Le Lorrain (Louis Joseph)
Peintre, dessinateur et graveur français (Paris 1715 – Saint-Pétersbourg 1759).
La découverte de la personnalité et de l'œuvre, fort varié, de Le Lorrain est récente : l'érudition s'est d'abord attachée à attirer l'attention sur le dessinateur et l'" inventeur " des meubles du fameux " cabinet à la grecque " de Lalive de Jully, qui fit sensation (bureau au musée Condé de Chantilly), réalisé entre 1756 et 1758, peu avant le départ de l'artiste pour Saint-Pétersbourg, où il avait été appelé par l'impératrice Élisabeth pour fonder l'Académie des arts. L'ornemaniste, choisi pour réaliser à Rome, de 1745 à 1748, les dessins des Macchine pour les fêtes de la Chinea, a fait ensuite l'objet d'études attentives. Le peintre n'a été que récemment redécouvert, à la suite de l'achat, par le Louvre, d'un tableau d'architecture fortement marqué par les gravures de Piranèse. Le Lorrain peint également la nature morte (musée de Caen), l'histoire (il avait remporté le grand prix en 1739), se passionne pour la peinture à la cire suivant le procédé mis au point par Caylus, autre " protecteur " de l'artiste.
Le Lorrain mourut trop jeune pour connaître la gloire, mais joua un rôle important et d'avant-garde dans les nombreux domaines qu'il aborda (n'oublions pas la gravure), dans le mouvement de réaction au style rocaille. Ce mouvement, qui se tournait volontiers vers l'Antiquité grecque et romaine, et préparait le Néo-Classicisme, souhaitait le retour à un style plus dépouillé sans pour autant sacrifier l'élégance des formes et des motifs.
Le Moal (Jean)
Peintre français (Authon-du-Perche, Eure-et-Loir, 1909-Chilly-Mazarin 2007).
Après un court passage à l'École des arts décoratifs, il décide de se consacrer à la peinture. Son goût le porte vers Rembrandt et Chardin, qu'il copie au Louvre (1930), où il fait la connaissance de Manessier. Également intéressé par le paysage, Le Moal s'attache à la nature et, dès 1929, une Dune et une Marine préfigurent les œuvres non figuratives de sa maturité. Entre 1935 et 1938, il travaille à l'Académie Ranson dans l'atelier de Bissière et dans celui du sculpteur Malfray, où il se lie avec Jean Bertholle et Étienne Martin.
Le Moal fait ses premières expositions avec le groupe Témoignage à la gal. Breteau (Paris) en 1938 et à Lyon en 1939. Aux côtés de Bazaine et de Lapicque, il participe à l'exposition Jeunes Peintres de tradition française à la gal. Braun en 1941. Il expose en 1943 au Salon de mai, dont il est un des membres fondateurs, et est à cette époque marqué par le Cubisme (Conleau, 1944, musée de Rennes).
Il a travaillé aux côtés de Bazaine pour les auberges de la jeunesse (Porte d'Italie, 1937) et pour le pavillon français de l'exposition de New York, en 1939, avec Bertholle. En 1956, il donne les cartons de la verrière de Notre-Dame de Rennes, puis les maquettes des vitraux de la crypte d'Audincourt (1957) et de l'église Saint-Martin de Brest (1961-62) et de la cathédrale de Saint-Malo (1968-1972). Outre la création de nombreux décors et costumes pour le théâtre des Quatre-Saisons, le Studio des Champs-Élysées et la Comédie de Saint-Étienne entre 1939 et 1958, il a fourni des cartons de tapisserie aux Ateliers Plasse-le-Caisne : les Arbres (1953), Espaces (1962). Le Moal a conservé le goût raffiné de la couleur découvert chez Chardin et Poussin. Le contact avec les paysages bretons (l'Océan, 1958-59, Paris, M. N. A. M.) et les monts de l'Ardèche lui a permis d'inaugurer un art plus secret (v. 1957), délaissant les géométries trop apparentes et les accords stridents — au profit des mauves et des lilas — accordés avec les jaunes et les verts, palette qui le situe dans la lignée de Renoir et de Bonnard (Landes fleuries, 1961 ; Intérieur, 1964, Paris, M. N. A. M.). Un voyage en Amérique du Sud (1965-66) lui fait découvrir l'éclatante lumière des Andes et renouvelle son inspiration (Vers Machu Picchu, 1966). Au cours des années 70, Le Moal réalise de grandes toiles abstraites saturées de couleurs et d'éclats de lumière (Lumière d'août, 1973). Une importante rétrospective lui a été consacrée en 1971 par les musées de Caen et de Lille.
Le Nain (les)
Famille de peintres français.
Antoine (l'aîné des trois frères ; Laon entre 1597 et 1607 ? – Paris 1648) ; Louis (Laon, entre 1597 et 1607 ? – Paris 1648) ; Mathieu (Laon v. 1607 – Paris 1677). Quasi oubliés dès la fin du XVIIIe s., puis ressuscités par les travaux du romancier Champfleury (1850, 1862), les frères Le Nain sont aujourd'hui mis de pair avec les plus grands noms de la peinture française. Pourtant, la reconstitution de leur biographie et de leur œuvre continue à poser une série d'énigmes. Tous trois sont nés à Laon (Aisne) ; mais, des dates de naissance couramment acceptées, seule est plausible (encore qu'approximative sans doute) celle du benjamin, Mathieu (1607) ; celles d'Antoine (1588) et de Louis (1593), qui proviennent de sources suspectes, doivent probablement être avancées (entre 1597 et 1607 ?). L'enfance semble se dérouler dans un milieu relativement aisé et éclairé, mais conservant des liens directs avec la paysannerie : le père, Isaac, d'une famille de laboureurs et de vignerons des environs de Laon, avait acheté une charge de sergent royal au grenier à sel (1595) et possédait plusieurs maisons, vignes, prés et bois à Laon et aux alentours. Des cinq frères, les trois cadets suivirent une vocation qui n'était pas tout à fait paradoxale à Laon, où subsistait, autour de la cathédrale et des couvents, un petit centre artistique assez actif. Ils reçoivent durant une année les leçons d'un peintre de passage, puis viennent se perfectionner à Paris. Dédaignant de suivre la filière lente et coûteuse de la corporation des peintres et sculpteurs, ils s'installent à l'abri d'un " lieu privilégié " : Saint-Germain-des-Prés, où Antoine se fait recevoir maître peintre (1629) et s'établit avec ses frères (rue Princesse). Leur carrière se déroulera tout entière dans la capitale, sans que pour autant se relâchent les attaches avec Laon, où ils conservent propriétés et parents.
L'atelier, où collaborent étroitement les trois frères, semble vite prisé. Dès 1632, il obtient de la Ville de Paris la commande du Portrait des échevins (perdu). Avant 1643, Mathieu exécute le portrait de la reine Anne d'Autriche elle-même (perdu). Les Le Nain sont choisis pour décorer la chapelle de la Vierge à Saint-Germain-des-Prés (ensemble disparu à la Révolution) et pour exécuter le tableau d'autel de quatre chapelles à Notre-Dame (dont une Crucifixion datée de 1646, perdue). Leur succès semble confirmé par la littérature du temps (Du Bail, 1644 ; Scudéry, 1646). En 1648, tous trois sont admis à l'Académie royale de peinture et de sculpture au moment même de sa formation : mais Louis meurt brusquement le 24 mai, suivi le 26 par Antoine.
Mathieu, qu'un acte de 1646 faisait légataire universel de ses frères, se retrouve seul, maître d'une fortune assez considérable. D'" humeur martiale ", reçu dès 1633 lieutenant d'une compagnie bourgeoise de Paris et ayant sans doute servi dans l'armée royale elle-même, il prend le titre de " sieur de La Jumelle " et aspire à voir consacrer une élévation sociale en désaccord avec le métier de peintre. Il continue un temps à manier le pinceau (Portrait de Mazarin, donné à l'Académie en 1649, perdu ; Martyre des saints Crépin et Crépinien, 1654, Laon, église des Cordeliers, perdu), mais, probablement en " honnête homme ", cesse de mentionner la qualité de " peintre ordinaire du Roy " et obtient enfin en 1662 le collier de l'ordre de Saint-Michel, qui équivaut pratiquement à l'anoblissement. Son souci de ne plus rappeler un métier entaché de roture, donc de ne pas entretenir la mémoire de ses frères, suffit pour une grande part à expliquer l'oubli où, surtout après sa mort, le 20 avril 1677, tombe peu à peu le nom des peintres Le Nain.
Il a fallu reconstruire l'œuvre à partir d'une quinzaine de toiles signées et datées (toutes entre 1640 et 1647). On l'a regardé longtemps comme celui de peintres provinciaux qu'un Flamand de passage aurait formés à la peinture de genre et qui, venus tardivement dans la capitale, auraient tenté sans succès de faire accepter au public parisien une inspiration paysanne trop réaliste : échec qui les aurait portés à s'essayer maladroitement à la " grande peinture " et au portrait, et qui finalement aurait conduit Mathieu à une totale décadence. Cette image, marquée par le romantisme du siècle dernier, doit être révisée. Les trois frères semblent au contraire s'imposer rapidement dans Paris par leurs peintures religieuses et surtout leurs portraits ; vers 1640, quand la concurrence des élèves de Vouet se fait plus grande et que se développe dans la haute société le goût du burlesque et des paysanneries, ils tentent probablement de maintenir leur succès en consacrant une grande part de leur activité aux " bamboches ", interprétées dans un goût " français ", et une autre part au portrait de groupe, jusque-là généralement réservé en France aux ex-voto et aux portraits officiels, et qu'à l'exemple des peintres hollandais ils transforment en scène de genre et réduisent au format du tableau de cabinet : innovations habiles qui semblent avoir connu le plus vif succès auprès de la société parisienne.
Leur " grande peinture " reste mal connue. Une figure allégorique, sans doute destinée au décor d'une cheminée, la surprenante Victoire du Louvre, et 2 toiles mythologiques (Bacchus et Ariane, musée d'Orléans ; Vénus dans la forge de Vulcain, 1641, musée de Reims) semblent indiquer qu'ils pratiquèrent ce genre avec une science médiocre de la composition, mais une inspiration fraîche et sensible. Les grands tableaux religieux conservés montrent les mêmes défauts et les mêmes qualités : la série de la Vie de la Vierge, sans doute peinte dès 1630-1632 pour une chapelle de Petits Augustins de Paris (4 tableaux retrouvés sur 6, dont l'Adoration des bergers du Louvre), n'a pas encore la maîtrise des retables de Notre-Dame (2 retrouvés sur 4 : Saint Michel dédiant ses armes à la Vierge, Nevers, église Saint-Pierre ; Nativité de la Vierge, Paris, Notre-Dame, naguère Saint-Étienne-du-Mont). Dans des toiles de composition moins complexe, la simplicité monumentale de la forme met en valeur la vision réaliste et l'émotion discrète (Repos de la Sainte Famille en Égypte ; la Madeleine repentante, id., sans doute variante de la toile de même sujet, 1643, perdue).
L'œuvre des Le Nain portraitistes est encore plus mal préservé, et de surcroît encombré d'attributions sans fondement. On ne conserve qu'un tout petit nombre de portraits isolés sûrs, opposés entre eux de format et de manière : le Marquis de Trévilles (1644) ; Dame âgée (copie d'un original daté de 1644, musée d'Avignon) ; Homme en buste (musée du Puy). Mieux connus, les portraits de groupe sont dominés par une série d'œuvres traitées en tableaux de genre, mais avec le souci d'allier franchise et distinction, et dans un éclairage solide, mais qui parfois ne craint pas de décomposer les visages en un jeu de reflets insistants : série qui se regroupe autour du Corps de garde (1643, Louvre) et des 5 tableaux de l'ancienne collection Seyssel, dont les Joueurs de tric-trac (Louvre) et la Danse d'enfants. On en détacherait une composition plus sévère et plus proche des modèles hollandais, la Réunion d'amateurs (Louvre), et surtout des œuvres de petit format, de composition maladroite, d'observation plus réaliste, de technique curieusement impressionniste : Réunion de famille (1642, Louvre), Portraits dans un intérieur (1647, Louvre).
Mais la partie de leur œuvre qui place hors de pair les Le Nain est constituée par leurs tableaux paysans. Ici encore surprend la diversité de facture et de qualité. Deux grandes toiles, qu'il faut mettre d'emblée à part, définissent les plus hautes qualités de leur art, la Famille de paysans (Louvre) et le Repas de paysans (1642, Louvre) : puissance de la construction en bas relief, sobriété du coloris, où les bruns et les gris sont à peine animés de quelques taches de couleur, sûreté d'une facture simple et solide à la fois, tout met en valeur une sincérité d'observation, excluant aussi bien le pittoresque que la cruauté, et une intuition psychologique qui, dans le spectacle de quelques paysans contemporains, ont su exprimer l'âme paysanne de tous les temps. Quelques-uns de ces dons surprenants se retrouvent dans des tableaux d'intérieur de dimensions plus réduites, comme la Visite à la grand-mère (Ermitage) ou la Famille heureuse (dite Retour du baptême, 1642, Louvre). La Forge (Louvre) y ajoute une étude de lumière artificielle rendue avec une science et une audace de touche exceptionnelles. La plupart des thèmes sont étroitement liés au répertoire flamand : mais la densité psychologique dérive peut-être de la tradition caravagesque (les Joueurs de cartes, musée d'Aix-en-Provence ; la Rixe, 164(0) ?, musée de Cardiff). Fort différente, une autre série de scènes d'intérieur, de petit format, sur bois ou cuivre, montrant le plus souvent des groupes d'enfants, marque un refus de composer une " action ", joint à une observation " naïve " et généralement une touche grasse, dont la maladresse n'est qu'apparente : le meilleur exemple en est le Vieux Joueur de flageolet (1644 ou 1642, Detroit, Inst. of Arts). En regard de ces toiles d'intérieur, plus surprenante encore apparaît une série de scènes paysannes de plein air. Tantôt le motif continue à l'emporter (la Charrette, 1641, Louvre), tantôt l'on touche au paysage pur (Paysans dans un paysage, Hartford, Wadsworth Atheneum), mais, le plus souvent, ces deux intérêts s'équilibrent en compositions d'une volontaire gaucherie (la Laitière, Ermitage). Le coloris très clair s'allie à une audace exceptionnelle : touche libre, vérité du paysage rejetant toutes les conventions du genre, justesse de l'atmosphère argentée, qui semble établir un lien imprévu entre Fouquet et Corot. Un ensemble aussi complexe multiplie pour la critique les problèmes les plus délicats. Les limites mêmes de l'œuvre restent indécises. Ainsi, faut-il admettre ou rejeter un groupe de tableaux, essentiellement religieux, que J. Thuillier a rassemblés autour d'une Adoration des bergers réapparue (loc. inc.), dont les rapports avec l'œuvre sûr sont indéniables mais aussi les différences ? Vite plagié, il se trouve encombré dès le XVIIIe s. de fausses attributions. Il a été possible d'en séparer la production de Michelin ; il est plus difficile d'identifier le " Maître des Cortèges " (le Cortège du bœuf gras, Paris, musée Picasso ; le Cortège du bélier, Philadelphie, Museum of Art), ou encore l'auteur médiocre de nombreuses scènes d'extérieur, à intentions souvent grossières, fréquemment données sans fondement à la vieillesse de Mathieu (le Repas villageois, l'Abreuvoir, Louvre). D'autre part, la répartition des œuvres entre les trois frères a, depuis quarante ans, accaparé la critique. Elle perd beaucoup de son importance si la différence d'âge supposée (dix-neuf ans entre Antoine et Mathieu) se réduit à quelques années. La distinction proposée par Paul Jamot (Le Nain, 1929) apparaît jusqu'ici la plus raisonnable : à Antoine les petits tableaux d'enfants pittoresques et les petits portraits de groupe ; à Louis les tableaux paysans, avec le privilège d'une psychologie profonde et d'un sentiment tout moderne du paysage ; à Mathieu les portraits de groupe élégants, tels que les Joueurs de tric-trac. Mais ce partage, lui-même, se heurte à une série de graves difficultés, ne peut s'appliquer à l'ensemble de la production (les portraits en pied, les tableaux mythologiques et religieux ?) et ne doit pas faire oublier une collaboration constante : dans la plupart des toiles importantes, portraits exceptés, apparaissent plusieurs mains.
Il convient, au contraire, d'insister à la fois sur la diversité de la production de l'atelier et sur son unité profonde. À titres divers, les trois frères partagent le même mérite : celui d'avoir incarné l'idéal d'élégance et de clarté où tend, entre 1630 et 1650, la peinture parisienne. Leur œuvre exprime pleinement cette recherche : simplicité de la composition, établie sur des plans distincts, sobriété et souvent clarté du coloris, souci de l'atmosphère, équilibre entre l'intérêt psychologique et la retenue de l'expression, entre l'observation du " naturel " et l'élégance de la forme. Or, tandis que ce que l'on nomme par convention la grande peinture (La Hyre, Le Sueur) s'appuie dans l'élaboration de ce style sur la tradition italienne, les Le Nain — s'agissant du portrait et de la scène de genre, où la production française reste étroitement liée à la tradition flamande — sont conduits à une expression tout originale et qui, dans son aboutissement du moins, apparaît pratiquement isolée dans la peinture européenne du XVIIe s.