Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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restauration (suite)

Historique

La conservation et la restauration sont aussi anciennes que l'existence de l'œuvre d'art, car le processus de dégradation est engagé dès la création. L'art, comme l'être humain, a une destinée périssable. Depuis l'Antiquité, il est fait état de restaurations : Pline l'Ancien et Vitruve relatent déjà des transports de fresques. Au IIIe s. apr. J.-C., saint Cyprien critique la restauration...

   Au Moyen Âge, les tableaux religieux étaient restaurés soit pour être conservés à la piété, soit pour être mis au goût du jour. Ce fut là leur sort le meilleur, car l'indifférence des XVIIe et XVIIIe s. pour les peintures du Moyen Âge dut en laisser détruire en grand nombre.

   Les textes anciens nous apprennent qu'on confia à des artistes célèbres le soin de retoucher les œuvres de leurs prédécesseurs : ainsi, Lorenzo di Credi retoucha les œuvres de Paolo Ucello et celles de Fra Angelico...

   À Gand, en 1550, Jan Van Scorel et Lancelot Blondel furent chargés de remettre en état le polyptyque de l'Agneau mystique de Van Eyck. Ils semblent y avoir apporté quelque élément inventif personnel.

   Au temps de la Contre-Réforme, à la suite des défenses établies par le concile de Trente (1545-1563), les décorations religieuses furent repeintes et rendues plus conformes à ces prescriptions, dont le but était de mieux inciter à la dévotion. Les nudités, les allusions profanes, les représentations peu respectueuses du clergé durent être cachées. C'est ainsi que, en 1564, Daniele da Volterra fut chargé de recouvrir les nudités peintes par Michel-Ange dans le Jugement dernier de la chapelle Sixtine.

   En 1576, le IVe concile provincial de Milan recommanda aux évêques de brûler les images pieuses très endommagées et de placer leurs cendres dans l'église pour éviter toute profanation, mais aussi de " rénover " celles qui étaient mieux conservées, afin de raffermir la dévotion. Les tableaux des églises durent alors être restaurés, c'est-à-dire qu'ils furent " repeints ".

   À Rome, à la fin du XVIIe s., le célèbre peintre Carlo Maratta se consacra aussi à la restauration. Il restaura notamment les Chambres et les Loges de Raphaël, la galerie des Carrache au palais Farnèse. Il avait un grand respect des maîtres et, lorsque le pape lui demanda de couvrir le décolleté de la Vierge cousant de G. Reni, il utilisa des couleurs au pastel, aisées à retirer. C'est la première ébauche de la notion moderne de " réversibilité ".

   C'est avec l'installation des collections de François Ier à Fontainebleau qu'apparaissent des mentions sur l'état de conservation et sur les restaurations de tableaux en France : interventions consistant à " laver ", " nettoyer ", " rafraîchir ". Primatice, qui eut un rôle important dans la décoration de Fontainebleau, fut aussi chargé de l'entretien des tableaux. C'est ainsi que, entre 1537 et 1540, il nettoya et retoucha le Saint Michel de Raphaël (Louvre). Certains pensent qu'il modifia le pied gauche. Ce serait bien là dans la conception d'une époque où les restaurations étaient confiées soit à des peintres d'autant plus importants que l'œuvre était célèbre, soit à d'habiles copistes capables d'imiter le " faire " du maître.

   Il y eut au XVIIe s., à Fontainebleau, une série de peintres conservateurs-restaurateurs : Jacques d'Hoey, Jean Dubois le Vieux, son neveu, puis le fils de ce dernier, Jean Dubois le Jeune, enfin le peintre allemand Balthazar Kukler.

   Les tableaux, considérés comme objets mobiliers, étaient souvent agrandis ou diminués, suivant la décoration dans laquelle ils devaient s'inscrire. En France, l'Inventaire des tableaux du roy, rédigé par Bailly en 1709 et 1710, en donne de nombreux exemples.

   Dès la seconde moitié du XVIIe s., le " rentoilage ", intervention qui consiste à doubler la toile d'origine, est fréquent. Il permet ces changements de dimension des tableaux.

   Au XVIIe s., Charles Le Brun, premier peintre du roi, eut la charge de " garde des tableaux " et, à ce titre, de l'entretien des collections royales installées au Louvre, entretien auquel il employait d'" habiles gens ", nous disent les textes. Ce sont des peintres comme Gabriel Blanchard, Pierre Mignard, Antoine Coypel, Joseph Parrocel, Louis de Boullogne ou d'autres, sans célébrité, qui, jusqu'au milieu du XVIIIe s., firent œuvre de restaurateurs. Mais c'est en 1699, avec la nomination de Antoine Paillet comme conservateur, chargé spécialement de l'entretien et de la restauration des collections royales de peinture, qu'une orientation nouvelle se dessina. À partir de cette date, une véritable doctrine s'élabora avec une remarquable continuité, grâce aux directeurs des Bâtiments du roi qui se sont succédé, pour aboutir à la structure intelligente et attentive établie par le comte d'Angiviller, de 1774 à la Révolution.

   À Paillet succéda en 1701 François Stiemart, remplacé en 1740 par Joseph Godefroid, restaurateur qui avait déjà fait ses preuves chez les collectionneurs privés et chez le Régent. De 1741 à 1775, la veuve de Godefroid assura la restauration des tableaux de la Couronne avec l'aide de 2 peintres, François Louis Colins et Guillemart, puis celle de son fils, Joseph-Ferdinand Godefroid.

   À la mort de la " veuve Godefroid ", en 1775, le comte d'Angiviller supprima la charge et constitua une équipe de rentoileurs et de restaurateurs. La profession fut alors organisée pour le service des tableaux de la Couronne ; il n'y eut plus de monopole, une sélection fut instituée. La restauration fut séparée du rentoilage. Le secret des opérations fut banni, tout procédé nouveau, étudié, les prix et les méthodes furent attentivement surveillés.

   C'est dans ce contexte qu'apparaît, au milieu du siècle, en France, une grande nouveauté technique, la " transposition ", qui consiste à remplacer le support original d'une œuvre dont la peinture se détache de façon dangereuse. Il semble bien que l'invention de la transposition, datant du premier quart du XVIIIe s., soit venue d'Italie en passant par Bruxelles. Mais c'est à Paris que Robert Picault pratiqua cette opération, selon un procédé mystérieux dont on peut tenter une explication. Après quelques essais, qui firent l'émerveillement général, le directeur des Bâtiments lui confia en 1750 la transposition de la Charité d'Andrea del Sarto (Louvre). Le tableau fut exposé au Luxembourg avec, à côté, le support original de bois enlevé ; le roi lui-même s'y rendit. En 1751, le Saint Michel de Raphaël (Louvre) fut transposé. R. Picault fut alors comblé d'honneurs et reçut une pension importante du roi. Mais ses exigences financières, quelques échecs, son obstination jusqu'à la fin de ses jours à ne pas livrer son " secret " le firent mettre en concurrence avec la " veuve Godefroid ", qui pratiquait des tarifs moins élevés et ne gardait pas secret un procédé qu'elle devait avoir connu en Belgique, d'où elle était originaire. C'est ainsi que R. Picault ne fit plus partie de l'équipe constituée par le comte d'Angiviller.

   Ce fut Jean-Louis Hacquin qui le remplaça. La qualité de son travail, sa prudence et ses prix raisonnables feront de lui le rentoileur officiel. Le comte d'Angiviller l'attacha à la direction des Bâtiments du roi avec un traitement fixe qu'il conserva jusqu'à sa mort, en 1783.

   La seconde invention technique importante pour les panneaux peints fut, en 1770, la transformation du parquet fixe en parquet coulissant par le même Jean-Louis Hacquin, ébéniste de formation. Ainsi, en France, à la veille de la Révolution, la restauration en tant que discipline propre était créée avec l'essentiel de ses techniques de traitement des supports : le rentoilage, la transposition, le parquetage coulissant.

   De 1780 à 1815 se situe une période d'activité importante, surtout au moment de l'afflux à Paris des tableaux de Belgique, de Hollande, d'Italie..., lors des conquêtes napoléoniennes. Les restaurateurs français acquérirent une grande expérience. Entre 1797 et 1802, J. B. P. Lebrun (mari du peintre célèbre Élisabeth Vigée) fut chargé, en tant que commissaire expert, de faire le constat d'état de tous les tableaux étrangers à leur arrivée à Paris, de surveiller leur restauration et de contrôler les prix des interventions. Il lutta pour que les procédés traditionnels de restauration soient améliorés et pour qu'un concours soit organisé, permettant la sélection des meilleurs spécialistes. Partisan des nettoyages prudents, il fut en quelque sorte l'initiateur de la méthode française.

   En 1802, la transposition de bois sur toile de la Vierge de Foligno de Raphaël (Vatican) par François Toussaint Hacquin (fils de Jean-Louis Hacquin) fut un événement très important. L'intervention fut suivie et contrôlée par une commission dans laquelle figuraient 2 scientifiques, Berthollet et Guyton de Morveau : première ébauche de la collaboration réalisée dans les temps modernes entre scientifiques, historiens d'art et techniciens. Un rapport publié décrivait minutieusement l'intervention pratiquée. Pour la première fois, le public était informé de ces opérations, jusqu'alors entourées du secret.

   Les restaurateurs parisiens étaient à cette époque Hoegstoel, Roeser, Michau...

   Des restaurateurs isolés travaillaient un peu partout en Europe : les Riedel (Johan Gotfried et Johan Antona) à Dresde... En Italie, à Bologne, à Rome, à Florence, à Naples, il y eut des traditions locales de restauration. Mais c'est à Venise surtout que, à partir de 1770, le Laboratorio di San Giovanni e Paolo, atelier de restauration pour les peintures des collections publiques, fut organisé et dirigé par un peintre anglais, Peter Edwards. Dans ces ateliers, des spécialistes travaillaient selon une doctrine et des méthodes de prudence, de respect de l'œuvre et de réversibilité de la retouche, allant dans le sens des exigences modernes.

   En France, au XIXe s., la transposition fut pratiquée de façon courante et le parquetage, conçu avec habileté, se répandit, systématiquement, ces deux techniques étant utilisées par des rentoileurs ou des ébénistes.

   Les restaurateurs, tous peintres, retouchaient les œuvres en artistes. Leurs connaissances en restauration étaient empiriques, et les " tours de main " réussis étaient jalousement gardés secrets. Leur retouche était " illusionniste ". Le tableau restauré devait avoir l'aspect d'une œuvre intacte.

   C'est avec le XXe s. que la restauration s'est peu à peu détachée de l'empirisme pour entrer dans une ère plus " scientifique ". Afin de répondre à une prise de conscience de plus en plus aiguë de ces problèmes par les conservateurs de musées, l'Office international de coopération intellectuelle a mis à l'étude la restauration des peintures ; un rapport fut publié en 1939.

   En 1948, lors de la première conférence générale de l'I. C. O. M., ou Conseil international des musées (groupement international fondé par l'Unesco), la commission pour le traitement des peintures, composée de spécialistes de 12 pays, s'est réunie à Londres, puis à Rome en 1949, à Paris en 1950, à Bruxelles en 1951, et elle continue à siéger régulièrement. C'est ainsi que, en 1950, les partisans du dévernissage et ceux de l'allégement du vernis s'affrontèrent, les Anglo-Saxons étant favorables aux interventions " totalitaires " et les Latins aux interventions " nuancées ", positions qui restent actuellement encore marquées.

   En 1950 fut créé l'I. I. C., ou Institut international pour la conservation des objets d'art et d'histoire (groupement interprofessionnel), dont le siège est à Londres. Son objectif essentiel est de contribuer au développement scientifique et technique de l'étude de la conservation et de la restauration de ces objets.

   En 1958, un certain nombre de pays, membres de l'Unesco, ont créé un Centre international pour la conservation et la restauration des biens culturels, dont le siège est à Rome. Ce centre est chargé de coordonner et de diffuser les méthodes de restauration des œuvres d'art, de favoriser la création de laboratoires spécialisés, notamment dans les pays en voie de développement.

   Depuis quarante-cinq ans environ, une grande époque a débuté pour la restauration grâce à la prise de conscience des dangers qui menacent les biens culturels et de la place que ceux-ci tiennent dans notre civilisation. Partout dans le monde se sont créés des instituts chargés de sauver le patrimoine artistique ; ils sont soit nationaux, soit régionaux, soit rattachés à une université. À la vocation de restauration proprement dite, ils allient celle de recherche scientifique et celle d'enseignement. Parmi les principaux, citons : l'Institut Courtauld de Londres, créé en 1935, qui possède un département consacré à la technologie de la peinture, à la conservation et à la restauration de celle-ci, et une école de restauration ; l'Institut Doerner de Munich, fondé en 1938, qui s'attache particulièrement aux recherches sur la technique picturale ; l'Institut central de restauration de Rome, créé en 1940, qui a, par son enseignement ouvert aux candidats de tous pays, répandu sa doctrine et ses méthodes à travers le monde et dont les spécialistes de la restauration des fresques sont appelés en consultation sur tous les continents.

   L'Institut royal du patrimoine artistique de Bruxelles, créé en 1962, réalise un ensemble unique " groupant tous les services nationaux dont l'activité est centrée sur l'examen, la conservation et la photographie du patrimoine artistique ainsi qu'un enseignement postgradué ".

   Il existe également des instituts à Lisbonne, à Madrid, à Mexico, à Moscou, à New York, à Stuttgart, à Tokyo, à Ottawa... Dans les pays de l'Est, la restauration est souvent enseignée à l'université, ainsi en Pologne, à Varsovie, à Torun...

   Chaque pays a sa formule personnelle d'institution, où conservation, restauration, recherche scientifique, enseignement ne sont pas toujours groupés, mais de nombreux musées possèdent leur atelier et leur laboratoire : ainsi dans les surintendances en Italie, aux musées du Caire, de New Delhi, au British Museum et à la National Gallery de Londres, au Musée national suisse de Zurich, aux Kunstmuseen de Düsseldorf, de Bâle, au Laboratoire central de l'Union soviétique à Moscou...

   En France, il existe, au sein de la Direction des Musées de France, 2 services de restauration : l'un destiné au traitement des peintures des Musées nationaux qui a diversifié et étendu ses activités à d'autres techniques et à des musées extérieurs à la Direction des musées de France, l'autre relevant de l'Inspection des musées classés et contrôlés, destiné au traitement général des œuvres des musées de province. Ils sont installés dans la Petite Écurie du Roy à Versailles. L'un et l'autre travaillent en liaison constante avec le laboratoire de recherche des Musées de France.

   Au sein des Monuments historiques, il a été créé, en 1970, à Champs-sur-Marne, un laboratoire de recherche et des ateliers de traitement et de restauration dans 5 secteurs : pierre, vitrail, bois, peinture murale et grottes ornées. Enfin, pour répondre à une attente déjà ancienne et pour combler une grave lacune en 1973, une maîtrise de Sciences et Techniques a été créée à l'Université de Paris formant des spécialistes et un Institut français de restauration des œuvres d'art en 1977 et ouvert en 1978 ; sa mission première est la formation de restaurateurs de haut niveau.