Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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plafonds et voûtes (suite)

La seconde vague baroque en Europe centrale

Exception faite pour l'œuvre de Tiepolo — qui a d'ailleurs travaillé en Allemagne —, l'Europe du XVIIIe s. n'a rien produit de comparable, en quantité, voire en qualité, aux voûtes et aux plafonds peints que l'on trouve à profusion dans les pays germaniques et dans ceux que peut revendiquer la culture germanique : Allemagne du Sud, Allemagne rhénane, Suisse alémanique, Autriche, Hongrie, Bohême et Moravie, Pologne. Cette floraison est liée au prodigieux essor de l'architecture, sous le signe du " Spätbarock ", entre le début du siècle et 1770 environ. Au faste des résidences qui témoigne de l'émulation des cours princières, petites ou grandes, répond, avec plus d'ampleur encore, celui des églises, des bibliothèques et des divers locaux conventuels, alors édifiés en nombre imposant par les ordres religieux — Bénédictins, Cisterciens, Prémontrés —, celui des sanctuaires de pèlerinage et même celui de certaines paroisses. Respectant mieux que jamais le principe d'unité de l'art baroque, la peinture fait corps avec le bâtiment et le reste de sa décoration, au point qu'elle vaut souvent plus comme élément d'un ensemble architectural que par elle-même.

   Les parois étant généralement livrées au talent des stuccateurs, le travail des peintres a pour principal objet non pas des tableaux verticaux — qui, dans les églises, jouent un rôle utile et cependant accessoire —, mais précisément des plafonds et surtout des voûtes. Alors qu'une église baroque de Rome s'accommode fort bien de l'absence de peintures dans ses parties hautes, comme le montrent les créations de Bernin et de Borromini, on ne peut concevoir une église bavaroise ou autrichienne, aux murs envahis de stucs polychromes et de dorures, sans voûtes colorées ; une voûte laissée en blanc produirait un effet de trou ou pèserait désagréablement.

   Au XVIIe s., le " Hochbarock " avait exploité les formules décoratives du Maniérisme et maintenu la primauté du type " fermé " avec des compositions de médiocre ampleur, strictement délimitées par une architecture encore statique. Le dynamisme du " Spätbarock " ne pouvait s'accommoder de cette conception ; et si des " quadri riportati " — que rien ne distingue des tableaux à composition frontale — ont été introduits dans l'ordonnance de certains plafonds ou de certaines voûtes (notamment de bibliothèques), c'est en contradiction choquante avec l'esprit qui l'anime. De telles exceptions confirment la règle : le " Spätbarock ", c'est le triomphe du type " ouvert ", dont l'application est généralement facilitée par l'existence de larges surfaces d'un seul tenant, surtout dans les églises. Les supports architectoniques de la peinture monumentale méritent l'attention, car ils contribuent à définir l'originalité de l'école allemande. Les plafonds proprement dits sont rares, et les voûtes en berceau le sont plus encore. Les coupoles, en revanche, jouent un grand rôle, mais leur forme n'est pas souvent celle de la demi-sphère, peut-être trop statique au gré des architectes baroques ; elles ont, pour la plupart, un profil surbaissé et peuvent dessiner en plan une ellipse comme un cercle. Plus typiques encore sont les voûtes couvrant d'un seul jet tout l'espace compris entre les arcs d'encadrement ; ces voûtes coupoliformes, qui ont un aspect intermédiaire entre la voûte d'arêtes et la coupole aplatie, peuvent se succéder travée par travée ou embrasser l'ensemble d'un vaisseau ; elles se prêtent par ailleurs aux tracés les plus mouvementés.

   La prédominance des voûtes de ce genre explique l'usage des compositions tournantes ou réversibles. Introduits par exception, les sujets orientés selon une seule direction contrarient l'effet d'" ouverture ", à moins d'occuper, comme dans beaucoup d'églises italiennes, un champ presque plat au milieu de la voûte. La perspective est généralement zénithale et non pas conçue pour une vision oblique. Le spectateur doit, en levant les yeux au-dessus de lui, se sentir transporté par la force de l'illusion dans un monde surnaturel.

   Grande est la part de l'Italie dans l'élaboration d'un tel spectacle. Favorisée par la présence de plusieurs artistes dans les pays germaniques, l'influence italienne s'est exercée selon deux directions fondamentales. Un rôle important revient aux spécialistes de la " quadratura ", notamment au père Pozzo, dont le séjour à Vienne a déjà été signalé. Mais on trouve non moins souvent l'écho de la conception illustrée par des maîtres tels que Corrège, Lanfranco, Pierre de Cortone, Giordano, Tiepolo : celle d'un espace dont la profondeur est suggérée dans le secours d'une architecture feinte. Ces deux types de compositions plafonnantes ont eu leurs défenseurs en Europe centrale, mais il n'est pas rare qu'un même artiste les ait adoptés tour à tour.

   De la " quadratura ", les peintres ont volontiers fait un usage acrobatique, prenant plaisir à suspendre au-dessus de la tête du spectateur des édifices illusoires qui se dressent dans un grand élan ascensionnel et font oublier la courbure de la voûte, à condition d'être contemplés d'un point précis. Parmi les premiers représentants du genre, on peut citer Melchior Steidl, qui décore entre 1690 et 1695 les coupoles surbaissées de l'abbatiale de Saint-Florian, en Autriche, de portiques tournants, dont chacun s'ouvre sur un espace central nettement délimité. J. M. Rottmayr rejette la " quadratura " sur le pourtour de la composition à la Mathiaskirche de Breslau (1704-1706) et aux voûtes oblongues de la nef de Melk, en Autriche (1712-1718). L'influence de Pozzo est plus sensible chez Cosmas Damian Asam, qui préfère associer les figures au trompe-l'œil architectural, plutôt que de leur réserver des zones distinctes. À partir de 1717, Asam peint les vastes coupoles de l'abbatiale de Weingarten, en Souabe. L'une d'elles, au-dessus de la nef, montre en perspective rigoureusement verticale des balustrades, des pilastres et un entablement portant une coupole ovale simulée où est peinte la Vision de saint Benoît, avec des figures qui s'en échappent pour venir rompre la rigidité de la " quadratura ". À la coupole du chœur, les personnages principaux de la Pentecôte sont disposés derrière une colonnade à ressauts d'où s'élève, en perspective cette fois décentrée, une coupole feinte, dont l'ouverture supérieure permet l'irruption d'anges se répandant par traînées.

   Des effets analogues sont obtenus par Gottfried Bernhard Götz à Birnau, en Souabe (1746-1758), où l'on voit la Jérusalem céleste à la coupole chantournée de la nef, l'Assomption à la coupole circulaire de la croisée, l'Histoire d'Esther au-dessus du chœur. À la Pfarrkirche de Wilten, prés d'Innsbruck, Mathäus Günther, élève d'Asam, décore en 1754 les coupoles surbaissées de Scènes de l'Ancien Testament associées à des architectures capricieuses. Pour en venir à l'art de cour, Johann Zick demande aussi à des architectures inspirées de Pozzo d'exhausser la Weissen Saal et le grand escalier (détruits) au château de Bruchsal (1751-1754).

   Parfois le décor architectural forme une simple bordure, jouant le rôle de repoussoir et animée elle-même de figures. C'est le parti adopté par Daniel Gran à la coupole centrale de la Hofbibliothek de Vienne (1730), qui célèbre le Triomphe des Arts et où les personnages placés derrière la balustrade inférieure en trompe l'œil s'insèrent habilement entre les fenêtres ovales, qui interrompent la composition, ou encore par Carlo Carloni à l'escalier et dans la grande salle du château de Brühl, près de Cologne. Plus souvent, c'est aux figures échelonnées de suggérer à elles seules, ou avec quelques accessoires, la profondeur du ciel, qu'il soit entouré ou non d'une bordure terrestre. Il est vrai que les peintres de l'Europe centrale n'ont pas toujours eu ce sens des valeurs qui permettait aux maîtres italiens de rendre l'illusion plus convaincante ; les plus doués ont, cependant, ajouté une note d'étrangeté à l'évocation de l'espace surnaturel. Parfois les compositions occupent des compartiments et des médaillons assemblés, comme on le voit à la résidence de Salzburg, dont les salles sont décorées par Rottmayr et par Bartolomeo Altomonte ; mais il s'agit plus souvent d'un parti unitaire. La Gloire de saint Charles Borromée que Rottmayr peint en 1725 à la coupole de la Karlskirche de Vienne se passe de toute architecture simulée, comme le Triomphe de l'Église d'Altomonte, qui occupe un grand cadre chantourné au milieu de la voûte de l'abbatiale de Wilhering, près de Linz (v. 1733). Cette scène, où l'influence des Napolitains inspire la disposition des figures en lignes obliques, est soumise à une orientation principale, tout en restant lisible en sens inverse. On revient à l'effet zénithal avec Paul Troger, auteur de la Vision de l'Apocalypse qui remplit efficacement la grande coupole ovale d'Altenburg, en Autriche (1733). J. B. Zimmermann allège ses compositions, leur donne une grâce aérienne. Dans l'église de pèlerinage de Steinhausen, en Souabe, il peint à la coupole en ellipse qui recouvre l'espace central un vaste Triomphe de la Vierge (1731) ; les figures célestes sont réunies pour la plupart vers le sommet, entourées d'une zone presque vide, mais les allégories des Quatre Parties du monde animent le pourtour, où la végétation du paradis terrestre et des fragments de balustrade composent un décor capricieux. La grande coupole chantournée de la Wies, en Bavière, montre le Triomphe de la Croix (1754), avec des figures éparses dans le ciel. Avec le plafond de la Festsaal du château de Nymphenburg, à Munich, où est représenté l'Empire de Flore (1757), Zimmermann revient au motif original du jardin formant la bordure de la composition. La décoration exubérante de Zwiefalten, en Souabe, est due à Franz Joseph Spiegler (1747). On y remarque notamment la voûte en coupole aplatie et allongée qui recouvre l'ensemble de la nef, montrant une Vision de saint Benoît qu'il faut regarder obliquement depuis l'entrée de l'église. Johann Lukas Kracker adopte aussi une composition en longueur, mais moins chargée, avec la Gloire de saint Nicolas qui surmonte la nef de Saint-Nikolaus-Kleinseite, à Prague (v. 1760). M. Günther se libère de la " quadratura " dans la Gloire de saint Benoît de Rott-am-Inn, en Bavière (1763), sujet d'une composition de quatre cents figures qui emplit la vaste coupole d'Ettal, autre église bavaroise (v. 1752), décorée par Johann Jakob Zeiller. On doit aussi à ce dernier les coupoles de l'abbatiale d'Ottobeuren, en Bavière (v. 1763). Si l'architecture occupe encore une place importante sur l'un des côtés de celle qui recouvre la croisée, où figure la Pentecôte, il n'en est pas de même de celles qui montrent la Gloire de l'ordre bénédictin, l'Ascension, l'Adoration de l'Agneau, au-dessus des différentes parties de l'église. Il y a cependant plus de légèreté, plus de fantaisie poétique chez F. A. Maulbertsch. Si le grand plafond chantourné de la résidence de Kremsier, en Moravie (1758), fait appel à l'architecture verticale, c'est un ciel aérien et lumineux, où volent des figures inspirées de Tiepolo, selon des lignes capricieuses, qui s'ouvre à la Piaristenkirche de Vienne (1752), dont les coupoles célèbrent l'Assomption et la Gloire de la Vierge, à l'aula de l'université de Vienne (1756), dont le plafond représente le Baptême du Christ, au chœur de Sümeg, en Hongrie (1757), avec une Gloire du Christ.