fond de verdure rappelant les jardins d'Allemagne ou de Bohême, ou dans la Vierge en trône du musée Poldi-Pezzoli de Milan, riche en couleurs claires (robe rose et manteau vert de la Vierge).

   En 1448, Antonio signe un contrat, avec son beau-frère, pour la décoration de la moitié de la chapelle Ovetari aux Eremitani de Padoue, l'autre moitié étant confiée à deux jeunes peintres : Niccolò Pizzolo et Mantegna. C'est une année décisive, celle de la rencontre de deux générations ; les Muranais décorèrent les compartiments de la voûte des habituels rinceaux et des traditionnels Évangélistes dans des corniches circulaires, tandis que se déployaient à côté la nouvelle science de la perspective et une puissance plastique qui annonçaient des développements futurs.

   Aussi, à la mort de Giovanni d'Alemagna, en 1450, Antonio se retira-t-il définitivement à Venise. Mais toutes les innovations dont il avait été témoin lui permirent de peindre le Polyptyque de Praglia (auj. à la Brera), dont les figures contre le fond d'or montrent une plus grande recherche plastique ; les couleurs, sous la lumière du jour, adoucissent la physionomie furibonde des saints ; quant à la Vierge, qui est désormais représentée sans couronne royale, elle tend la main en avant, en un geste qui dénote une certaine volonté d'exprimer l'espace. Il faut placer sans doute postérieurement au séjour padouan quelques panneaux de polyptyques démembrés représentant des scènes de la vie de saints, que la critique a depuis peu donnés à Antonio : les Scènes de la vie de sainte Monique, orchestrées dans des couleurs claires, sur un ton de fable (Venise, Accademia ; Londres, Courtauld Inst. ; Bergame, Accad. Carrara ; Detroit, Inst. of Arts) ; les Scènes de la vie de saint Pierre martyr (Berlin ; Milan, coll. Crespi ; Metropolitan Museum ; coll. part.), à la perspective plus savante ; enfin les Scènes de la vie des saints martyrs (Washington, N. G. ; Bergame, Accad. Carrara ; musée de Bassano), encore si discutées, qui révèlent justement dans le traitement des fonds architecturaux, désormais parfaitement construits, toute une culture archéologique et humaniste.

   Cependant, après les années 1450, Antonio traverse une période de crise et copie vainement les nouveautés padouanes ; il travaille d'abord avec son frère Bartolomeo (polyptyque de Bologne, P. N.), puis de nouveau seul, créant des personnages durs et inertes, au dessin incisif, ayant perdu le secret poétique des derniers accents gothiques.

 
Bartolomeo (Murano vers 1430 – ? après 1491) , son frère cadet, dut se former dans l'atelier padouan d'Antonio (1447-1450) ; au contact de la forte personnalité de Mantegna, qu'il dut sûrement connaître, il adopta ses caractères stylistiques : un plasticisme surréel, une accentuation nerveuse des contours, la tension de la ligne. Cependant, son éducation gothique originelle resta toujours sous-jacente et donna une note personnelle à ce mantégnisme, lui imprimant une fluidité plus élégante et un certain intimisme. Cette originalité est encore plus révélatrice dans le rôle que Bartolomeo fait jouer à la couleur, vive et sonore, indépendante de la forme, au contraire de Mantegna. En 1450, Antonio et Bartolomeo signent ensemble le polyptyque de la chartreuse de Bologne (auj. P. N.). C'est certainement au plus jeune des deux frères que reviennent les figures nerveuses et osseuses de Saint Jérôme et de Saint Jean-Baptiste. De 1458 date le polyptyque du couvent de S. Eufemia d'Arbe, également signé par Antonio et Bartolomeo.

   La première œuvre qui porte la seule signature de Bartolomeo est le Saint Jean de Capistrano (1459, Louvre), solidement campé, qui commence la série des meilleures œuvres du peintre. Le style de Bartolomeo se manifeste clairement dans la Madone avec deux saints (Londres, N. G.), dont la densité colorée et la composition rigoureuse rappellent les éléments squarcionesques de la culture de l'artiste. De 1464 datent les Saints, grêles d'aspect, du Polyptyque Morosini (Venise, Accademia) ; en 1465, Bartolomeo signe son chef-d'œuvre, la Madone et l'Enfant sur un trône avec des saints (Naples, Capodimonte), où, rompant avec la tradition de la division en compartiments, les figures s'agencent en perspective, unies dans une même richesse chromatique, qui, dans sa transparence cristalline, allège la rigueur formelle de l'art padouan. Après 1470, le souci expressif de Bartolomeo se fait plus exacerbé, avec quelque chose de nordique, dans son âpreté plastique ou sa violence chromatique. Cette tension, cependant, s'adoucit assez vite dans le triptyque de S. Maria Formosa de Venise (1473) ou dans la Madone du musée Correr, dont la concision doit sûrement à l'exemple de Giovanni Bellini, qui cependant ne réussit pas à sauver le style de Bartolomeo d'une cristallisation paralysante et à l'amener à se rénover. Malgré l'académisme d'une formule autrefois si heureuse, on rencontre encore des moments d'une vigoureuse force plastique dans le triptyque de Saint Marc à S. Maria dei Frari (1474, Venise) et dans la Madone et l'Enfant avec quatre saints de l'église S. Nicola à Bari (1476).

 
Alvise (Venise vers 1445 – Venise vers 1505) , fils d'Antonio, apprit sans doute son métier dans l'atelier de son père et de son oncle Bartolomeo. Sa première œuvre, datée de 1476, le polyptyque de Montefiorentino avec la Vierge et des saints (Urbino, G. N.), garde de nombreuses marques de la culture d'Antonio et du mantégnisme de Bartolomeo, mais pose les bases du style d'Alvise : celui-ci apaise ce qu'il y avait d'âpre et de dur chez son oncle dans un pathétisme tendre et une vision lumineuse et géométrique des formes, s'orientant ainsi vers les simplifications d'Antonello de Messine, présent à Venise en 1475-76. Cette même attitude caractérise le Saint Jérôme lisant (Washington, N. G.), probablement de peu antérieur au polyptyque d'Urbino, si original par la position recroquevillée du saint, ainsi que toute une série d'œuvres jusqu'à la Madone à l'Enfant (Vicence, coll. Piovene), qui semble tirée d'un prototype antonellesque : on y trouve l'implantation très mesurée du buste de la Vierge au premier plan, se détachant sur un paysage très bas, baigné jusqu'aux plus lointaines collines d'une lumière transparente.

   À cette époque doivent appartenir la Madone à l'Enfant (Urbino, G. N.) et le petit Saint Antoine de Padoue (Venise, musée Correr), d'un émouvant lyrisme, qui se déploie plus amplement dans la Sainte Conversation (la Vierge et l'Enfant avec six saints) exécutée en 1480 pour l'église S. Francesco de Trévise (maintenant à l'Accademia de Venise). Le modèle est donné par le tableau d'autel de S. Cassiano (1476) d'Antonello (fragments à Vienne, K. M.), mais Alvise, en resserrant les figures autour du trône en un monde clos, crée une intimité plus chaleureuse, tandis qu'il modèle et découpe les formes déterminées par une lumière intense qui fait ressortir les couleurs, vives et variées. Alvise essaie de retrouver le volume plein et cristallin d'Antonello dans une série de Madones d'inspiration bellinienne, telles que la Vierge à l'Enfant endormi (Venise, S. Giovanni in Bragora), pleine d'intimité et de force tout à la fois. Après 1490, le langage d'Alvise commence à donner des signes de fatigue. Encore fort remarquable paraissait le tableau d'autel (la Madone et l'Enfant sur un trône avec six saints), si complexe, peint pour l'église dei Battuti de Belluno (autref. au K. F. M. de Berlin ; auj. détruit) ; pleine d'élan est la Résurrection du Christ, peinte entre 1494 et 1498 (Venise, S. Giovanni in Bragora). Alvise révèle ses dons d'analyste exact et pénétrant dans le Portrait d'homme (1497, Londres, N. G.). Sa dernière œuvre datée (1504) est la Madone et l'Enfant avec quatre saints de l'Ermitage ; quant au tableau d'autel (Saint Ambroise avec des saints) des Frari (Venise), commencé en 1503, il fut terminé, après la mort d'Alvise, par Marco Basaiti.