Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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plafonds et voûtes (suite)

Le Maniérisme

Le terme commode et un peu vague de " Maniérisme " peut au moins s'appliquer exactement à une certaine conception de la peinture décorative en général — et de celle des voûtes ou des plafonds en particulier — qui s'est manifestée dans la majeure partie de l'Italie et dans d'autres pays d'Europe au cours des trois derniers quarts du XVIe s. et pendant les premières années du siècle suivant. Il faut d'abord noter que ce genre de peinture a trouvé son véritable champ d'activité dans la décoration des palais plutôt que dans celle des églises. On remarque ensuite que les plafonds de cette époque sont assez rarement peints de compositions figuratives, alors que les voûtes le sont fréquemment ; mais ces dernières accusent, d'une façon générale, un retour au type " fermé ", qui accepte le support architectural, en souligne même la présence, au lieu de le dissoudre dans un espace imaginaire. Dans les compartiments, plus ou moins nombreux, qui déterminent les bordures de stuc, selon un assemblage très élaboré, les scènes ou les figures se présentent comme des tableaux séparés, à plat, sans recherche notable de profondeur et souvent à petite échelle, au détriment de la lisibilité. Ce genre de décoration, qui dérive pour une large part des Loges du Vatican, se rencontre couramment en Italie, Venise constituant un cas particulier que nous aurons à examiner. Il en est ainsi : à Rome des voûtes du castel S. Angelo, peintes par Perino del Vaga et son atelier, ou de la coupole de Saint-Pierre, qu'ornent six rangs de figures exécutées en mosaïques d'après G. Cesari ; à Caprarola, près de Rome, des voûtes de la villa Farnèse, peintes par les Zuccari d'un riche décor de grotesques encadrant des scènes de petit format ; à Naples des ouvrages de Belisario Corenzio : voûtes du Gesù Nuovo et de la salle capitulaire de la Chartreuse, coupole des SS. Marcellino e Festo, mais aussi plafonds à caissons au Palais royal et à S. Maria la Nova. Les plafonds compartimentés se voient aussi à Florence, et, parmi eux, signalons notamment celui du salon des Cinq-Cents du Palazzo Vecchio, orné par Vasari et ses aides d'Allégories à la gloire de la cité ; il voisine avec le studiolo de Francesco Ier, dont la voûte, en berceau, montre, répartis dans les caissons, des sujets symboliques peints sous la direction du même maître, et avec la chapelle d'Éléonore de Tolède, dont la coupole est de Bronzino. C'est dans le même esprit que les voûtes de la Villa impériale à Pesaro ont été décorées par Genga, Raffaellino dal Colle et Dosso Dossi. À Mantoue, Giulio Romano, aidé de ses élèves, a fait de même avec les fresques de la salle de Psyché, du palais du Té et de la salle de Troie du Palais ducal. À Crémone, le principe de la fragmentation est observé par Giulio Campi à S. Sigismondo et à S. Margherita, par Malosso à S. Pietro al Po, comme il l'est par Pordenone à Plaisance (coupole de la Madonna di Campagna). À Gênes, le décor de type maniériste a été introduit par Perino del Vaga, qui, dans la salle des Géants du palais Doria, a représenté Jupiter foudroyant les Titans comme un entrelacement compact de figures dont aucune ne semble s'évader du cadre de la fresque ; l'échelle des compositions s'amenuise avec Cambiaso, dont l'Enlèvement des Sabines forme la partie centrale du grand plafond de la Villa impériale, et plus encore avec G. B. Castello, Teramo Piaggia et Antonio Semino, dont les fresques, encadrées de stucs, abondent dans les églises et les palais de la ville.

   Il y a cependant trop de variété dans les expériences du Maniérisme italien pour qu'une seule formule ait pu être appliquée à la décoration des voûtes et des plafonds. C'est ainsi qu'à Parme l'ascendant de Corrège fut assez fort pour inspirer les compositions en profondeur et non morcelées qui ornent l'église de la Steccata : au-dessus des quatre absides, l'Épiphanie et le Couronnement de la Vierge de M. A. Anselmi, la Nativité et la Pentecôte de Mazzola-Bedoli ; à la coupole centrale, l'Assomption de B. Gatti. Dans la salle des Géants du palais du Té de Mantoue, Giulio Romano a abandonné le principe du cloisonnement et adopté un parti dynamique pour représenter la Chute des Géants depuis l'Olympe, effaçant la limite entre la voûte et les parois : audacieuse démonstration, que le défaut de perspective aérienne empêche de convaincre pleinement le spectateur. L'architecture feinte participe ici à la recherche de l'illusion ; son rôle ira grandissant vers la fin du siècle avec la vogue de la " quadratura ", qui ne se borne pas à articuler les surfaces, mais continue en hauteur l'architecture réelle des églises et des palais par des édifices imaginaires. Les règles de cet art, qui exige une connaissance parfaite de la perspective, ont été codifiées notamment par des spécialistes bolonais. C'est à certains d'entre eux que Grégoire XIII demanda de décorer plusieurs des salles du Vatican. Rome fut aussi le principal théâtre d'activité des frères Alessandro, Cherubino et surtout Giovanni Alberti, originaires de Bologne, à qui l'on doit de brillantes démonstrations des ressources de la " quadratura " appliquée au décor des voûtes. Dans la salle Clémentine, du palais du Latran, le ciel apparaît dans l'ouverture d'une colonnade simulée, dont des balustrades jouent le rôle dans le chœur de S. Silvestro al Quirinale. G. Cesari, dit le Cavalier d'Arpin, a eu recours à un effet du même genre en peignant, à S. Prassede, la voûte de la chapelle Olgiati, dont l'Ascension est le motif central. On trouve aussi des exemples de " quadratura " en Italie du Nord. À S. Paolo de Milan, par exemple, Vincenzo Campi a simulé au milieu de la voûte en berceau un tambour de coupole que soulèvent des colonnes torses et qui s'ouvre sur un ciel où l'Ascension figure en perspective verticale. On voit par là combien l'Italie du Maniérisme préparait la voie à l'épanouissement baroque. Mais il faudrait aussi évoquer certains décors insolites, tel celui de la grotte du jardin Boboli à Florence, ouvrage de B. Poccetti ; on y voit des rocailles servir d'encadrement à des paysages de fantaisie que peuplent des animaux.

   En Espagne et en France, la décoration maniériste est directement tributaire de l'Italie ; elle relève, dans l'ensemble, du type " fermé ". À l'Escorial, cependant, on saisit ce qui oppose le style statique et menu dont témoigne le Couronnement de la Vierge peint par Cambiaso au-dessus du chœur de l'église au parti beaucoup plus large adopté par Pellegrino Tibaldi pour la voûte en berceau de la bibliothèque ; ici, la pratique du raccourci accroît le relief des figures qui, inscrites dans les carrés médians, symbolisent les Arts libéraux, comme des " ignudi " qui ornent les retombées et les pénétrations, sans que le cadre architectural cesse d'exercer sa contrainte. À Fontainebleau — et là où s'est manifesté l'école de ce nom —, on remarque d'abord l'absence de peintures figuratives sur les plafonds proprement dits. Des compositions à petite échelle occupaient en revanche les compartiments de certaines voûtes, en complément des scènes plus grandes qui figuraient sur les parois : ainsi dans deux galeries de la résidence royale, la galerie d'Ulysse et celle de Diane, la première décorée sous François Ier par Primatice et Nicolò dell'Abbate, la seconde au temps d'Henri IV sous la direction d'Ambroise Dubois. Cependant, la galerie d'Ulysse offrait aussi des effets de percée, obtenus par la perspective verticale d'une architecture imaginaire. Les deux galeries ont disparu, comme beaucoup d'autres ensembles, mais il reste à Fontainebleau un important ouvrage de la seconde école : la voûte de la chapelle de la Trinité, peinte par Fréminet de sujets bibliques, qui s'inscrivent dans des compartiments à bordures de stuc, mais dont les figures mouvementées et à grande échelle font intervenir le raccourci.

   En Allemagne et dans les pays de l'Europe centrale, c'est aussi l'emprise du Maniérisme italien, souvent traduit par des maîtres flamands ou locaux, que dénotent les voûtes peintes, de type résolument " fermé ". C'est ainsi que la résidence de Landshut, en Bavière, où des élèves de Giulio Romano ont collaboré vers le milieu du XVIe s. avec des peintres germaniques, montre un décor où les moulures et les ornements de stuc ne réservent que des champs étroits à des fresques dont l'échelle, réduite, semble un défi aux facultés visuelles du spectateur. Dans la chambre des Planètes, les Signes du zodiaque et les symboles de l'Astronomie occupent de petits caissons carrés ou hexagonaux. Les cadres octogonaux de la " salle italienne " contiennent autant de figures en buste. Il y a moins de minutie à l'Antiquarium de la Résidence de Munich, dont l'ample voûte en berceau, à profondes pénétrations, a été peinte dans les dernières années du XVIe s. par Ponzano et Sustris. On y voit de grandes figures allégoriques dans des compartiments ronds et rectangulaires qui alternent au milieu d'un riche décor de médaillons et d'arabesques.