Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
B

Braque (Georges)

Peintre français (Argenteuil 1882  – Paris 1963).

Les débuts

Né dans une famille d'artisans, Braque a passé son enfance au Havre " en pleine atmosphère impressionniste " et il a toujours insisté sur le fait qu'il avait fait " seul son éducation artistique ", en dehors de tout apprentissage académique. (" Entretiens avec Dora Vallier ", Cahiers d'Art, 1954.) Sa première formation est celle d'un peintre décorateur, et l'importance de cet apprentissage se manifeste dans les recherches de matière et dans l'aspect artisanal et volontairement trivial que l'on retrouve souvent dans sa peinture à partir du Cubisme. Il vient à Paris en 1900 et se convertit au Fauvisme pendant l'hiver de 1905-06. " Matisse et Derain m'ont ouvert la voie ", dira-t-il plus tard. Il fait en 1906 avec Othon Friesz un séjour à Anvers, puis, au cours de l'été de 1907, à La Ciotat et à l'Estaque. Il y peint une série de marines en général de petit format, d'un fauvisme élégant et retenu et l'Estaque, l'embarcadère, 1907 (Paris, M. N. A. M.).

La période cubiste

À l'automne de 1907, sans doute après avoir vu la rétrospective Cézanne au Salon d'automne, il peint la première version de Viaduc à l'Estaque (Minneapolis, Institute of Arts), d'un chromatisme fauve mais d'un dessin géométrisant. Le grand Nu debout qu'il exécute à Paris au cours de l'hiver témoigne également de l'influence des Demoiselles d'Avignon de Picasso qu'il a vu à son retour. Au cours de l'été de 1908, il peint à l'Estaque une série de paysages très tumultueux dans leurs mouvements, où la palette se simplifie, où la perspective tend à disparaître, et qui se réduisent à quelques formes géométriques et compactes, à ces " cubes " que remarque le critique Louis Vauxcelles lorsque les tableaux sont exposés chez Kahnweiler en novembre 1908 (Maisons à l'Estaque, 1908, musée de Berne). Dans les paysages exécutés en 1909 en Normandie et à La Roche-Guyon, les masses ne sont plus aussi brutalement opposées, mais communiquent entre elles par une série de passages et de modulations d'origine cézannienne qui égalisent la lumière et tendent à décomposer les volumes en une mosaïque de plans rapprochés du spectateur (Château à la Roche-Guyon, 1909, Villeneuve-d'Ascq, M. A. M.). C'est que Braque se préoccupe à l'époque de peindre l'espace qui est entre les objets au lieu de les faire tourner par le modelé dans le vide de la perspective traditionnelle. " Ce qui m'a beaucoup attiré — et qui fut la direction maîtresse du Cubisme —, c'était la matérialisation de cet espace nouveau que je sentais " (" Entretiens avec Dora Vallier "). Après les dernières vues de l'Estaque (Usines du Rio Tinto, 1910, M. N. A. M.), il abandonne alors le paysage pour la figure et la nature morte, " parce que, dans la nature morte, il y a un espace tactile, je dirais presque manuel [...]. Cela répondait pour moi au désir que j'ai toujours eu de toucher la chose et non de la voir. C'est cet espace qui m'attirait beaucoup, car c'était cela la première recherche cubiste, la recherche de l'espace ". Les natures mortes de 1910 se caractérisent par l'austérité de leurs couleurs et le fait que les éléments constitutifs des objets sont rabattus sur la toile afin d'y former un plan unique. Depuis la fin de 1909, Braque travaille en relations étroites avec Picasso et élabore avec lui — de manière sans doute plus consciente et appliquée, même s'il est souvent difficile de départager les inventions des deux artistes — les doctrines du Cubisme dit " analytique " puis du Cubisme " hermétique ". Les natures mortes, où apparaissent fréquemment des instruments de musique, deviennent d'une remarquable monumentalité ; les objets sont énergiquement découpés en plans scintillants et durs qui suggèrent une vision simultanée de leurs divers aspects : le Violon et la cruche (1910, musée de Bâle). Dans les tableaux de 1911, les volumes, à peu près entièrement aplatis, se réduisent à une géométrie d'angles aigus et d'accents curvilignes à peine identifiables, l'emploi de touches divisées rend la surface du tableau de plus en plus vibrante et unitaire, et Braque introduit dans ses compositions des éléments peints en trompe-l'œil (faux-bois), des lettres ou des clous, à la fois dans un but décoratif et pour accentuer le caractère plan, matériel de la toile, conçue comme un tableau objet : le Portugais (1911, musée de Bâle). En septembre 1912, c'est l'innovation capitale des papiers collés qui permet à Braque de réintroduire la couleur et de " voir son indépendance par rapport à la forme " (" Entretiens avec Dora Vallier "). Les morceaux de faux-bois ou de papier journal, surfaces planes autonomes voient leur sens modifié par le dessin qui les entoure et les recouvre partiellement (un même aplat sera ainsi à la fois table et instrument de musique, Nature morte au violon, 1912, Yale university Art Gal.). Cette invention marque le passage au Cubisme " synthétique ", bien que cette dernière expression, qui définit très clairement les intentions de Juan Gris, ne doive être employée qu'avec réserve à propos de Braque. Les toiles de cette époque sont remarquables de clarté, et l'agencement en est aéré ; elles sont composées par une structure abstraite de plans simples et superposés qui suggèrent un espace sans profondeur et sur lesquels les objets sont évoqués par quelques traits d'un dessin cursif et fragmentaire (Clarinette, 1913, M. O. M. A.).

L'après-guerre, les natures mortes

Mobilisé en 1914, grièvement blessé en 1915, Braque se remet au travail en 1917 et exécute au lendemain de la guerre une œuvre essentiellement fondée sur la nature morte, conçue comme un microcosme de patience et de délectation, et où la dignité et le goût sont plus manifestes que la hardiesse et l'invention créatrice des années 1907-1914. La vision demeure cubiste, analyse les objets en éléments et en plans recomposés et resserrés ensuite en vigoureux rythmes plastiques et décoratifs, explore les possibilités de l'espace tactile, presque toujours limité par un mur, un paravent et rarement ouvert aux lointains. Le paysage apparaît parfois timidement, sous forme de marines assez massives et de barques échouées sur le sable (Falaises, 1938), souvenirs des promenades que Braque fait autour de la maison qu'il a acquise à Varengeville, près de Dieppe, en 1930. La figure humaine est, elle aussi, à peu près absente, sinon dans la belle série des Canéphores exécutées entre 1922 et 1927, qui sont une réplique probable aux géantes de Picasso et le tribut payé par Braque à l'atmosphère néo-classique de l'époque. Entre les deux guerres, Braque est en effet rapidement devenu le peintre français par excellence, héritier des vertus nationales et dépositaire de la tradition classique, dont lui-même se fera le défenseur dans les maximes du Cahier de Georges Braque : 1917-1947, publié en 1948 et 1956. À cet aspect néo-classique, on peut rattacher l'ensemble des œuvres qu'ont inspirées à Braque la poésie et l'art de la Grèce archaïque : les eaux-fortes pour la Théogonie d'Hésiode (1931), les 4 remarquables plâtres gravés à sujets mythologiques exécutés également en 1931 (Héraklès) et la plupart de ses sculptures.

   L'œuvre de Braque après 1920 est d'une remarquable cohérence stylistique, sa production se partageant entre des œuvres de petit format du genre " cabinet d'amateur " et de grandes compositions plus ambitieuses et souvent longuement élaborées. On ne peut parler d'évolution au sens propre, mais — malgré le caractère très limité du répertoire de Braque — de l'apparition de nouveaux thèmes dont l'expression est liée chaque fois à une nouvelle manière d'envisager les rapports de la ligne et du volume, de la forme et de la couleur. À la série des Guéridons et des natures mortes de 1918-1920, sombres et très riches de pâte, où souvent une grappe de raisin voisine avec un instrument de musique, succède l'ensemble des cheminées et des tables de marbre (Nature morte à la table de marbre, 1925, Paris, M. N. A. M.), traitées en de puissantes harmonies de verts, de bruns et de noirs, où l'importance principale est accordée à l'expression du volume. Les fruits, les étoffes, les pichets s'unissent dans les natures mortes en formes pleines et sensuelles, en courbes puissamment mouvementées et presque baroques. À partir de 1928, la palette tend à s'éclaircir, la matière, étendue sur un support granuleux, devient beaucoup plus fluide, moins voluptueuse (la Mandoline bleue, 1930, Saint Louis, Missouri, City Art Gal.), et Braque s'attache surtout à exprimer la liberté d'une ligne flottante et continue avec un abandon qui rappelle très précisément le Cubisme curvilinéaire de Picasso en 1923-24 (Nature morte à la pipe, musée de Bâle). En 1928-29, il peint deux versions du Guéridon (M. O. M. A. et Phillips Coll., Washington) qui témoignent de solutions originales pour concilier perspective traditionnelle et espace feuilleté issu du Cubisme. La veille de la guerre voit la réalisation de grandes synthèses ornementales vivement colorées, pleines de fantaisie et d'animation, où les objets dansent et se déplient dans un espace sans pesanteur (Nature morte à la guitare, 1934, West Palm Beach, Norton Gal. of Art). Braque s'essaie en même temps à réintroduire la figure humaine dans certaines compositions sous forme de curieuses silhouettes vues en deux parties, face et profil, correspondant à une partie d'ombre et de lumière, qui rappellent des œuvres antérieures de Picasso (le Duo, 1937, M. N. A. M.).