imagerie en Europe
On donne le nom d'" imagerie " à des feuilles volantes, imprimées d'un seul côté et illustrées d'une gravure souvent accompagnée d'un texte et peinte de couleurs vives. L'imagerie est presque toujours qualifiée de " populaire ", non pas tant parce qu'elle serait un art " fait par le peuple, pour le peuple ", mais plutôt en tant qu'objet, support de valeurs-souches, visuelles lorsqu'elles reproduisent les peintures et les sculptures des églises, les tableaux des grands peintres, et littéraires lorsqu'elles véhiculent une culture acquise par le biais du livre de colportage. Subissant les influences d'un art raffiné qui ne pouvait rester longtemps ignoré du grand public et s'en inspirant, elle a tendance à conserver un mode de reproduction traditionnel d'un usage éprouvé. Elle s'adapte sans brutalité aux exigences d'un renouvellement amené par des circonstances extérieures ; son graphisme et sa symbolique sont en harmonie avec les pays où elle apparaît et avec les coutumes de leurs habitants. L'image populaire est exécutée par des graveurs souvent anonymes selon les techniques de la gravure sur bois et sur cuivre, de la lithographie, ainsi que, plus près de nous, de la chromolithographie et du report photolithographique.
Son prix est suffisamment bas pour que tous puissent se procurer l'" image à un sou ". Sa production atteint un chiffre considérable, et sa diffusion est rapide. C'est un produit de grande consommation et il en a les défauts : qualité médiocre du papier, emploi des bois et des cuivres à des fins diverses et jusqu'à leur usure complète, couleurs appliquées sans grand souci de précision en larges touches au pochoir, au pinceau, avec des superpositions pour varier les tons. La vente des images populaires est faite par des colporteurs qui, par exemple, accrochent celles-ci sur des bâtons par des liens de cuir ou les empilent, comme dans les Pays-Bas, dans des hottes ; en Italie, les colporteurs sont suivis d'un âne ; en Allemagne, ils se groupent à plusieurs. En 1782, certains d'entre eux sont appelés tesini ; originaires de la vallée du Tessin, ils partaient parfois pour quatre ans vers la Russie d'Asie, vers l'Afrique. Les images sont vendues dans les couvents, sur les lieux de pèlerinage, dans les foires où l'on crie les titres et où l'on chante les complaintes. On en trouve en ville dans les petites boutiques groupées autour de la cathédrale Saint-Donat à Bruges, à la porte de Kiev à Moscou, au Palais de justice à Paris et, en grandes quantités, dans les rues où se groupent les fabricants et les marchands, rue Montorgueil ou rue Saint-Jacques à Paris. Il devient facile de changer une feuille pour une autre aux coloris plus frais, au sujet traité selon la mode du jour, lors de la fête votive d'un saint patron, au retour d'un pèlerinage ou pour demander une protection spéciale contre un danger connu.
L'image répond aux besoins profonds de l'homme ; elle a valeur de talisman et la magie de l'imprimé. Elle donne l'assurance d'une protection divine, le réconfort d'une présence spirituelle, le rêve des univers lointains ou imaginaires. Accrochée au mur, elle l'éclaire de ses vives couleurs ; sur le manteau de la cheminée, elle sert de support à la prière ; collée sous le battant d'un coffre, derrière la porte d'une armoire, sur la porte des étables, elle protège les biens, elle écarte les maléfices. Feuille de souhait du jour de l'an, elle jalonne les jours fastes, elle donne une réalité aux événements historiques, aux princes qui les dirigent ; elle actualise les catastrophes, les faisant plus proches, plus terrifiantes. Elle confère à la vie quotidienne, en la peignant sous de séduisantes couleurs, une dignité qui la rend supportable. Elle dénonce avec humour et souvent avec férocité les injustices et les vices de ceux qui les subissent et qui en souffrent. L'imagerie, surtout lorsqu'elle traite de sujets profanes, est une littérature murale. Elle est faite pour être lue par les yeux, le texte, aide-mémoire de ceux qui savent lire, n'étant imprimé que pour renforcer l'impression ressentie à la vue de l'image.
Les manifestations de l'art de l'image sont apparues presque simultanément dans la plupart des pays d'Occident. Partout où existe le papier, l'image se manifeste. Chaque pays a la sienne, qui, des origines à 1900, reprend les mêmes thèmes, en variant les détails de costumes et de décors. Les images voyagent, leurs graveurs aussi ; il se crée un ensemble de courants et d'influences dont seuls les effets sont connus, les mobiles et les conditions étant parfois difficilement perceptibles. Ces courants sont très sensibles dans les pays où l'imagerie a connu un succès important et durable. L'équilibre s'y fait constamment entre les thèmes et les modes d'expression intemporels et universels. Ce mélange très complexe varie selon les pays et les périodes.
Allemagne
Les pays de l'Europe occidentale de langue germanique ont, au XVe s., une place essentielle dans l'histoire de l'imagerie en Europe. Le perfectionnement des techniques graphiques favorise ce moyen d'expression populaire et son expansion dans les pays environnants. Nuremberg, Augsbourg, Mayence sont des centres où les images sont fabriquées en quantité si considérable que l'on ne peut en comparer l'importance qu'à celle, actuelle, des mass media. Le premier moulin à papier est mis en service à Nuremberg en 1390 ; il y a des " peintres d'images et de cartes " à Ulm en 1420, à Augsbourg en 1428. Plus de la moitié des images conservées sont des images religieuses. L'Ecce homo de la messe du pape Grégoire, la plus ancienne image sans doute, daterait de 1400, et un Saint Christophe de la chartreuse de Buxheim, conservé à Manchester, de 1423. Des scènes de la vie du Christ, de la Passion, de la vie de la Vierge, des Vierges de majesté, des Vierges à l'Enfant, les saintes honorées dans les lieux de pèlerinage, Saint Landolin en Brisgau, Sainte Madeleine sont représentés pendant la seconde moitié du XVe s. On peut considérer aussi comme des images religieuses les souhaits de nouvel an : Enfant Jésus à la hotte pour 1475, Ein seligs News Jaer avec interprétation du Notre Père de 1479 par Hans Paur et des Speculum humanae salvationis représentant une main ouverte. On imprime aussi des feuilles d'indulgences, où le texte occupe une plus grande place que la gravure ; elles accompagnent les reliques et sont vendues par les confréries pour la bonne et la mauvaise prière contre le blasphème, pour obtenir la bonne mort et pour la rémission des péchés. C'est contre l'excès de cette vente d'indulgences que Luther part en guerre.
La Réforme engendre une littérature nouvelle et un nouveau style d'images. La représentation de la Vierge et des saints disparaît en grande partie. Elle est remplacée par celle de sujets figurant les affrontements idéologiques, les péripéties politiques, les satires sociales. Les controverses confessionnelles utilisent les thèmes universels du Monde à l'envers ou du Mât de cocagne ; elles inventent d'autres thèmes : pape et moines déguisés en loups, agneaux protestants et Luther en prière, trafic des indulgences, révolte des paysans. La lutte s'est engagée à Nuremberg dès 1523, animée par le poète-cordonnier Hans Sachs, et c'est dans cette ville que se fait une grande partie de l'impression des images polémiques. En 1570, on y compte 10 imprimeurs, 5 tailleurs d'images, 17 graveurs en lettres. Augsbourg, Strasbourg, Mulhausen-en-Thuringe sont également des centres d'impression fort importants. Les feuilles sont de grand format avec un titre, une gravure sur bois et un texte sur plusieurs colonnes.
Au XVIe s., l'imagerie traduit les terreurs du peuple allemand. Elle semble annoncer la fin du monde : figuration du diable, apparition de signes dans le ciel et de prodiges, naissances d'êtres difformes, sorcellerie, procès de sorcières brûlées dans le Har en 1555, loups attaquant un village (1556), guerres contre des ennemis cruels, supplices et répressions sanglantes. La restauration du culte catholique après le concile de Trente, malgré les bouleversements de la guerre de Trente Ans, ramène le calme ainsi qu'une certaine stagnation politique et confessionnelle qui favorise les influences religieuses d'Anvers et artistiques de la France. L'épanouissement de l'art baroque transforme l'imagerie allemande et lui confère une originalité qu'elle conservera jusqu'à la fin du XVIIIe s. L'emploi massif de la gravure sur cuivre, surtout à Nuremberg, et les conditions commerciales de production changent le goût du public, charmé par le renouveau des thèmes et des moyens techniques employés pour exprimer ceux-ci. Paulus Fürst (1605-1666) est alors le plus grand marchand et le meilleur éditeur de feuilles volantes. Son catalogue, qui nous est parvenu incomplet, comporte 369 numéros, dont 90 sont à sujets religieux ; y figurent aussi en bonne place des allégories et des proverbes : les Âges de la vie, le Degré des âges. En 1639, Fürst a un dépôt permanent à la foire de Leipzig ; en 1654, il se rend aux foires de Francfort, de Vienne, de Linz, de Graz. Christophe Weigel (1654-1725), lui aussi de Nuremberg, publie des séries historiques, des costumes, des images de dévotion.
Dans le même temps, la gravure sur bois traditionnelle se maintient à Augsbourg, où, en 1648, on recense 37 tailleurs d'images et graveurs de lettres ainsi que 3 imprimeurs : ce sont Abraham Bach et son fils († 1702), à qui l'on doit de nombreuses allégories, comme le Degré des âges, des images de piété et qui vend aussi des images de dévotion importées d'Anvers par les Jésuites, et Matthaüs Schmid et Johann-Philipp Steuder (1650-1732), qui n'éditent guère que des sujets religieux, inspirés des modèles du XVIe s. Leurs bois gravés sont archaïsants et de tons vifs et harmonieux. Les tailles-douces coloriées charment les acheteurs aisés des grandes villes ; certaines de ces feuilles, collées et entrelacées à des motifs peints, ornent des coffres dits " de cavaliers " et des lits. Martin Engelbrecht est le plus connu en France, car, s'il importe en Allemagne des tailles-douces de la rue Saint-Jacques et des vues d'optique, il exporte ses propres images, qui représentent des paysans, des citadins en costumes régionaux allemands avec des légendes en français.
Dans des villes sans tradition d'impression populaire, on voit s'ouvrir également des ateliers d'où sortent des feuilles curieuses, d'une facture simple et d'une exécution malhabile, qui sont illustrées de copies de bois ou de cuivre, parfois même de copies empruntées à d'autres copies. Ces ateliers sont exploités petitement par d'anciens coloristes au pochoir ou par des graveurs de lettres que la mode du cuivre colorié au pinceau a laissés sans travail.
Cette époque est dominée par Albrecht Schmid (1667-1744), qui édite à Augsbourg un nombre considérable d'images, d'une fort belle facture. Il se sert indifféremment des cuivres et des bois ; une suite de bois représentant des ogres, des personnages de bouffons est remarquable. Les séries religieuses à bordure fleurie, destinées aux intérieurs campagnards, sont plaisantes.
Il y a cassure nette dans les dernières années du XVIIIe s. Le changement de style, amené par les changements politiques et économiques, est le fait de la Révolution française et des campagnes napoléoniennes. L'esprit qui anime la production de l'imagerie populaire est conditionné par la représentation militaire et par l'offre énorme de livres de bas niveau d'origine littéraire, qui ont besoin d'être soutenus par une illustration dont on se sert également pour composer des images. De nouveaux lieux de production apparaissent. Certes, Nuremberg est toujours un grand centre, avec Campe, qui, en 1825, édite un catalogue de 1 115 numéros de gravures sur demi-feuille, eaux-fortes coloriées à la main. C'est une imagerie faite pour les enfants que vend Endter à la foire aux jouets de Nuremberg. À Vienne, Hieronymus Löschenkohl copie les modèles en bois d'Augsbourg en les transposant sur cuivre, et la lithographie est utilisée dès 1819 par Matthias Trentsensky pour des images enfantines d'excellente qualité. L'imagerie allemande du XIXe s., après avoir offert des bergeries, les cris de la rue, des militaires et des vues de bataille, se tourne résolument vers l'imagerie enfantine. La firme installée à Neuruppin par Johann Bernhard Kühn en deviendra le principal centre de 1775 à la Première Guerre mondiale. Tous les sujets, toutes les formes, toutes les techniques sont employés sans autre but que celui de vendre le plus possible. Cet objectif commercial va animer l'ensemble de l'imagerie allemande de la fin du XIXe s. et du début du XXe. Seul Trentsensky, à Vienne, reste fidèle à la lithographie ; on lui doit des jeux et des théâtres de papier pour la jeunesse de fort bonne qualité. À cette imagerie enfantine se joignent une imagerie d'ornementation des salons, imprimée en chromolithographie, et une imagerie occasionnelle d'information, qui imite, comme elle le peut, les journaux et qui est illustrée de gravure sur bois debout. Caspar Braun (1807-1877), Friedrich Schneider (1815-1864) et leurs successeurs éditent à Munich de 1849 à 1898 50 volumes annuels, les Müncher Bilderbogen, contenant 1 200 feuilles en noir et en couleur, qui sont des histoires sérieuses ou amusantes avec plusieurs rangées d'illustrations dessinées par des artistes connus. J. F. Richter fait paraître les Hamburger Bilderbogen (1866-1870), et Gustav Weise les Deutsche Bilderbogen pendant les mêmes années. À Francfort et à Dresde, des sociétés industrielles financent des imprimeries en couleur où triomphera après 1880 la chromolithographie. Ces Bilderbogen vont disparaître pendant la Première Guerre mondiale avec les images de batailles et de militaires du Neue Bilderbogen, qui sont éditées à Vienne par A. Berger, et des images de Robrahn, éditées à Magdebourg.