Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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byzantine (peinture) [330-1453] (suite)

Le siècle des Comnènes (1081-1204)

Après la décadence politique sous les successeurs de Basile II et la perte de l'Asie Mineure, conquise par les Turcs Seldjoukides, l'arrivée au pouvoir de la famille féodale des Comnènes rétablit les fortunes de l'Empire. Ces empereurs protégeaient les lettrés, les érudits et les artistes, et Constantinople connut de nouveau une période brillante. Les écrivains qui gravitaient autour de la cour impériale étaient épris de culture classique, mais dans les œuvres religieuses le mysticisme gagnait du terrain. Nous avons mentionné plus haut l'influence que ces écrits avaient exercée sur les programmes des décors ; cette influence se manifeste également dans le style des peintures. Les hymnes de Siméon le Nouveau Théologien, le grand mystique de la fin du Xe s. et du début du XIe, sont pleines d'accents de tendresse à l'égard du Sauveur et insistent sur l'humilité du Christ souffrant, sur sa charité. Ces écrits nous aident à comprendre les images du Christ compatissant, qui remplacera la figure sévère du Christ pantocrator, maître de l'Univers, l'expression tendre et douloureuse de la Vierge, par exemple dans l'icône dite " de Vladimir ", envoyée de Byzance en Russie au début du XIIe s., et surtout l'émotion poignante exprimée dans les scènes de la Passion. Il existe une très grande différence entre le style classique, sobre et réservé, des monuments des Xe et XIe s. et celui des peintures de l'église de Nerezi (1164), qui marquent une étape importante dans l'histoire de la peinture byzantine. Les tendances de l'art du XIIe s. apparaissent dans un souci plus marqué de la réalité, dans le désir de donner un accent personnel aux types établis par une longue tradition, dans l'interprétation des épisodes, où les sentiments de douleur et de tendresse sont exprimés avec plus de ferveur. Les corps, plus sveltes, n'ont plus une allure monumentale, les plis agités des draperies accusent le mouvement, et le tracé graphique accentue l'expression des visages. Vers la fin du XIIe s., ces tendances aboutissent au maniérisme, à une exagération du mouvement, qui est parfois sans rapport direct avec l'épisode représenté.

L'époque des Paléologues (1261-1453)

Après la reconquête de Constantinople, occupée par les Latins de 1204 à 1261, l'Empire byzantin, territorialement diminué, menacé de toutes parts et déchiré par des luttes intestines, connut néanmoins une dernière période de floraison. L'étude de l'Antiquité classique fut de nouveau en honneur, et les écrits scientifiques et philosophiques des Byzantins, ceux des philologues annoncent et préparent l'humanisme de la Renaissance italienne. Partout, des églises furent édifiées et décorées à grands frais. La mosaïque, qui avait disparu, revint à l'honneur et elle couvre de vastes surfaces dans l'église Kariye Djami de Constantinople. Les artistes de cette période abandonnent le maniérisme de l'extrême fin du XIIe s. ; ils substituent au style linéaire le modelé, qui, à l'aide de taches de couleurs, accuse les formes, et puisent souvent leur inspiration dans les œuvres byzantines plus anciennes, où la tradition classique s'était maintenue. L'imitation de l'antique, les personnages majestueux, les scènes placées dans leur cadre naturel et animées d'un élan lyrique ont trouvé leur plus belle expression au XIIIe s. dans les peintures de Sopoćani et au XIVe s. (avec des différences stylistiques assez marquées) dans les mosaïques et les fresques de l'église de Kariye Djami. Les artistes de l'époque des Paléologues reprennent et développent des tendances qui s'étaient déjà manifestées au XIIe s. Les compositions s'enrichissent, les personnages secondaires et les accessoires se multiplient. Une foule animée se meut au milieu du paysage et d'architectures dessinées de manière à donner une certaine impression de l'espace. Des détails pittoresques, d'autres empruntés à la vie journalière égayent les scènes religieuses, mais ces mêmes artistes savent donner un accent pathétique aux épisodes de la Passion. Toutefois, l'art du XIVe s. cherche plus souvent à nous toucher par l'expression de la tendresse qu'à nous émouvoir en dépeignant la souffrance. L'art robuste du XIIIe s., où se manifestait le souci de la réalité, de l'imitation de la nature, permettait d'espérer une évolution dans ce même sens, mais peu à peu il céda la place à un art encore imprégné d'une profonde spiritualité, mais où prédomine la recherche de l'élégance, de l'effet décoratif. On peut penser que ce recul est dû au triomphe de la secte mystique des hésychastes sur les rationalistes représentés par le moine Barlaam (v. 1290-1348). Pour les hésychastes, la foi était une vision du cœur qui dépassait les facultés intellectuelles, et c'était par la contemplation que l'homme pouvait percevoir l'invisible. Cette conception de la réalité irrationnelle des choses divines devait éloigner les artistes de la recherche de la réalité matérielle et freiner le mouvement novateur du XIIIe s.

La période postbyzantine

La prise de Constantinople par les Turcs en 1453 mit un terme aux expériences artistiques dans la capitale et les grandes villes. L'activité se concentra dans les centres monastiques, au mont Athos, aux Météores, dans les îles comme la Crète, qui échappèrent à la domination turque, ou dans des villes de la Macédoine, comme Castoria. L'art de cette dernière période vécut, en quelque sorte, sur les acquisitions du passé ; il tint à préserver l'héritage qu'il avait reçu. Si les contacts avec l'Occident lui ont parfois fourni de nouveaux thèmes, ils n'ont pas eu d'influence sur son style ni sur son esprit.

Les manuscrits illustrés

L'enluminure constitue un domaine important de l'art byzantin. À certains égards, les miniaturistes se sont montrés plus fidèles aux modèles anciens que les fresquistes ou les mosaïstes. De même que les scribes copiaient scrupuleusement le texte, ils en reproduisaient fidèlement l'illustration ; l'enlumineur était néanmoins plus libre, car il n'était pas assujetti au même degré aux préceptes du dogme et de la liturgie. Aussi voit-on d'une part des œuvres plus proches de la tradition antique que ne l'est l'art monumental, d'autre part des créations dont on ne trouve pas l'équivalent dans le décor des églises. Enfin, les manuscrits illustrés, conservés en grand nombre, permettent de suivre mieux les différentes étapes de l'évolution de la peinture.

Les enluminures du VIe siècle

Trois manuscrits de grand luxe, partiellement conservés, écrits sur parchemin pourpre en lettres d'or et d'argent, ont été illustrés au VIe s. : ce sont le livre de la Genèse (Vienne, B. N., cod. theol. gr. 31) et deux Évangiles (l'un en Italie, à la cathédrale de Rossano ; l'autre, provenant de Sinope, à Paris, B. N.). Les illustrations de la Genèse ne comportent plus que 24 feuillets. Plusieurs artistes ont collaboré aux illustrations : peintes dans un style impressionniste, ce sont des scènes de genre à la manière hellénistique, complétant parfois le texte en y ajoutant des détails pittoresques, des paysages et des figures allégoriques ; peintes à la moitié inférieure de la page, elles sont le plus souvent dépourvues d'encadrement. Le style des peintures des deux Évangiles est très différent. Tout détail accessoire ou pittoresque est banni de ces compositions sobres, réduites aux figures essentielles pour la compréhension du sujet. Le caractère solennel des représentations, les personnages à l'allure grave sont en accord avec le sens profond des scènes religieuses. L'intensité d'expression prédomine dans certaines scènes, comme la Prière du Christ à Gethsémani, alors que, dans les représentations du Jugement du Christ, l'artiste s'est inspiré des thèmes de l'art impérial.

Les enluminures du IXe au XIe siècle

Plusieurs psautiers de cette période à illustrations marginales constituent le groupe le plus original de l'art byzantin. Les vignettes peintes dans les marges, dans un style vivant et réaliste, forment un commentaire par image, figurant les épisodes de l'histoire du peuple juif rapportés dans les psaumes et les scènes du Nouveau Testament, dont ces épisodes sont la préfiguration. À ce groupe de miniatures, on en a ajouté d'autres, qui évoquent la polémique entre les adversaires et les défenseurs des images. Elles montrent, notamment, les empereurs iconoclastes ordonnant de recouvrir de chaux les images du Christ et comparent cette œuvre impie à celle des bourreaux du Christ. Ces miniatures sont parmi les rares exemples où les événements contemporains ont trouvé un écho dans l'art byzantin. D'autres psautiers ont été illustrés au cours du Xe s. au moyen de grandes compositions en pleine page, véritables tableaux peints à la manière antique. L'exemplaire le plus célèbre est le Psautier de Paris (ou Psautier grec, Paris, B. N., gr. 139) ; il a parfois été considéré comme une œuvre du VIIe s. à cause du caractère archaïsant des miniatures de pleine page. Il est en réalité un des principaux monuments de la Renaissance byzantine du Xe s. Les miniatures sont de valeur inégale, mais plusieurs d'entre elles, comme David chantant ses psaumes (inspiré par l'allégorie de la Mélodie) ou Isaïe en prière entre les figures allégoriques de la Nuit et de l'Aurore, montrent la haute qualité que l'art de la miniature avait atteinte à cette époque. Dans le Combat de David et Goliath, David est soutenu par la Puissance, personnifiée par une jeune femme ailée, tandis que derrière Goliath la Jactance fuit éperdue. Par le caractère des compositions, la représentation du paysage, le modelé des draperies, la prestance des personnages, disposés sur plusieurs plans, et la beauté idéale des visages, ces miniatures se rapprochent bien plus des modèles antiques que ne le font certaines peintures monumentales. Sur un rouleau de parchemin de la bibl. Vaticane, les épisodes de la vie de Josué se succèdent en une frise continue ; le dessin teinté de ces représentations, animées encore une fois par des allégories, nous offre un autre exemple de grande qualité de l'art antiquisant de la Renaissance du Xe s. Le rapport avec les modèles anciens est évident lorsqu'il s'agit d'ouvrages d'auteurs antiques, comme les Theriaca de Nicandre (traité des remèdes à employer contre les morsures venimeuses) ou l'ouvrage d'Apollonius de Citium sur la guérison des luxations, mais il est encore plus sensible dans les portraits des évangélistes ou des prophètes qui illustrent d'autres manuscrits ; les miniaturistes byzantins avaient parfaitement assimilé l'esthétique et les procédés de la peinture antique.

   Cette assimilation s'est probablement faite progressivement, ou peut-être des miniaturistes plus doués ont-ils mieux réussi que d'autres. C'est ce que semblent indiquer l'inégalité des miniatures du Psautier de Paris ou la variété stylistique qu'on peut observer dans un exemplaire des Homélies de Grégoire de Nazianze, illustré v. 880-883 pour Basile Ie et l'impératrice Eudoxie (Paris, B. N., gr. 510) : dans la Vision des ossements d'Ézéchiel, la belle figure du prophète, l'attitude gracieuse de l'ange, la facture " impressionniste " de la montagne et du ciel teinté de rose, la composition en profondeur sont dans la meilleure tradition antique ; les portraits des saints rappellent ceux des tympans de Sainte-Sophie de Constantinople, alors que d'autres miniatures montrent des figures traitées d'une manière plus schématique et que l'action s'y déroule sur un plan unique.