Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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plafonds et voûtes (suite)

L'Occident gothique

On sait que la construction gothique diminue le rôle de la muraille et ne laisse, de ce fait, qu'une place restreinte à la peinture décorative. C'est la voûte qui offre précisément les surfaces les moins négligeables ; mais sa structure compartimentée interdit les compositions d'un seul tenant ; la fragmentation est de règle, le parti le plus simple consistant à placer une seule figure dans chaque voûtain.

   De toute façon, l'art gothique de type septentrional ne s'est guère employé à la décoration figurative des voûtes. En France, cependant, deux exemples méritent d'être relevés. Au Petit-Quevilly (XIIIe s.), les médaillons contenant des sujets du Nouveau Testament pourraient aussi bien se concevoir sur des parois verticales. Le parti adopté dans la chapelle de l'hôtel de Jacques Cœur, à Bourges (XVe s.), convient mieux à la décoration d'une voûte, puisque ce sont des figures volantes, à savoir des anges tenant des banderoles, qui s'inscrivent une par une dans les voûtains à fond céleste.

   Plus respectueux des surfaces murales, l'art gothique italien a favorisé davantage la peinture décorative, et ses voûtes aux larges quartiers sont souvent, comme les parois, revêtues de fresques, datant surtout du XIVe s. Il arrive que la surface soit divisée en bandes qui ne tiennent pas compte de sa courbure et où s'inscrivent, au détriment de la logique, des figures ou des scènes occupant un cadre terrestre. Tel est le cas : à Assise, dans l'église inférieure, avec les fresques des bras du transept, dues partiellement à des élèves de Giotto et à Pietro Lorenzetti ; à S. Maria Novella de Florence, dans le Cappellone degli Spagnuoli (Andrea da Firenze) ; à Padoue, dans le baptistère de la cathédrale, décoré par Giusto de'Menabuoi ; à l'abbaye de Viboldone, en Lombardie ; à S. Caterina de Galatina, dans les Pouilles ; ou encore à Avignon, dans les deux chapelles superposées du palais des Papes. Selon un parti différent et mieux approprié à la nature des voûtes, les quartiers accueillent des figures à caractère céleste ou intemporel. Tantôt ces figures sont isolées, tout en illustrant souvent un thème quadripartite (Évangélistes, Docteurs de l'Église), comme c'est le cas à S. Croce de Florence, avec les fresques de l'atelier de Giotto et d'Agnolo Gaddi ; tantôt elles sont en groupe, étagées régulièrement de manière à remplir le champ triangulaire du voûtain, comme on le voit à la croisée de l'église inférieure d'Assise, avec les célèbres Allégories des vertus franciscaines.

La première Renaissance en Italie

Le quattrocento italien, qui a tant innové, n'a pas donné sa mesure dans la décoration peinte des plafonds et des voûtes. Cette anomalie tient pour une large part au fait que les édifices conçus par les architectes d'alors se suffisaient à eux-mêmes, tirant leur beauté de l'articulation des volumes et du jeu des surfaces. Les plus remarquables ne laissent qu'une place insignifiante, sinon nulle, à la peinture décorative en général, à celle des plafonds ou des voûtes en particulier. La fameuse coupole de la cathédrale de Florence dut elle-même attendre plus d'un siècle avant d'accueillir une décoration peinte.

   En fait, la plupart des grands cycles de fresques de la première Renaissance se rencontrent dans les édifices de construction plus ancienne, surtout gothique, que l'on voulait précisément embellir. Or, le compartimentage des voûtes y contrariait la vision nouvelle de l'espace. C'est pour cela que les thèmes et les schémas décoratifs de la première Renaissance restent le plus souvent, en ce domaine, proches des modèles gothiques ; l'innovation réside dans le détail des formes. Il faut, toutefois, noter l'abandon des scènes disposées en bandes. Les figures intemporelles ou symboliques leur sont préférées, parce qu'elles s'inscrivent plus harmonieusement dans les quartiers des voûtes, s'associant volontiers selon des thèmes quadripartites. On trouve ainsi : les Sibylles dans la chapelle Sassetti à S. Trinita de Florence peintes par D. Ghirlandaio, ou par Pinturricchio à S. Maria Maggiore de Spello ; ce sont les Évangélistes dans la chapelle de Nicolas V, œuvre de Fra Angelico au Vatican, dans le chœur de la cathédrale de Prato, décoré par Filippo Lippi, parmi les fresques de Gozzoli à S. Agostino de S. Gimignano, ou dans la chapelle S. Bernardino à S. Maria in Aracoeli de Rome, peinte par Pinturricchio. Des figures groupées en chœurs célestes occupent les huit quartiers des voûtes de la chapelle S. Brizio à la cathédrale d'Orvieto ; on les doit à l'intervention successive de Fra Angelico, de Gozzoli et de Signorelli. Isolées ou non, ces figures sont généralement présentées sur fond de ciel, mais sans recherche effective de profondeur. De toute façon, elles ne jouent qu'un rôle de complément dans l'économie du cycle souvent célèbre dont elles dépendent, et il est significatif que les maîtres en aient presque toujours confié l'exécution à leurs aides.

   L'apport de la première Renaissance serait donc décevant en ce domaine, si quelques rares expériences n'avaient, en fin de compte, ouvert la voie aux conquêtes futures. Entre 1461 et 1472, Mantegna décora de fresques la Camera degli Sposi du castel S. Giorgio de Mantoue. L'architecture feinte de cette pièce assure une liaison étroite entre les parois et la voûte. Celle-ci est de plan carré, à pénétration, et divisée par l'entrecroisement des nervures en compartiments, que décorent des médaillons, des putti et divers ornements, le tout en grisaille ; mais une ouverture circulaire est feinte au centre, contrastant avec l'encadrement par ses couleurs et laissant voir un ciel imaginaire. Afin de renforcer l'illusion, des femmes en buste, des putti et même un paon apparaissent derrière une balustrade figurée en trompe l'œil sur le pourtour de cette ouverture ; un audacieux raccourci les montre tels que les verrait en réalité un observateur levant les yeux depuis le centre de la salle. Ce parti dynamique, fondé sur la perspective verticale et l'illusionnisme, inaugurait le type " ouvert " dans la décoration des voûtes. La leçon devait, plus tard, porter ses fruits ; mais elle fut suivie aussitôt, à Rome, d'une autre expérience de portée capitale. Rajeunissant un thème traditionnel, Melozzo da Forlì peignit à fresque le Christ en gloire, entouré d'apôtres et d'anges, à la demi-coupole de l'église des SS. Apostoli. Le Vatican et le palais du Quirinal se partagent les fragments de cette décoration. Au lieu de se présenter parallèlement à la surface de la voûte, les figures occupent un espace imaginaire et unifié, qu'elles approfondissent par la multiplicité des attitudes et la franchise des raccourcis, sans qu'il y ait illusionnisme à proprement parler. Vers 1478, Melozzo décora la coupole de la sacristie S. Marco de la basilique de Loreto ; il s'agit, cette fois, de " fenêtres " en trompe l'œil, encadrant chacune un morceau de ciel avec un ange volant. À la sacristie S. Giovanni de la même église, les puissantes figures de Signorelli s'inscrivent une par une dans les divisions rayonnantes de la coupole, selon un parti plus statique.

La Renaissance à Rome et à Parme

Les grands chantiers romains du temps de Jules II et de Léon X ont fait une large place à la décoration des voûtes. L'exemple le plus illustre est celui de la chapelle Sixtine. Il n'importe pas d'étudier ici la vaste composition de Michel-Ange au point de vue du style ou du contenu spirituel ; ce qu'il faut souligner, c'est qu'elle apportait une solution neuve et hardie, voire logique au problème posé par une large surface courbe. Il s'agissait d'alléger et d'élever pour l'œil cette voûte au profil très écrasé (qu'il est impropre d'appeler " plafond "). Michel-Ange a eu recours à une architecture simulée en grisaille, qui se présente en quelque sorte à plat, sans se soumettre à la perspective verticale, mais impose à l'espace une partition harmonieusement articulée. Alors que les " ignudi " sont supposés faire corps avec cette ordonnance, c'est dans les ouvertures qu'elle feint de réserver que s'inscrivent d'une part les Scènes de la Genèse, formant au centre de la voûte des tableaux que l'on imaginerait aussi bien sur des parois verticales et toutes orientées par rapport à un observateur qui reculerait depuis le fond jusqu'à l'entrée de la chapelle, et d'autre part les Prophètes et les Sibylles, occupant les retombées et conçus pour une vision latérale. Malgré cette différence de plans entre l'architecture feinte et l'espace idéal qu'elle encadre et fragmente, la profondeur est strictement limitée pour que les figures gardent toute leur efficacité plastique ; la discrétion des couleurs y contribue.

   Le cas de Raphaël est plus complexe. Dans la chambre de la Signature au Vatican, les cadres rectangulaires et les médaillons réservés dans la décoration de la voûte sont occupés par de petites scènes et des figures allégoriques dont le rôle, relativement secondaire, est en rapport avec les sujets des grandes fresques peintes sur les parois ; cette fragmentation de l'espace et ce langage symbolique restent proches de la tradition médiévale, d'autant plus qu'un fond de mosaïque feinte supprime délibérément la profondeur. Il y a plus de nouveauté dans la loggia de la Farnesina, dont la voûte en berceau, aux surfaces clairement articulées à l'aide de guirlandes en trompe l'œil, illustre le thème unique de l'Histoire de Psyché. La scène des Noces dans l'Olympe, qui n'est d'ailleurs pas traitée en perspective verticale et n'est pas conçue pour être vue des deux côtés, occupe au centre un grand cadre rectangulaire qui s'allonge selon l'axe de la galerie, de manière à affirmer l'unité ; entre les pénétrations latérales, des épisodes aux figures peu nombreuses s'adaptent avec élégance à la forme triangulaire des retombées. Dans la chapelle Chigi de S. Maria del Popolo, la coupole montre des figures isolées, mais dont les raccourcis observent mieux les principes de la vision verticale. Aux Loges du Vatican, enfin, Raphaël fixait une formule inspirée des voûtes antiques : au milieu d'un riche décor à grotesques, où le relief compte autant que la couleur, les scènes à figures, réparties en cadres rectangulaires, n'occupent qu'une place restreinte ; en outre, chacune a sa perspective propre, qui n'est pas étudiée spécialement pour la vision ascendante.

   Ainsi les voûtes romaines de cette époque restent-elles plus ou moins de type " fermé ". Pour trouver le fruit des expériences de Mantegna et de Melozzo, il faut aller à Parme, où Corrège a fait prévaloir les principes de la décoration " ouverte ". La Camera di S. Paolo (1518-19) prouve déjà la capacité d'innovation du peintre : la voûte figure une treille dans laquelle sont ménagées des ouvertures ovales offrant séparément des vues sur un même ciel peuplé d'amours ; c'est un exemple accompli de voûte " à fenêtres ". Avec les coupoles de S. Giovanni Evangelista et du Duomo, Corrège a exploité plus hardiment les ressources de la perspective verticale. Commencée en 1520, la première coupole développe le thème de la Vision de saint Jean en lui faisant remplir une surface d'un seul tenant (si l'on excepte la calotte du lanternon supérieur) ; par leurs raccourcis, les grandes figures du pourtour, assemblées d'une façon assez compacte, s'intègrent vraiment à l'espace céleste que peut imaginer l'observateur levant les yeux depuis le sol. Avec l'Assomption qui orne la coupole du Duomo, peinte entre 1522 et 1530, la profondeur est encore mieux suggérée par les attitudes mouvementées de figures plus nombreuses, la disposition sur plusieurs plans et la soumission à la perspective aérienne. La leçon de Corrège devait attendre l'âge baroque pour être vraiment comprise — et dépassée. On en trouve cependant l'écho à Saronno, en Lombardie ; vers 1535, Gaudenzio Ferrari décora la coupole octogonale de ce sanctuaire d'une Gloire d'anges qui, sans laisser de vides, occupe l'espace céleste, au sommet duquel est sculptée une figure de Dieu le Père.