Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
D

Decker (Cornelis Gerritsz)

Peintre néerlandais (connu à Haarlem à partir de 1643  – Haarlem 1678).

Ses peintures sont généralement des vues de fermes délabrées, entourées d'arbres, dans un paysage de dunes. Ses thèmes et son style s'inspirent par ailleurs directement de l'œuvre de Jacob Van Ruisdael, à tel point que ses nombreuses peintures datées sont, par référence, des indices utiles pour la classification chronologique de l'œuvre de ce dernier. Les personnages de ses toiles ressemblent souvent à ceux d'un autre peintre de Haarlem, Adriaen Van Ostade, et d'après la tradition ce dernier les aurait exécutés lui-même sur les tableaux de Decker. Une petite série d'" intérieurs ouvriers " signés du seul nom de l'artiste, où l'on voit des tisserands à l'ouvrage — artisanat important à Haarlem —, a été autrefois attribuée à un " Jan " Decker, mais, depuis quelque temps, on a reconnu qu'elle devait être de la main de Cornelis. Celui-ci est représenté à la N. G. de Londres, à l'Alte Pin. de Munich, au Rijksmuseum et, en France, au Louvre, au château de Compiègne et dans les musées de Béziers, Marseille, Nancy, Orléans et Rennes.

Dedreux (Alfred)
ou Alfred de Dreux

Peintre français (Paris 1810  – id. 1860).

Bien qu'élève de Léon Cogniet et admirateur fervent de Delacroix, il délaisse très vite la peinture d'histoire (la Bataille de Baugé, 1839, musée de Narbonne) et révèle dès son premier Salon (1831) son culte pour les chevaux et les chiens. Il peint surtout avec passion les pur-sang anglais, vedettes des champs de courses : il les montre au galop, à l'entraînement, au pesage, à l'écurie, avec leur jockey ou leurs palefreniers : il en affine encore les formes, les étirant jusqu'à la fragilité, mais, se souvenant de Géricault, il se plaît aussi à rendre le chatoiement de leur robe.

   Mondain, quelque peu dandy, marqué par son long séjour en Angleterre (1844-1852), Dedreux s'attacha en chroniqueur à la représentation distinguée des cavaliers chevauchant en forêt (Cavaliers et amazone arrêtés au bord du lac de Pierrefonds, 1859, Louvre), des fringants officiers de cavalerie, des chasses à courre au cerf ou au renard, des phaétons et des calèches aux attelages fougueux (la Promenade, 1848, Paris, Petit Palais). Il brossa de jolis portraits équestres (l'Écuyère Kippler sur sa jument noire, id.), exécuta pour la Cour plusieurs portraits princiers (Portrait équestre du duc d'Orléans, 1843, musée de Bordeaux ; Portraits du comte de Paris et du duc de Chartres dans le parc de Claremont, 1849-50, Versailles) et venait de recevoir la commande de celui de Napoléon III (1859) lorsqu'il fut tué au cours d'un duel. Sa facture preste, sa pâte souple, son élégance lui valurent un vif succès, qui l'inclina parfois vers la facilité. Dedreux réalisa aussi de charmantes aquarelles d'un romantisme proche de l'esprit troubadour (la Course au baiser, 1837, Paris, coll. part.) et de nombreuses lithographies (Matinée au bois).

Defrance (Léonard)

Peintre flamand (Liège 1735  –id.  1805).

Apprenti chez un orfèvre, puis chez le peintre Coclers, il part en 1753 pour Rome avec le peintre liégeois Ernotte. En 1759, il visite l'Italie et, au retour, il s'arrête à Montpellier, où il exécute les portraits de dignitaires ecclésiastiques, à Toulouse (Portrait de peintre, musée de Mirande), et à Paris, avant de rentrer à Liège en 1764. Il se lie avec Fragonard et adhère aux idées révolutionnaires au cours de nouveaux séjours à Paris, où il est finalement contraint de se réfugier, ne revenant à Liège qu'en 1794, avec les Français auxquels il se dévoue. Révolutionnaire enthousiaste, adoptant comme devise " Aie le courage de te servir de ton entendement ", il a été de nos jours récupéré par le courant marxiste. Plus connu pour son rôle dans la démolition de la cathédrale Saint-Lambert de Liège et pour ses pamphlets anticléricaux qui lui ont valu à son époque le qualificatif de " vandale " dans le Troubadour liégeois du 7 février 1797, que pour ses imitations de Teniers et de Wouwerman, il a su être aussi, un peu comme Boilly, un bon observateur des scènes révolutionnaires (Intérieur d'une prison sous la Révolution, anc. coll. Baron Janssen) et un excellent spécialiste, souvent piquant et alerte, de scènes de genre, mais d'esprit néo-classique, c'est-à-dire moralisateur, car tirées de la vie quotidienne, de la rue et des ateliers. Le musée wallon de Liège conserve une série d'œuvres de lui (notamment Visite à la manufacture de tabacs), le musée Marmottan de Paris l'Extraction des marbres et l'Intérieur d'une tannerie et le musée de Dijon " À l'égide de Minerve ".

Degas (Edgar de Gas, dit)

Peintre et sculpteur français (Paris 1834  – id. 1917).

Issu d'une famille appartenant à la bonne bourgeoisie bancaire, il fit d'abord de sérieuses études classiques, puis entra en 1855 dans l'atelier de Lamothe, où se perpétuait l'enseignement d'Ingres et de Flandrin. Ses premières œuvres (1853-1859) furent des autoportraits et des portraits de famille qui montrent déjà de grandes qualités de simplicité (René de Gas à l'encrier, 1855, Northampton, Smith College Museum of Art). Le jeune artiste séjourna ensuite en Italie (1856-1860), où il découvrit et copia avec ferveur les œuvres des maîtres florentins. À son retour à Paris, Degas exécuta plusieurs toiles de sujets historiques : Petites Filles spartiates provoquant des garçons (1860, Londres, N. G.), Sémiramis construisant Babylone (1861, Paris, Orsay), Scène de guerre au Moyen Âge (1865, id.), œuvres déjà profondément originales créées dans un style assez classique. On conserve les séries de dessins préparatoires qu'il réalisa pour ces toiles, études de draperies et de nus dont le graphisme est déjà sûr et vigoureux (Femme nue debout, 1865, Louvre). Degas prouvait ainsi combien il avait compris la leçon essentielle d'Ingres, qu'il considéra toute sa vie comme le plus grand peintre contemporain.

   C'est à Ingres qu'il se référait encore dans les remarquables portraits de famille et d'amis qu'il peignit de 1858 à 1870 : il y associait, comme le faisait le maître, le sens de la réalité et la conception du Beau idéal. Le Portrait de la famille Bellelli (1858-1867, Paris, Orsay), en particulier, est une composition habile mais rigoureuse, au dessin ingriste et à la couleur raffinée. Les études qu'il fit, au pastel ou à l'essence, pour les différents personnages sont parmi les plus harmonieuses de son œuvre. Son Portrait de Thérèse de Gas, duchesse Morbilli (v. 1863, id.), et celui d'une Jeune Femme fine et sérieuse (1867, id.) sont des toiles d'une profondeur psychologique délicate et d'un charme certain.

   Degas pouvait alors être considéré comme l'un des espoirs de la grande peinture officielle. Mais son goût du réalisme, l'influence des théories de Louis-Émile Duranty sur le rendu du réel, son intérêt pour la " modernité baudelairienne " et pour les sujets inédits allaient le pousser sur les champs de courses et dans les coulisses de théâtre. Son milieu social, ses amitiés musicales lui avaient fait découvrir ces mondes factices et colorés. Il s'attacha désormais à en observer les aspects insolites. Vers 1860-1862, il peignit ses premiers chevaux de course : pur-sang à la robe satinée, casaques vives des jockeys, fébrilité du pesage (Aux courses en province, 1869, Boston, M. F. A.). Très vite il s'intéressa à la danse et à l'opéra. Il exécuta le Portrait de Mlle Eugénie Fiocre ; à propos du ballet de " la Source " (1867-1868, musée de Brooklyn), curieuse toile, presque symboliste, où chante le turquoise acide de la robe de la danseuse, puis, en 1872, le Foyer de la danse à l'Opéra (Paris, Orsay), aux accords atténués de bleu-gris et de jaune. C'est durant cette période qu'apparurent des effets nouveaux de mises en page originales, souvent décentrées : l'Orchestre de l'Opéra (v. 1870, id.). Il y mêlait en outre les éléments furtifs d'un japonisme alors à la mode (Femme accoudée près d'un vase de fleurs, probablement Mme Paul Valpinson, dit à tort la Femme aux chrysanthèmes, 1865, Metropolitan Museum).

   Après un voyage avec son frère René dans la famille de sa mère, à La Nouvelle-Orléans, il peignit Portraits dans un bureau (Nouvelle-Orléans), [1873, musée de Pau], où s'affirment ses recherches réalistes. Degas avait rencontré au Louvre Édouard Manet, dont il partageait les goûts bourgeois et les admirations artistiques. Ils s'intéressèrent ensemble à certains thèmes naturalistes, mais Degas refusa avec acharnement le culte de la campagne, la nécessité du plein air et du travail sur le motif. S'il fréquentait le café Guerbois jusqu'en 1870, puis le café de la Nouvelle-Athènes, s'il y retrouvait avec plaisir Manet, Zola et Cézanne, il ne partageait pas réellement l'esthétique du mouvement impressionniste. Non seulement il rejetait leur esclavage du plein air, mais il refusait l'observation obsédante des changements de la lumière pour s'attacher à l'étude du mouvement et à la traduction de l'instantané. Cependant, il fit psychologiquement cause commune avec les impressionnistes et présenta 10 toiles à la première exposition du groupe, en 1874, chez le photographe Nadar. Et bien qu'il ne fût pas exclu du Salon officiel, il continua d'exposer régulièrement à leurs côtés (sauf en 1882), jusqu'en 1886, date après laquelle il réserva toute sa production à ses marchands fidèles, en particulier à Durand-Ruel. Cet art exigeant traduit, certes, une remarquable perspicacité de l'impression fugitive, et il est en ce sens impressionniste, mais c'est aussi un art réfléchi, construit, épris de perfection et par là profondément indépendant. Degas s'intéressait avant tout à la ligne : ses dessins, rapides, précis, révèlent sa rare habileté et son sens du mouvement analysé et projeté d'un seul coup de crayon (le Louvre possède de passionnantes séries d'études, et la B. N. de Paris plusieurs carnets de croquis). Pour rompre l'immobilisme de ses toiles, il inventait des cadrages décentrés, remontait la ligne d'horizon, renversait la perspective ou fixait la scène dans un espace découpé arbitrairement comme un trou de serrure ou un objectif photographique. Il s'était d'ailleurs adonné souvent à la photographie, sans s'en être inspiré picturalement autant qu'on a voulu le dire. Mais il aimait faire jouer sur ces compositions fragmentaires la lumière artificielle d'éclairages éblouissants qui soulignent les formes. Dans ses huiles et ses pastels, plus nombreux après 1880, les tons sont éclatants : bleus sourds, roses et oranges opulents ; les plans monochromes vibrent grâce à quelques touches de couleurs pures qui les raniment. Degas, inquiet, probe, cherchait sans cesse, reprenant inlassablement chaque pose, chaque thème. Il rejetait le Symbolisme, qui est évasion, et l'esthétisme de l'Art nouveau, qu'il trouvait décadent. Très orgueilleux, il dédaignait d'ailleurs les avis extérieurs, conseils ou compliments, ne se fiant qu'à son jugement, et renonçait volontairement aux honneurs officiels pour écarter tout risque de compromission. Son caractère, difficile, intransigeant, s'était assombri, en 1878, après la faillite qui devait ruiner sa famille. Il paya les dettes, mais, gêné financièrement, devint plus pessimiste et irascible que jamais. Ce misanthrope ressentit pourtant de vives sympathies pour Manet ou Gustave Moreau et de profondes amitiés pour les Halévy, les Rouart, Évariste de Valernes et surtout le sculpteur Albert Bartholomé. Très sensible au chagrin de ses proches, ce bourru fut pour Bartholomé un ami secourable au moment de la mort de son épouse, Périe de Fleury, une des rares femmes devant lesquelles Degas oublia sa misogynie farouche. Cependant, parfois, cet esprit pénétrant, ce causeur cultivé et caustique, ce fin poète était dominé par sa hargne agressive, et souvent l'amitié ne résistait pas aux dissensions politiques. Degas, réactionnaire, fanatique du passé, des traditions, de l'armée, se brouilla avec les Halévy au sujet de l'Affaire Dreyfus. Lucide et ironique, il fut un observateur cruel du quotidien : ses célèbres danseuses sont avant tout des créatures aériennes, enfantines, transfigurées par les lumières phosphorescentes de la rampe (Répétition de ballet sur la scène, 1874, Paris, musée d'Orsay) ; elles sont des arabesques colorées en suspens, mais elles sont aussi des petits rats abêtis et épuisés par la monotonie des répétitions, des silhouettes au repos, s'étirant, ajustant leur chausson ou leur corsage avec des gestes gauches, des pieds de canard et des museaux chiffonnés (Danseuses dans les coulisses, 1890-1895, Saint Louis, Missouri, City Art Gal.).

   Degas, en effet, ne recherchait pas dans le ballet la grâce séduisante. Il s'attachait de préférence aux positions absurdes et aux équilibres invraisemblables. Son regard était plus impitoyable encore lorsqu'il se posait sur la femme à sa toilette. Il l'observait longuement, dans son tub, sortant de sa baignoire, se savonnant, se frictionnant, s'essuyant la nuque, la jambe ou le torse (le Bain, v. 1890, Chicago, Art Inst.). Il la détaillait avec mépris, alors qu'elle pouvait se croire seule, animale, accroupie, grotesquement occupée à des soins intimes ou se grattant. Mais cette grenouille grasse et vulgaire, Degas la décrivait avec force et véracité : il zébrait de lumière les croupes rondes, il caressait les chairs bleuies, il mêlait les tons violents de pastel, le rose crevette, l'abricot, le vert (la Sortie de bain, 1885, New York, M. O. M. A.). Et ses femmes qui se peignent déroulaient des chevelures fauves ruisselantes (Femme se coiffant, 1887-1890, Paris, Orsay). La vision de Degas n'était guère plus indulgente quand il regardait les femmes du peuple ou le monde des cafés et des beuglants. Il traitait là des thèmes chers à Zola, mais il n'était pas un réaliste à la manière de Courbet. Ses Repasseuses au travail (1884, id.), ses blanchisseuses et ses couturières, sa jeune modiste couchée sur la table pour façonner un chapeau ne suggèrent ni leçon de morale ni manifeste politique. Ces œuvres évoquent seulement, de façon magistrale, un instant de leur vie populaire. Degas s'y révèle toujours compositeur hardi et coloriste violent, comme le prouvent les trois chapeaux de Chez la modiste (1882, Metropolitan Museum) se détachant sur le mur orange. En 1876, il peignit l'Absinthe (Paris, Orsay), ce portrait de Marcellin Desboutin et de l'actrice Ellen Andrée, attablés au café de la Nouvelle-Athènes, l'air hagard, immobilisés dans leur détresse. Ce fut le seul tableau " misérabiliste " de sa carrière. Cette toile fut très vivement critiquée à Paris et à Londres, où elle fut exposée en 1893. Ses Femmes à la terrasse d'un café, le soir (1877, id.) avancent leur visage simiesque sur le fond clignotant du boulevard. La même utilisation du flou, due à l'utilisation du pastel, se retrouve dans le Café-concert des Ambassadeurs (1876-77, musée de Lyon), où, seule parmi les lampions, se détache la chanteuse. Degas s'intéressa aussi au cirque, aux fièvres de la Bourse, aux cocottes et même aux bordels dans une suite de monotypes cyniques, presque expressionnistes (la Fête de la patronne ; plusieurs au musée Picasso à Paris). Comme son délicat Au Luxembourg (1876-1880, musée de Montpellier), quelques jolies études nous montrent que ce bourgeois parisien aimait aussi le paysage. Il exécuta en 1869, au pastel, une série de marines dépouillées, puis v. 1890 des monotypes de vallons et de prairies qu'il réalisa de mémoire d'après les paysages découverts lors d'un voyage en Bourgogne avec Bartholomé.

   Lorsque sa vue baissa, ses pastels devinrent plus audacieux, plus rutilants. Il modela les formes par la couleur, simplifiant la composition, striant sa toile de hachures fiévreuses. Son infirmité lui fit ainsi pressentir les accents effrénés et les ombres colorées des fauves (Danseuses, 1899, Toledo, Ohio, Museum of Art). Quand sa cécité fut presque complète, Degas, isolé et amer, s'enferma farouchement dans sa solitude, mais il se consacra à la sculpture, qu'il pratiquait depuis 1868. L'art de Degas, sans cesse renouvelé, d'un réalisme novateur, influença fortement ses contemporains : Toulouse-Lautrec, qu'il défendit à ses débuts, lui emprunta son goût du dessin et son observation âpre de la vie parisienne. Les réalistes académiques, français ou belges, reprirent ses thèmes et, parfois, comme Besnard ou Boldini, ses recherches de coloris flamboyant. Mais ce seront surtout les Nabis, et parmi eux Bonnard, qui comprendront son intimisme aux tons crus et le transposeront en un monde plus heureux. Cet œuvre considérable (plus de 2 000 peintures et pastels) est réparti dans la plupart des musées et des cabinets de dessins du monde entier. Il est particulièrement bien représenté au musée d'Orsay (peintures et pastels), au Louvre et à la B. N. (dessins) et dans les principaux musées des États-Unis, notamment au Metropolitan Museum. Une rétrospective consacrée à Degas a été présentée à Ottawa, musée des B. A., 1988 ; à Paris, Grand Palais, 1988 ; à New York, Metropolitan Museum, 1989.