Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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sporting painting

L'expression sporting painting désigne commodément un genre de la peinture anglaise, aux XVIIIe et XIXe s., limité à la représentation des chevaux de selle.

   L'aristocratie réside alors à la campagne ; elle chasse le renard et organise des courses. La création du Jockey Club en 1750 transforme un divertissement en institution nationale, qui progressivement se démocratise pour devenir la grande fête populaire du Derby d'Epsom, que William Powell Frith expose à la Royal Academy en 1854. Ce nouvel art de vivre britannique suscite l'éclosion d'une littérature spécialisée largement illustrée et la commande de tableaux de petit format à des artistes anglais portraitistes de seconde importance, qui trouvent dans cette activité un moyen commode d'assurer leur existence.

   Ce sont d'abord des portraits d'aristocrates représentés à la chasse avec leur équipage (le Portrait de George II à cheval par Wootton, qui emprunte son vocabulaire aux peintres Van der Meulen et Wouwerman). Rapidement, l'intérêt se concentre sur le portrait du cheval favori, dont les petits maîtres comme Seymour donnent des représentations maladroites, mais soucieuses de précision. Le genre acquiert des lettres de noblesse avec George Stubbs, peintre également de portraits et de scènes de genre ; après de longues études, Stubbs publie en 1766 une Anatomie du cheval où il en fixe les canons. Entre 1760 et 1770, il peint plusieurs études des juments et des poulains de lord Grosvenor, où l'intérêt esthétique, par l'intégration des animaux avec le paysage, l'emporte sur le côté descriptif.

   Au début du XIXe s., on trouve une pléiade de sporting painters qui assurent, comme Ben Marshall, des reportages sur les champs de course. Le genre évolue peu, et c'est toujours le portrait du cheval présenté hiératiquement de côté qui se retrouve uniformément dans les œuvres d'Alken, J. F. Herring, John Ferneley, James Pollard et Cooper Anderson. Seul James Ward ajoute dans ses portraits de chevaux, comme Marengo (1824), une touche et une conception romantique proches de la manière de Géricault tout en conservant la précision britannique.

   Au cours de la troisième décennie du XIXe s., la sporting painting tend à se fondre rapidement avec la scène de genre, caractéristique du goût victorien.

   L'influence d'une telle peinture pouvait difficilement se faire sentir sur le continent. En France, des artistes anglophiles, tels Carle Vernet et Alfred Dedreux, rappellent par leurs scènes de chasses ou de courses la minutie des petits maîtres britanniques. Si Géricault peint le chef-d'œuvre de la sporting painting, le Derby d'Epsom (Louvre), il considère le monde des chevaux d'une façon beaucoup plus générale, abandonnant, comme le fera plus tard Degas, l'anecdote et les caractères particuliers pour ne retenir que le mouvement et la richesse des couleurs qui animent les champs de courses.

   Reléguées dans le monde du décor ou plus simplement oubliées depuis longtemps, les sporting paintings sont redécouvertes actuellement. Stubbs et Ferneley ont désormais leur place dans les grandes collections de peinture anglaise (New Haven, Yale Center for British Art).

Spranger (Bartholomeus)

Peintre flamand (Anvers 1546  – Prague 1611).

Élève de Jan Mandyn de 1557 à 1559, puis de Cornelis Van Dalem de 1560 à 1565, il reçoit donc une formation de paysagiste. En 1565, il part pour Rome en passant par Paris, Lyon, Milan et Parme, où il travaille dans l'atelier de Bernardino Gatti à la décoration de la coupole de l'église de la Madone della Steccata. Il réside principalement à Rome de 1566 à 1575, où il entre au service du cardinal Farnèse (qui l'emploie au décor de son château de Caprarola) et du pape Pie V. Il se rend probablement aussi à Venise, avant de quitter l'Italie pour aller à Vienne, où il entre au service de l'empereur Maximilien II. Au début de 1581, il est à Prague et, cette même année, il est nommé peintre de la cour de Rodolphe II. Bartholomeus Spranger épouse en 1582 la fille d'un bijoutier de Prague, Christine Müller. La faveur de l'empereur lui vaut d'être anobli en 1588 et lui permet d'effectuer un voyage " triomphal " à Dresde, à Cologne, à Amsterdam, à Haarlem et à Anvers (en partie avec Hans von Aachen) en 1602. L'artiste avait adopté la nationalité tchèque en 1593.

   En tant que peintre de cour, Bartholomeus Spranger exécute essentiellement des compositions allégoriques ou mythologiques, dans lesquelles il s'affirme comme l'un des meilleurs représentants du Maniérisme international de la fin du XVIe s.

   Quelques paysages de jeunesse (Karlsruhe, Budapest), quelques peintures religieuses (les Trois Marie au Tombeau, Vienne, K. M. ; Déploration du Christ, Munich, Alte Pin. ; Adoration des mages, Londres, N. G.), un Autoportrait (Vienne, K. M.) révèlent par ailleurs des aptitudes très variées chez cet artiste fécond. Van Mander rapporte que celui-ci peignit une série de paysages à Rome, dont deux exemples, encore proches de C. Van Dalem, nous sont parvenus : Paysage montagneux avec un ermite lisant et Paysage montagneux avec un groupe de la charité (1569, musée de Karlsruhe). Un Paysage avec saint Georges tuant le dragon (musée de Budapest) paraît avoir été peint vers la fin de son séjour romain, sous l'influence de Giulio Clovio, sur les dessins duquel il avait travaillé quelques années auparavant (Conversion de saint Paul, Milan, Ambrosiana).

   Deux compositions religieuses, peintes également à Rome, sont demeurées en Italie : Martyre de saint Jean l'Évangéliste (Rome, église S. Giovanni a Porta Latina), mentionné par Van Mander ; Jugement dernier (Turin, Gal. Sabauda), peint sur cuivre pour Pie V et inspiré d'une œuvre du même sujet de Fra Angelico (musées de Berlin). Mais c'est dans les tableaux exécutés à Prague pour Rodolphe II que s'affirme l'originalité de Spranger. Le choix de sujets mettant en présence les deux éléments du couple (Mars et Vénus, Vénus et Adonis, Vulcain et Maïa, Vienne, K. M.), les attitudes maniérées des figures, l'importance du nu créent une atmosphère d'un érotisme raffiné, qu'accentue un coloris étrange, où un vert, un orangé indécis tranchent à côté de teintes très nuancées de gris : ainsi dans l'Allégorie de la Justice (Louvre). Les compositions mythologiques révèlent un goût de l'artifice (notamment dans l'éclairage) et un souci manifeste de rejeter les claires ordonnances classiques (déséquilibre voulu entre les figures), d'où résulte un style composite qui associe le réalisme pittoresque de certains détails (armes, bijoux) à l'irréalisme de l'ensemble de la composition. Une grande fresque, Hermès et Athéna, peinte v. 1584 pour le château de Hradcany à Prague, atteste de la variété des talents de l'artiste.

   Bartholomeus Spranger doit à sa formation flamande de réussir des petits tableaux de cabinet, peints sur cuivre (Hercule et Omphale, Vulcain et Maïa, Vienne, K. M.), dont les couleurs ont l'éclat et la préciosité des émaux. Son goût du détail pittoresque et raffiné s'affirme surtout dans ses premières œuvres pragoises : casques, boucliers, glaives richement décorés, meubles sculptés, bijoux et pièces d'orfèvrerie (Mars et Vénus, Ulysse et Circé, Vienne, K. M.). De la même époque date Hercule et Déjanire (id.), peinture d'un violent sensualisme, où le cadavre du centaure Nessus, vu dans un raccourci saisissant, gît au pied des deux époux enlacés.

   L'un des tableaux les plus étranges de Spranger, l'Amour et Psyché (musée d'Oldenbourg), doit être un peu plus tardif : l'artiste y a peint, en grisaille, un riche décor de façade sculptée encadrant une fenêtre où se déroule la scène principale, réduite ainsi à une faible portion de la toile, mais l'œil est malgré tout attiré par l'extraordinaire arabesque des deux figures que sont Psyché et l'Amour, que Psyché tente de retenir et qui s'envole.

   Dans ces nombreuses compositions mythologiques, souvent tirées des Métamorphoses d'Ovide, les formes sveltes, les visages allongés (Sine Cerere et Baccho friget Venus, 1590, musée de Graz ; Vengeance de Vénus, musée de Troyes) semblent faire place peu à peu à des formes plus épanouies, particulièrement dans les plantureux nus féminins, que l'artiste place volontiers au premier plan (Glaucus et Scylla, Vénus et Adonis, Hermaphrodite et Salmacis, Vienne, K. M.) ; Suzanne et les vieillards (château de Schleissheim) est un parfait exemple de cette évolution : le corps nu de Suzanne, rejeté en arrière dans un mouvement de recul, occupe à lui seul presque la moitié de la toile, dont l'artiste a supprimé tout détail pittoresque. Quant à la Vanité du château Wavel à Cracovie, elle n'est que le prétexte à une belle étude de nu d'enfant, le sujet n'étant indiqué que par la présence d'un crâne et d'un sablier.

   Les rares tableaux religieux reflètent la prédilection de l'artiste pour les nus aux lignes ondoyantes (Déploration du Christ, Munich, Alte Pin.) et son goût du pittoresque (Adoration des mages, Londres, N. G.).

   Dessinateur très habile, Spranger est l'auteur d'études à la pierre noire ou à la plume d'une exécution large et nerveuse, telles que Pégase (Brunswick, Herzog Anton Ulrich-Museum), Jupiter, Mars, Vulcain et Pluton (Windsor Castle). Sainte Madeleine (musée de Besançon) et Judith donnant à une servante la tête d'Holopherne (Louvre), dessins à la plume rehaussés de lavis et de gouache blanche, comptent parmi ses meilleures feuilles et révèlent une fougue que n'ont pas ses peintures. Dès les années 1580, son œuvre est diffusée par les gravures de Sadeler, puis de Goltzius. Spranger exerce ainsi une grande influence sur l'Académie de Haarlem (Goltzius, C. Van Haarlem, Wtewael, Bloemaert, Van Mander) et entretient des liens étroits avec le cercle de F. Sustris à Munich. La fondation d'une académie à Prague, avec les peintres allemands Heintz et Aachen, a également contribué à répandre le goût du Maniérisme élégant et précieux à travers l'Europe.