Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
M

madone d'humilité
ou vierge d'humilité

Thème iconographique selon lequel la Vierge est représentée assise à terre et tenant l'Enfant, que souvent elle allaite, cette variante étant désignée sous le nom italien de " Madonna del latte " (" Madone du lait ") ; la représentation est parfois accompagnée de l'inscription Nostra Domina de humilitate, qui justifie le nom générique de ce type iconographique.

   Le thème se rattache évidemment à celui, très ancien, de la " Femme " de l'Apocalypse (où sont déjà souvent représentées la lune et les étoiles) ; cependant, la création du type tel que nous le connaissons par les nombreux petits panneaux de dévotion qui se multiplient autour de 1345 répond aux nouveaux besoins du mysticisme, déjà sensible auparavant, mais exacerbé au cours des années qui suivent la grande peste de 1348 ; ce thème se retrouve tant en Italie qu'en France, en Espagne, en Bohême, mais son origine est sans aucun doute italienne et plus particulièrement issue du milieu de Simone Martini, dont les innovations dans le domaine de l'iconographie tendaient justement à une expression plus humaine des personnages divins ; les caractères simonesques d'œuvres comme le panneau de Bartolomeo da Camogli, daté de 1346, au M. N. de Palerme, ne laissent guère de doute sur l'existence probable d'un prototype de Simone lui-même, comme le prouve en particulier la représentation monumentale, et par là quelque peu hiératique, de la fresque du porche de Notre-Dame-des-Doms à Avignon, exécutée avant 1343. Si on le trouve encore dans la première moitié du XVe s., tant au nord qu'au midi (Robert Campin, Masaccio), rien n'égale l'extraordinaire floraison de ce thème au trecento, où la représentation humanisante perd la signification qu'on lui attachait à la fin du Moyen Âge.

Madrazo (les)

Famille de peintres espagnols.

Cette dynastie, qui recouvre tout le XIXe s., a joué un rôle majeur dans l'histoire de la peinture espagnole et de ses liaisons européennes. Ses deux protagonistes, le fondateur José et son fils aîné Federico, qui régnèrent sur l'art officiel, ont laissé, tout au moins comme portraitistes, une œuvre importante et souvent de haute qualité.

 
José (Santander 1781 – Madrid 1859). Il eut pour maître à Madrid Gregorio Ferro. Un portrait de Godoy lui vaut en 1803 une pension royale à Paris. Élève de David de 1802 à 1806, qui loue son tableau Jésus devant Caïphe, il est condisciple d'Ingres, dont il devient l'ami. Pensionné ensuite à Rome lorsque Napoléon envahit l'Espagne, il refuse de reconnaître Joseph Bonaparte et reste pintor de Cámara dans la cour fantôme du roi déchu ; il y demeure pendant une quinzaine d'années. Il ne quitte Rome qu'après la mort de Charles IV, ayant épousé entre-temps Isabelle Kuntz, fille d'un peintre allemand et d'une Romaine. Il revient à Madrid en 1819, et sa fidélité lui vaut une situation privilégiée à la Cour. Il joue un rôle décisif, à partir de 1823, dans la réorganisation de l'enseignement des beaux-arts par l'Académie sur le modèle français et dans l'essor du nouveau musée du Prado : créateur d'un atelier lithographique, il dirige le musée de 1838 à 1857. Il fut aussi un amateur éclairé : sa collection, dont le catalogue publié en 1856 mentionnait 650 tableaux, en majorité espagnols, était considérée comme la plus choisie de Madrid. À sa mort, les pièces maîtresses, achetées par le marquis de Salamanca, partagèrent les vicissitudes de la collection. Mais certains tableaux furent vendus directement à des amateurs étrangers : ainsi les Goya (Autoportrait, le Ballon) achetés par le comte de Chaudordy, ambassadeur de France, et légués par lui au musée d'Agen.

   Comme peintre, Madrazo fut l'introducteur en Espagne du Néo-Classicisme davidien, intégral quant à la hiérarchie des genres et au culte de l'antique, quelque peu assoupli quant au rôle de la couleur, l'artiste n'ayant jamais renié la tradition velazquésienne de l'Espagne. Mais ses peintures d'histoire, relativement peu nombreuses (Grecs et Troyens se disputant le corps de Patrocle, 1812, Rome, Quirinal ; la Mort de Viriathe, 1808, Prado, inspirée d'une gravure, la Douleur d'Andromaque, tableau de l'Écossais Govin Hamilton), sont froides et compassées et les poètes romantiques raillèrent ce Viriathe " mort si tranquille ". En revanche, dessinateur excellent, constructeur rigoureux, José de Madrazo est un portraitiste de grand style. Sa maîtrise est égale dans le portrait d'apparat (Cardinal Gardoqui, 1817, musée de Bilbao ; Manuel Garcia de la Prada, 1827, Madrid, Acad. S. Fernando) et dans des œuvres plus simples, mais d'une autorité toujours un peu distante (Autoportrait, Prado, annexe du Casón ; Federico de Madrazo, 1833, New York, Hispanic Society ; le Comte de Vilches, Prado, annexe du Casón).

 
Federico (Rome 1815 – Madrid 1894). La carrière de Federico fut aussi précoce qu'elle devait être longue. Formé par son père, tandis qu'il recevait du poète Lista une culture humaniste inhabituelle, Federico peignait à quatorze ans son premier tableau d'histoire, obtenait à dix-sept un succès flatteur sur un sujet d'actualité (la Reine Marie-Christine soignant Ferdinand VII ), et, à dix-huit, devenait académicien, élu à l'unanimité pour sa Clémence de Scipion (1839). Un premier voyage à Paris, en 1833, lui gagne l'amitié d'Ingres et du baron Taylor, dont il fait d'excellents portraits (New York, Hispanic Society ; Versailles). Lorsqu'il y revient pour un plus long séjour (1837-1839), leur protection lui vaut l'accès au Salon et une commande royale pour Versailles (Godefroi de Bouillon, roi de Jérusalem, salles des croisades, tableau habilement composé dans le style de Delaroche). Puis deux années à Rome (1840-1842) le mettent en rapport avec les nazaréens allemands : leur influence est sensible dans les Trois Marie au tombeau (Madrid, Palais royal), que louèrent Overbeck et Ingres. Mais, après son retour à Madrid, Federico délaisse la peinture d'histoire pour se vouer au portrait, tandis qu'il collectionne charges et honneurs officiels : premier peintre de la reine, neuf fois directeur de l'Académie, directeur du Prado (succédant à son père), de 1860 à 1868, puis de 1881 à 1894, tout en voyageant à travers l'Europe et en participant à de nombreuses expositions internationales. Son œuvre, beaucoup plus abondante que celle de son père, comprend plus de six cents portraits. Influencé par Ingres, il reprend cependant la tradition du portrait psychologique espagnol. Il fait revivre la Cour (Isabelle II, Alphonse XII), l'aristocratie (Duc de San Miguel, Marquise de Montelo, Comtesse de Vilches, Prado, annexe du Casón), le monde des lettres, des arts et du théâtre (Larra, Madrid, Museo Romántico ; Ventura de la Vega, id. ; la Avellaneda, Madrid, musée Lázaro Galdiano ; Eduardo Rosols, Carolina Coronado, Casón), avec les aspects conventionnels, les modes successives, les uniformes et les bijoux, toujours d'une élégance un peu froide. Federico, comme son père, est dessinateur plus que coloriste ; mais il est beaucoup plus sensible à la grâce féminine, et certaines figures, surtout les bustes (Carolina Coronado, Sofia Vela, Prado, annexe du Casón), ont un charme pensif où survit le Romantisme. Ses portraits au crayon constituent la part la plus " ingresque " de son œuvre, peut-être la plus libre et la plus précieuse.

 
Les frères et les fils de Federico. Deux frères cadets de Federico comptent dans l'histoire artistique du XIXe s. : Pedro (Rome 1816 –Madrid 1898) , bon dessinateur, mais également doué pour les lettres, la musique, les mathématiques, cofondateur en 1833 (avec l'écrivain Ochoa) d'El artista, revue illustrée imitée de l'Artiste parisien, et qui, durant sa brève carrière, réunit une équipe brillante de jeunes écrivains et artistes romantiques. Par la suite, haut fonctionnaire, académicien, auteur de publications importantes sur l'art espagnol (España artistica y monumental), il se voua à l'étude des tableaux du Prado (dont il publia en 1872 un Catálogo historico-descriptivo : escuelas italianas y españolas, premier catalogue critique qui reste un instrument de base) et en général des collections royales d'Espagne (Viaje artístico de tres siglos por las colecciones de cuadros de los reyes de España, 1884).

 
Le plus jeune des trois Madrazo, Luis (Madrid 1825 – id. 1897) , qui se fit connaître en 1848 par un Tobie rendant la vue à son père, fut un peintre estimable de sujets religieux et historiques et un professeur renommé.

 
Les fils de Federico continuèrent la tradition familiale ; le premier est Raimondo de Madrazo y Garretar (Rome 1841 – Versailles 1920) , le second Ricardo de Madrazo (1831-1917). Ils subirent aussi l'influence du peintre Fortuny, qui avait épousé leur sœur Cecilia. Portraitistes, peintres de genre et de nus, leur carrière se déroula presque entièrement hors d'Espagne, en Italie et surtout à Paris (de Raimondo, Duchesse d'Albe, 1881, Madrid, coll. d'Albe ; Sortie d'église, Baltimore, Walters Art Gallery).