Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
C

caravagisme (suite)

Espagne

L'Espagne fut, chronologiquement, le premier pays étranger à connaître Caravage. Les documents sont éloquents : alors que, dès 1593, Borgianni en divulguait à Madrid les toutes premières nouveautés, arrivaient à Séville les tableaux exécutés par le jeune Lombard pour l'hôpital de la Consolazione (auj. perdus) et, peu après 1600, plusieurs copies du Martyre de saint Pierre ; rentré en Italie en 1603, Borgianni revenait à Madrid en 1605 après avoir étudié les dernières œuvres romaines du maître, dont, à la même époque, 2 tableaux étaient apportés à la Cour par le vice-roi, comte de Bénévent, notamment le Martyre de saint André de l'époque napolitaine. Dans la collection de l'amiral Enriquez de Cabrera, en outre, figurait une Salomé avec la tête de saint Jean-Baptiste (auj. au Palais royal de Madrid). D'autre part, plusieurs copies (Incrédulité de saint Thomas, Descente de croix) sont signalées dans le premier quart du XVIIe s. à Séville et à Valence. Deux d'entre elles avaient pour auteur Juan de Ribalta, fils du grand fondateur de l'école valencienne et lui-même peintre très doué, qui devait mourir prématurément. Las du Maniérisme, les peintres espagnols étaient prédestinés à donner une adhésion quasi massive à ce " populisme héroïque " de Caravage qui répondait à leur sensibilité profonde. De plus, ils étaient préparés à l'accueillir par deux " vagues " antérieures de peinture réaliste et luministe, dont les historiens espagnols récents ont justement souligné l'importance entre 1570 et 1600 : celle du nocturne pastoral issu des Vénitiens (le dernier Titien et surtout Bassano) que représentent Navarrete à l'Escorial, Greco à Tolède et qu'Orrente prolonge au début du XVIIe s. ; celle qui, v. 1600, part de Tolède, d'un faire plus large et plus plastique, qu'incarnent Luis Tristan, disciple émancipé de Greco, et le peintre chartreux Sánchez Cotán (particulièrement dans ses natures mortes). On peut rattacher à ce courant, dans une large mesure, l'art de maturité de Ribalta, Catalan qui se forme en Castille avant de se fixer à Valence. Sur ce fonds antérieur, le Caravagisme va se greffer tout naturellement, apportant aux Espagnols l'exemple d'un " relief " — c'est le terme qu'emploie Pacheco — sculptural et d'une violence neuve dans les contrastes lumineux. Les théoriciens académiques, en dépit de leurs réactions hostiles, jettent du lest : Pacheco, s'il exige une interprétation idéaliste de la figure humaine dans les sujets sacrés, conseille l'étude du " relief " comme une excellente école pour les jeunes peintres et ceux qui peignent des poissonneries, des " bodegones ", des animaux, des fruits et des paysages (Velázquez suivra ce conseil dans ses premières œuvres). Carducho lui-même, s'il considère en 1634 Caravage comme une sorte d'Antéchrist venu pour détruire la peinture, évolue sous son influence et, dans maint tableau, notamment dans son grand cycle chartreux du Paular, pratique un ténébrisme modéré.

   En dehors de Ribera — grand maître si profondément espagnol par le sentiment, mais qui relève directement de Caravage et de l'Italie —, on peut dire que, entre 1620 et 1635, toute l'aile marchante de la peinture espagnole est caravagesque. En tout premier lieu, le Retable des " Cuatro Pascuas " peint par Maino pour S. Pedro Mártir de Tolède en 1612. Les dernières œuvres de Ribalta, v. 1625 (Évangélistes et saints de la chartreuse de Porta Cœli), sont délibérément ténébristes, sans doute sous l'influence de son fils Juan — qui revient d'Italie — et à son exemple. Les œuvres sévillanes de Velázquez sont caravagesques non seulement dans l'ordre profane (Musiciens, Femme faisant frire des œufs, Vendeurs d'eau), mais aussi dans les tableaux religieux (Apparition de la Vierge à saint Ildefonse, Adoration des mages) et le portrait (Mère Jéronima de la Fuente) ; en 1629, à la veille de son premier voyage à Rome, il interprète le thème de Bacchus selon un réalisme picaresque et goguenard auquel le public donnera caution en appelant le tableau Los borrachos (les Buveurs). Quant à Zurbarán, il traverse entre 1627 (date où il devient brusquement célèbre grâce à ce Christ en croix, pour S. Pablo de Séville, qu'on prenait pour une sculpture dans le demi-jour de sa chapelle grillée) et 1633 (date du cycle des Apôtres du M. A. A. de Lisbonne) une crise de ténébrisme aigu. Après 1635, pour toute l'Espagne, le Caravagisme est assimilé et dépassé : d'autres influences, celle de Venise, puis celles de Rubens et de Van Dyck, vont lui succéder. Mais il reste en quelque sorte consubstantiel aux peintres espagnols, sous son double aspect de vigueur plastique et de réalisme épique.

Carderera (Valentin)

Peintre espagnol (Huesca 1796  – Madrid 1880).

Cet Aragonais est l'une des figures les plus intéressantes du XIXe s. espagnol par sa curiosité intellectuelle, son ouverture internationale et la sûreté de son goût. Après avoir étudié à l'Académie de San Luis de Saragosse, il alla à Madrid et fut l'élève du peintre académique Maella, puis obtint du duc de Villahermosa une pension pour Rome de 1822 à 1831. Comme peintre, il fut surtout un bon portraitiste, encore très classique, d'une élégance un peu compassée : le Prince d'Anglona (Madrid, Museo romántico). En revanche, le large éclectisme de ses goûts, son intérêt pour le passé national, plus spécialement pour l'archéologie, l'architecture et la peinture du Moyen Âge, ses amitiés littéraires et sa collaboration aux jeunes revues comme El artista le rattachent au Romantisme militant. Outre les travaux d'érudition, dont le plus considérable est sa monumentale Iconografia española (2 vol., 1855-1864), recueil de dessins sur les édifices espagnols menacés par la Desamortizacíon, il publia de nombreuses études sur les peintres espagnols, et notamment sur Goya. Admirateur de son grand compatriote aragonais, il fut l'un de ses premiers biographes et l'un des plus sûrs, de l'article d'El artista (1835) à celui de la Gazette des beaux-arts (1860). Membre de plusieurs académies, collectionneur inlassable autant qu'averti, il participa à l'organisation du Musée national de la Trinidad, où furent rassemblés les tableaux sauvés lors de la fermeture des édifices religieux (1848), enseigna la théorie et l'histoire des beaux-arts à l'Académie de S. Fernando de Madrid et contribua largement à la création, en 1873, du Museo provincial de Huesca, auquel il donna 72 œuvres dont de nombreux primitifs. Sa collection de lithographies et de gravures y est présentée dans une salle où figure aussi son portrait par Federico Madrazo. De même, c'est à lui que la Biblioteca national et l'Academia de S. Fernando de Madrid doivent, chacune, plusieurs centaines de dessins de haute qualité.