Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
N

néo-classicisme

L'art du monde occidental, de la Russie aux colonies américaines, connut à partir de 1760 un vif regain d'intérêt pour les antiquités grecques et romaines. Cette nouvelle influence du Classicisme, manifeste en peinture comme ailleurs, donna lieu à une telle éclosion de styles et de formes d'expression qu'une définition précise du Néo-Classicisme est particulièrement difficile à établir. Il est bon, cependant, de n'y voir qu'un des aspects du phénomène beaucoup plus général de l'historicité, qui incita les peintres de la fin du XVIIIe s. et du XIXe s. à reconstituer costumes et décors avec une précision archéologique croissante, et cela non seulement pour l'Antiquité gréco-romaine, mais aussi pour toute autre période, qu'elle soit médiévale, renaissante ou même contemporaine. La plupart des peintres qui suivirent cette mode gréco-romaine pouvaient ainsi s'adapter à d'autres styles historiques et illustrer des scènes empruntées non seulement à Homère, Eschyle, Tite-Live ou Plutarque, mais aussi à l'histoire ou à la littérature du Moyen Âge ou de la Renaissance et même à des vies de héros contemporains, comme James Wolfe, Marat ou Napoléon.

Winckelmann et Mengs

De 1760 à 1770, la peinture néo-classique fut étroitement associée aux courants esthétiques réformateurs qui combattaient le style rococo dominant, ainsi qu'au respect et à l'étude de l'art classique, symbolisés à la fois par les fouilles archéologiques de sites comme Herculanum et Pompéi et par les derniers traités historiques et esthétiques de l'Allemand J. J. Winckelmann. Rome fut un centre particulièrement actif de la réforme néo-classique, rassemblant des artistes venus du nord des Alpes non seulement pour s'adonner à l'étude des antiquités gréco-romaines bien connues ou récemment exhumées, mais aussi pour voir d'un œil nouveau ces artistes des XVIe, XVIIe et XVIIIe s., dont le style s'ouvrait sur des perspectives plus classiques. L'art d'Anton Raphael Mengs, peintre et esthéticien allemand, est particulièrement significatif, puisqu'il rejeta le Rococo, qui prévalait à Dresde, sa ville natale, pour adopter les styles de peintres d'histoire plus anciens qui pouvaient lui donner des leçons de sobriété et de retenue. Avec l'éclectisme propre à cette époque, sa fresque du Parnasse qui orne un plafond de la Villa Albani (1762) combine des sources d'inspiration aussi variées que l'Apollon du Belvédère, une colonne dorique grecque, Raphaël et la peinture bolonaise du XVIIe s. — synthèse d'ailleurs encore marquée par le ton élégant et menu du Rococo, auquel l'artiste s'opposait vaillamment.

   Dans une certaine mesure, on peut voir dans l'art de Mengs, comme dans celui de certains Italiens de son époque, tel Pompeo Batoni, l'ultime affirmation des tendances soucieuses de clarté de structure et de lignes, qui marquent encore la peinture du XVIIIe s., surtout celle qui est inspirée par la tradition bolonaise.

Apports anglo-saxons

Plus nettement tranchée, et anticipant sur des œuvres futures, apparaît la production néo-classique des peintres venus à Rome de pays plus lointains, notamment des régions anglo-américaines : Benjamin West, des colonies américaines ; Gavin Hamilton, d'Écosse ; Nathaniel Dance, de Londres. Formés à une tradition picturale relativement peu contraignante, ces artistes, que le Rococo avait peu influencés, étaient particulièrement aptes à assimiler rapidement les principes réalistes de base du Néo-Classicisme, tels que la reproduction scrupuleuse et précise des données archéologiques sur le costume, l'architecture et les œuvres d'art classiques, que nécessitait la reconstitution exacte de scènes romaines ou grecques. De plus, leur hérédité puritaine les portait à délaisser les thèmes érotiques propres au XVIIIe s. pour des thèmes antiques aussi édifiants et moralisateurs que prestation de serments d'allégeance, mort de héros ou stoïque don de soi. Dans les années 1760, Gavin Hamilton, archéologue lui-même et marchand d'antiquités, illustra non seulement une série de scènes de batailles et de deuils tirées de l'Iliade, mais encore, d'après Tite-Live, Lucrèce se donnant la mort et Brutus jurant de se venger (Londres, Drury Lane Theatre), scènes qui alliaient la tragédie pathétique et le patriotisme viril. De façon assez caractéristique, son style, comme celui de Dance, qui illustra des thèmes romains aussi héroïques que la Mort de Virginie (1761), incline à combiner des motifs de composition à tendance classique dans la tradition de Poussin et de Le Brun, avec le souci nouveau du détail archéologique. West, lui, poussait encore davantage son souci d'exactitude historique dans des œuvres néo-classiques aussi précoces qu'Agrippine devant les cendres de Germanicus (1768, New Haven, Conn., Yale University Art Gal.). Ici, les thèmes romains des pleureuses en procession et du veuvage vertueux sont dépeints avec des emprunts délibérés à la sculpture romaine (décor sculpté de l'Ara Pacis) et à l'architecture romaine (publications récentes par Robert Adam du palais de Dioclétien à Spalato). Le même souci historique guida West, en 1770, dans la reconstitution d'une scène d'histoire contemporaine en costumes modernes (la Mort du général Wolfe à Québec, en 1759, Ottawa, N. G.) et permit plus tard à David d'illustrer la mort non seulement de Grecs ou de Romains, mais aussi de martyrs de la Révolution française.

   Le style de telles peintures, premières œuvres néo-classiques de ces artistes anglo-américains, est généralement en harmonie avec la sobriété et la rigueur du sujet gréco-romain. À l'opposé des ornements compliqués et menus du Rococo, ces peintures se prêtaient à de vastes compositions servant de cadre à des personnages dont la stature héroïque se dresse immobile entre des plans parallèles, à la manière d'un bas-relief ou d'une présentation scénique. Cette rigueur de style, visant à obtenir plus de clarté dans la composition et de force dans la narration et l'expression du sentiment, caractérise bien les tendances qui s'opposaient au Rococo v. 1760 et qui, parallèlement à la réforme de Gluck pour l'opéra, prônaient la simplicité et le naturel.

" Pseudo-Classicisme " ou " Rococo classique " en France

Dans cette optique, les drames domestiques peints dans les années 1760 par Greuze, loué par Diderot, peuvent aussi se rattacher au Néo-Classicisme, d'autant qu'ils empruntent, pour la plupart, leurs motifs à la statuaire classique en les masquant sous l'habit et le décor bourgeois. On ne s'étonne pas ainsi que Greuze ait voulu goûter au genre néo-classique avec son Septime Sévère et Caracalla, toile ambitieuse, destinée au Salon de 1769 (Louvre), qui, avec la versatilité du temps, redit simplement une de ses anecdotes favorites sur l'ingratitude filiale en utilisant l'appareil classique et le travesti archéologique approprié.

   Mais ces nouveaux thèmes gréco-romains (vertu, héroïsme) s'exprimaient souvent sous une forme dépendant encore des traditions anticlassiques et rubéniennes du Rococo et du Baroque, comme le prouvent de nombreuses œuvres de G. F. Doyen et de F. A. Vincent, dont la facture et la composition plus souples et mouvementées annoncent les manifestations ultérieures du Néo-Baroque, telles qu'on peut les rencontrer chez Gros et Delacroix ; de façon paradoxale, l'adoption d'un style linéaire, austère et statique, inspiré des fresques, des vases et des sculptures antiques ne signifiait pas toujours le rejet de l'iconographie rococo. En fait, dans les années 1760, un " Pseudo-Classicisme ", ou " Rococo classique ", se développe, manière qui perpétue les thèmes érotiques et hédonistes du début du XVIIIe s. en les adaptant à la nouvelle tournure classique. Cette fusion des sources archéologiques classiques avec le goût rococo pour les allégories et les scènes mythologiques érotiques persista à travers toute l'histoire de la peinture néo-classique comme un contre-courant frivole et voluptueux s'opposant à l'interprétation grave et stoïque du style et des sujets antiques. Le maître de David, J. M. Vien, illustre cette veine surtout avec des œuvres comme la célèbre Marchande d'amours (Salon de 1763 ; Fontainebleau). Celle-ci, inspirée directement d'une peinture murale romaine exécutée dans le style d'un bas-relief et découverte à Stabies, près d'Herculanum, combine la clarté des lignes et de la composition néo-classiques à la sensualité d'un thème proche du répertoire d'un Boucher ou d'un Fragonard. Ainsi, lorsque Mme du Barry refusait les panneaux peints par Fragonard sur les Progrès de l'Amour pour son pavillon de Louveciennes et demandait à Vien d'illustrer le même thème érotique, exprimait-elle une préférence pour un changement de style et non de sujet. Ce genre de panneaux décoratifs de type " pseudo-classique " connut une vogue particulière à la fin du XVIIIe s., dans la mesure où il convenait parfaitement à l'architecture Louis XVI, d'une élégance fragile, et au style implanté par Adam en Angleterre. Fait significatif, c'est une femme, le peintre suisse Angelica Kauffmann, qui illustra avec le plus de bonheur cette mode délicate et maniérée. Ses nombreux panneaux, frises et plafonds, destinés aux demeures privées d'Angleterre, en particulier celles qui étaient édifiées par Adam, constituent un cadre antique à la mode auprès des amateurs aristocratiques qui les habitaient.