portrait (suite)
Le XVIe siècle
Le XVIe s. voit l'essor du portrait, qui reflète l'organisation sociale de l'époque et ses passions. Les galeries de portraits se multiplient : celle de Paul Jove sur le lac de Côme (catalogue en 1546), celle du duc Cosme de Médicis à Florence, celle de Ferdinand de Tyrol à Ambrass, celle de Frédéric Borromée à Milan. À Blois, Catherine de Médicis possédait 341 portraits, et, en 1567, 22 portraits lui sont envoyés d'Italie pour son grand cabinet, rue du Four. C'est au XVIe s. que le genre se codifie : portrait psychologique ou évoquant la fonction et dans un décor fixé ; le buste émerge de derrière un parapet chez Léonard, la figure en pied apparaît entre rideau et colonne chez Titien. La diversification intervient dans la formule adoptée : traditionnel (buste ou figure en pied), allégorique (personnage avec attributs de dieux ou de déesses), emblématique (avec allusions littéraires), dans le type choisi, de l'autoportrait au portrait collectif ; enfin dans l'emploi de la technique (peinture ou " trois crayons "). Le XVIe s. est une époque de réflexions sur l'art, de théories et de polémiques : a-t-on le droit d'idéaliser un portrait ou de l'infléchir vers la caricature, ou bien doit-on restituer aussi objectivement que possible la nature ? Aussi des constantes caractérisent-elles certaines années : le style " romantique " (autour de Giorgione) ou le style " glacé " des années 1600. La vie de la cour de Florence se reflète dans l'œuvre de Bronzino, effigies imposantes et quêtes intellectuelles complexes, autant que la joie de vivre de la cour de France se reflète dans la peinture voluptueuse de l'époque des Valois, jeunes femmes à demi nues couvertes de bijoux et bals à la Cour. Les " passions de l'époque inclinent à l'ostentation ", soit d'une manière sobre et descriptive (Moro, Coello, Pourbus), soit d'une manière lyrique, ce dont témoignent de nombreux portraits d'artistes et d'amants.
L'Italie élabore le type du portrait complet, isolé ; la figure monumentale sous une forme classique apparaît dans 3 grands centres : Florence, Rome et Venise, et le portrait maniériste se développe à partir de Florence ; enfin, par les portraits allégoriques et emblématiques, l'Italie appartient bien aux spéculations du XVIe s., mais annonce le XVIIIe s. Le portrait classique monumental, stable, serein, de lecture claire, est illustré par Léonard et Raphaël entre 1500 et 1520, puis par Titien. Léonard, portraitiste des mouvements de l'âme, évolue depuis le style précis et incisif de Ginevra dei Benci (v. 1480, Washington, N. G., visage sur fond de feuillage) jusqu'à celui de la Joconde (v. 1508, Louvre, buste sur fond de paysage imaginaire dans une atmosphère enveloppante) : le portrait isolé, à mi-corps, se profile sur un fond qui ne mobilise pas l'attention ; ce curieux accord d'un sfumato et d'un dessin précis a inspiré Luini, Solario, Boltraffio et Ambrogio de Predis. Raphaël (à Florence, puis à Rome) met l'accent sur le caractère de ses modèles, enserre ses silhouettes d'un contour net et les valorise par des couleurs denses : il part du buste de Léonard à mi-corps, de trois quarts, mains croisées, sur fond de paysage (Angelo et Maddalena Doni, Offices), trouve un accord privilégié entre le peintre et son modèle dans Balthazar Castiglione (Louvre), enfin idéalise d'une manière personnelle (Portrait d'un cardinal, Prado, ou la Dona Velata, Florence, Pitti) ou introduit le portrait en action (Léon X et ses neveux, Offices).
Vers 1530, la primauté du portrait en Italie revient à Venise ; ce portrait, où le volume et la matière picturale quelquefois " impressionnistes " l'emportent sur les contours, est représenté avec magnificence par Titien, portraitiste officiel qui sait concilier panégyrique et souci de vérité. Titien, portraitiste de Charles Quint, créa le portrait impérial, en pied (1533, Prado), assis dans un cadre architectural avec rideau et échappée de paysage (Munich, Alte Pin.), enfin équestre (1547, Prado). Titien représente aussi le pape (Paul III et ses neveux, Naples, Capodimonte), l'homme de lettres (l'Arétin, Pitti), le collectionneur (Jacopo Strada, Vienne, K. M.). On rencontre à Venise 2 conceptions : celle, " officielle ", de Titien, Tintoret (portraits d'hommes barbus sur fonds sombres) et Véronèse (portraits sereins et somptueux de la femme vénitienne, blonde, épanouie et richement parée), auxquels se rallient Palma et Savoldo, et celle, " romantique ", de Giorgione (portraits d'hommes rêveurs au visage penché : Jeune Homme, musée de Budapest) ou Lotto, interprète acide et passionné de la leçon de Titien, comme dans Andrea Odoni (Hampton Court), amateur d'antiques présentés dans une atmosphère moelleuse, ou Bernardo de Rossi (Naples, Capodimonte), l'énergique évêque de Trévise. Cariani peut être considéré comme un trait d'union entre ces deux voies. Hors de Venise, on trouve un sentiment direct de la vie dans un style moins officiel, à Brescia avec Moretto, à Bergame avec Moroni, vif, froid et naturaliste, et enfin avec Paris Bordone.
Parallèlement au portrait classique vénitien s'élabore le portrait maniériste : il naît à la cour de Florence v. 1517-1520 sous le signe de l'inquiétude avec Pontormo (Portrait d'un hallebardier, Los Angeles, musée Getty), portrait, sur fond neutre, peint dans des tons acides, dans un style dérivé de celui de son maître Andrea del Sarto, qui avait déjà interprété Raphaël dans le sens du drame et qui influencera Puligo et Bacchiacca ; Bronzino, peintre officiel des Médicis, inaugure un genre glacé et somptueux qui n'exclut pas un caractère inquiétant (Éléonore de Tolède, Offices) ; les poses sont souvent complexes, apprêtées, et la volonté d'élégance allonge les formes et raffine les coloris (Ugolino Martelli, musées de Berlin). Salviati et son entourage prolongent à Florence ce style, qui connaît une diffusion internationale ; hors de Florence, les élèves de Raphaël l'interprètent selon leur tempérament personnel : G. Romano incline vers la dureté (Isabelle d'Este, Hampton Court), Perino del Vaga et Sebastiano del Piombo vers l'animation, Franciabigio vers le sfumato, qu'il transmettra à Bugiardini. Parmesan mettra l'accent sur le merveilleux, le charme, l'élégance sensible (Comte de Fontanellato, Naples, Capodimonte).
À côté de ces grands genres classique et maniériste se développent des catégories mineures : les portraits allégorique et emblématique. Le portrait allégorique sert à glorifier un être vivant en le représentant avec des attributs de héros ou de dieux antiques : ainsi Andrea Doria en Neptune par Bronzino (Brera), où la nudité est envisagée comme principe divin supérieur. D'autres compositions allégoriques révèlent un aspect plus intime ; ce sont les portraits de fiancés où le couple est représenté plus ou moins sous les aspects de Vénus et de Mars, reflet à Venise même des spéculations néo-platoniciennes : Allégorie du mariage par Paris Bordone (Vienne, K. M.), la prétendue Allégorie du marquis d'Avalos par Titien (Louvre). Outre ces portraits allégoriques, le XVIe s. s'est complu dans l'ésotérisme des portraits emblématiques à allusions littéraires et à jeux d'esprit : Laura (Giorgione, Vienne, K. M.) devant un feuillage de laurier ; Lu-ci-na (Lotto, Bergame, Accad. Carrara) est un portrait de femme sur fond de Lune : Lu-na. Une atmosphère équivoque (la Courtisane par B. Veneto, Francfort, Städel Inst.) ou humoristique (Un amour pose le joug sur les fiancés Marsilio de Lotto, Prado) enveloppe ces portraits.
L'Allemagne voit fleurir un très grand nombre de portraits, qui expriment ses contraintes : le protestantisme supprimant la peinture religieuse, le portrait fut un domaine refuge, chacune des petites cours allemandes lui donnant son lustre ; l'humanisme a dominé les échanges entre États dans toute l'Europe du Nord. Deux courants, l'un de tradition autochtone (Cranach, Dürer), l'autre plus international (Holbein), se développent dès le 1er tiers du XVIe s., avant qu'un italianisme plus précis ne s'impose à l'Allemagne. Lucas Cranach l'Ancien présente ses personnages à mi-corps avec ampleur (Frédéric le Magnanime, coll. part.), quelquefois devant un paysage (les Époux Cuspinian, Winterthur, coll. O. Reinhart) ; portraitiste de cour, il fit de nombreux dessins, souvent sur papier préparé, de visages présentés de trois quarts, procédé que son fils, Cranach le Jeune, reprit de façon un peu mécanique. Portraitiste de cour aussi, Seisennegger est célèbre pour avoir inauguré le portrait en pied avec Charles Quint (1532, Vienne, K. M.), dont on connaît la gloire future grâce à Titien. Dürer commence par un rappel de la tradition et de son apprentissage d'orfèvre avec des bustes de trois quarts sur fond neutre (Portrait de jeune homme, Munich, Alte Pin.), mais son goût du faste et son voyage à Venise lui font peindre au retour de somptueux portraits avec échappées de paysage (Autoportrait, Prado ; Oswolt Krel, Munich, Alte Pin.), puis il abandonne cet italianisme pour un art ample et détendu, joint à une rigueur graphique toute germanique (Vieillard au bonnet rouge, détrempe sur toile, Louvre).
Parallèlement à la tradition autochtone s'élabore le grand portrait classique de style linéaire et respectueux du modèle avec Hans Holbein le Jeune (portraits complets, psychologiques et de fonction : Georg Gisze dans son cadre [musées de Berlin] ou les Ambassadeurs [Londres, N. G.]). Holbein est le portraitiste des humanistes de l'Europe du Nord (Érasme, Louvre ; Th. Moore, New York, Frick Coll.) et de la Cour anglaise (le roi Henri VIII et ses diverses épouses) ; il crée le type du portrait anglais du XVIe s. : de face, selon la tradition anglaise, précis, avec un luxe d'accessoires, mais de présentation sobre sur fond neutre. Il était fils du portraitiste traditionnel Hans Holbein l'Ancien et frère d'Ambrosius Holbein, dont les portraits, aux tons acides et au dessin net, se détachent sur des fonds à pilastres et corniches où s'introduit un italianisme de décor. En Allemagne, après 1530, l'italianisme est de règle et informe soit la plastique romaniste de Barthel Bruyn, qui avait commencé sa carrière de portraitiste dans le style doux de Joos Van Cleve, soit le chaleureux métier vénitien de C. Amberger, soit le formalisme maniériste tardif de Vasari avec Peter de Witte, dont le portrait de Madeleine de Bavière (Munich, Alte Pin.), avec ses broderies d'argent, évoque le style " châsse " des années 1600.
En Angleterre, la peinture officielle est pratiquée par des étrangers : Holbein, puis la famille flamande des Gheeraerts (portraits froids avec un luxe de détails) ; un courant " romantique " mettant l'accent sur l'émotion, le raffinement, surtout représenté dans les miniatures, est adopté par les Anglais : surtout P. Oliver (Anne de Danemark) et N. Hilliard (la Reine Élisabeth, Jeune Homme adossé à un arbre, Londres, V. A. M.). À l'aube du XVIIe s., l'Angleterre connaît déjà le portrait dans un paysage (le Prince de Galles et Sir Harrington par Robert Peake, Metropolitan Museum), mais dans le style glacé des années 1600.
Dans le Nord, Flandre et Hollande, les artistes sont voyageurs en raison de problèmes religieux et économiques : les Gheeraerts vont en Angleterre ; Anthonis Moor, Peter de Kempener deviennent Antonio Moro et Pedro Campana en Espagne, et, s'ils reviennent chez eux, ils sont convertis à des influences étrangères : l'italianisme est introduit dans les 3 centres romanistes d'Utrecht, de Haarlem et de Bruxelles. En Flandre, Anvers et Bruxelles sont les principaux centres de production. Anvers est le foyer économique ; l'italianisme s'y révèle dans une détente générale, une souplesse sensibles chez Metsys (Érasme, Rome, G. N., Gal. Barberini), Joos Van Cleve, si célèbre qu'il sera appelé à la cour de France en 1530 pour peindre François Ier et la Reine Éléonore, et Floris, le plus populaire des trois, réaliste et romaniste à la fois ; Bruxelles est le lieu de résidence de la Cour avec Marguerite d'Autriche, qui favorise une Renaissance aux aspects divers : le goût décoratif italianisant de Barend Van Orley, portraitiste du milieu humaniste (Georges de Zelle [Bruxelles, M. R. B. A.], médecin entouré de livres et vêtu à l'italienne), la forte plastique romaine de Gossaert (Portrait de fillette, Londres, N. G.) ; Mostaert est venu de Hollande travailler à Bruxelles, mais il reste fidèle à la tradition du trois quarts sur fond de paysage lointain.
La Hollande subit l'influence de Dürer et celle de l'Italie, que celle-ci soit diffuse (Lucas de Leyde, Portrait de femme, Rotterdam, B. V. B.) ou précise comme chez les romanistes (Scorel) : portraits en buste de bourgeois en vêtement sombre sur fond sombre, à coiffes blanches et aux visages construits de Maerten Van Heemskerck, plus sculptural. Une particularité apparaît en Hollande : le portrait collectif, qui, s'échelonnant du XVIe au XIXe s., reflète la vie officielle de la cité et est l'expression des cités marchandes bourgeoises protestantes du Nord, dont les forces sociales sont les gildes civiles (corporations) et militaires (milice), ou les associations charitables (régents ou régentes). Le portrait collectif, en général groupe d'individus dans un intérieur, dérivé des donateurs représentés par familles entières dès le XVe s. sur les volets des retables, est l'expression du mode de vie hollandais, dû aux conditions politiques (une démocratie gouvernée par un groupe de non-nobles) et géographiques (le climat nordique amène à beaucoup vivre dans les intérieurs). Le premier grand portrait collectif est encore semi-religieux : les Chevaliers de Terre sainte en procession par Scorel (1528, Haarlem, musée Frans Hals), présentés en frise de personnages d'une grande sobriété de mise en page, où l'individualisation commence à poindre dans l'autoportrait du peintre. Le genre est poursuivi sur un plan profane par Cornelis Anthonisz (Banquet de la garde civique, Rijksmuseum) dans un style un peu gauche : personnages assis autour d'une table, juxtaposés, dans des coloris très crus ; il est rénové par Cornelis Cornelisz dans le Repas des gardes (1583, Haarlem, musée Frans Hals), grâce à une plus grande animation et à une plus grande variété des attitudes et des coloris moins stridents.
En France, 2 courants s'interpénètrent : courant à la fois bellifontain et italianisant dû au mécénat de François Ier, et courant nordique, d'un réalisme traditionnel. Le grand portraitiste du siècle, François Clouet, de formation nordique, ne reste pas à l'écart de Fontainebleau. Le petit portrait en buste sur fond de couleur (vert ou bleu), typique de la tradition nordique, est pratiqué par Corneille de Lyon (Pierre Aymeric, Louvre) ; dans cette voie, mais sous l'influence italianisante, on rencontre Joos Van Cleve, qui ajoute à l'héritage flamand un sfumato particulier, Jean Clouet, sensible au luxe des vêtements d'outre-monts, mais qui conserve un graphisme précis (François Ier, Louvre), son fils François, plus éclectique, auteur de nombreux bustes de petit format, mais qui introduit quelquefois l'ampleur du portrait italien (rideau de taffetas du Portrait de Pierre Quthe, Louvre), enfin François Quesnel. Le goût croissant pour le portrait, les nécessités économiques — produire vite, beaucoup et à bon marché —, autant que la sensibilité à l'aspect d'esquisse d'une œuvre, expliquent la vogue des " portraits aux trois crayons " (gris, brun et bleu ou vert pour les yeux), où excella François Clouet : à sa suite citons la dynastie des Dumoustier (Daniel, Pierre Ier, Pierre II), Jean de Court, le Maître I. D. C. (Gabrielle d'Estrées, Paris, B. N.), Benjamin Foulon et, dans le portrait de genre, Lagneau. À côté de cet art discret, réaliste et traditionnel, l'école de Fontainebleau représente une importation italienne, décorative et monumentale, où prennent place des allégories complexes : Jean de Dinteville en saint Georges par Primatice, qui évolue vers un intimisme flamingant à la fin du XVIe s. (Gabrielle et sa sœur au bain, 1594, Louvre) ; les maîtresses du roi se font souvent représenter en Diane (Diane chasseresse, Louvre ; Diane et ses nymphes au bain par François Clouet, musée de Rouen) ; cette glorification d'une personne royale annonce le thème d'Apollon au XVIIe s. ; le thème de la gloire du roi apparaît avec F. Clouet (François Ier à cheval, miniature aux Offices) ainsi que dans les portraits d'apparat, comme celui de Charles IX (Vienne, K. M.), où il crée un type de portrait royal où le modèle est représenté debout dans un intérieur, devant un rideau, la main sur un dossier de fauteuil.
La puissante Espagne du XVIe s., riche, sévère et religieuse, connaît deux genres de portrait : le portrait de cour avec Pedro Campana et surtout Antonio Moro, créateur du type du portrait espagnol, présentant un personnage silencieux dans un sévère costume noir, sur fond neutre (Marie Tudor, 1554, Prado), formule suivie par Sánchez Coello, et le portrait mystique avec Greco, où le personnage n'existe que par son visage anxieux, ses mains démesurément allongées, dans un style où le dessin et une touche très libre contribuent à dématérialiser le modèle (Frère Hortensio Felix Paravicino, 1609, Boston, M. F. A.).