Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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Manet (Édouard)

Peintre français (Paris 1832  – id. 1883).

Il est le fils d'Auguste Manet, chef du personnel au ministère de la Justice, et d'Eugénie Désirée Fournier, fille d'un diplomate et filleule du maréchal Bernadotte. C'est un enfant de la haute bourgeoisie, distinguée, cultivée, mais aussi conservatrice. Il étudie avec nonchalance et, très respectueusement, se heurte aux idées de son père, qui veut le voir magistrat, puis qui accepte qu'il entre dans la marine ; mais, en 1848, il échoue au concours du Borda. Le 9 décembre, il s'embarque comme pilotin sur le transport " Le Havre-et-Guadeloupe " et, à son retour, il échoue une seconde fois au concours du Borda. Il s'inscrit alors dans l'atelier de Thomas Couture, assez bon pédagogue, mais contre l'enseignement de qui il se dresse. Son condisciple et ami Antonin Proust a rapporté clairement ce que le jeune Manet cherchait en peinture : " Pour un peu, écrit-il, il aurait supprimé les demi-teintes. Le passage immédiat de l'ombre à la lumière était sa constante recherche. Chez Titien, les ombres lumineuses l'enthousiasmaient. Les primitifs l'affolaient. " De son côté, Manet affirmait : " Il n'y a qu'une chose de vraie : faire du premier coup ce que l'on voit ", et il ajoutait : " J'ai horreur de ce qui est inutile. La cuisine de la peinture nous a pervertis. Comment s'en débarrasser ? Qui nous rendra le simple et le clair, qui nous délivrera du tarabiscotage ? "

   Désespérant de l'enseignement qui lui est prodigué, Manet se forme au Louvre, où il copie Titien et Velázquez. En 1855, il rend visite à Delacroix pour lui demander l'autorisation de copier au musée du Luxembourg Dante et Virgile aux Enfers (Metropolitan Museum et musée de Lyon). Il voyage également à La Haye et à Florence pour peindre d'après Rembrandt et Titien. Ses copies sont déjà des transpositions où il s'applique à définir les structures sans s'attarder à des nuances inutiles. En 1859, avec ses amis, il tente d'exposer au Salon, qui a lieu tous les deux ans seulement. Malgré le suffrage de Delacroix, son Buveur d'absinthe (Copenhague, N. C. G.), qu'il présente, est refusé. Son envoi de 1861, composé du Portrait de ses parents (Paris, musée d'Orsay) et d'une autre toile, le Chanteur espagnol (Metropolitan Museum), est bien accueilli et remporte même la mention " honorable ". Son amitié avec Baudelaire, rencontré deux ans plus tôt chez un ami commun, devient très étroite. En fait, toute l'œuvre de l'artiste durant ces années s'inscrit dans l'optique baudelairienne : lorsque le poète proclame la modernité de la vision et la substitution des éléments du présent aux conventions de la fiction, il trouve aussitôt un écho chez Manet. " Celui-là serait le peintre, le vrai peintre, avait écrit Baudelaire, qui saurait nous faire voir combien nous sommes grands dans nos cravates et nos bottes vernies. "

   La Musique aux Tuileries, peinte en 1862 (Londres, N. G.), répond à cette injonction. Malgré la liberté du traitement, on est frappé par les verticales pressées les unes contre les autres, par la répartition animée des cylindres, les chapeaux hauts de forme groupés autour des corolles légèrement épanouies des vêtements féminins, peints en larges aplats clairs rehaussés de quelques notes tranchantes de couleurs. Manet est parvenu à donner ici une vision d'ensemble d'une société dont l'apparence concrète est traduite par une vision pure. Dans cette œuvre apparaissent pour la première fois une certaine simultanéité des sensations (au lieu d'une hiérarchie de composition) et, dans cette soumission à leur puissance, de nécessaires déformations. Cette toile peut être considérée, plus justement que le Déjeuner sur l'herbe (1863, refusé au Salon ; Paris, musée d'Orsay) ou qu'Olympia (1863, id.), comme la première œuvre de la peinture moderne. Cette manière de voir soulèvera chaque fois qu'elle se manifestera un violent scandale. Mais les jeunes peintres, écœurés de l'art officiel, y trouveront les signes du renouvellement qu'ils attendent. Manet exercera sur eux pendant plusieurs années son ascendant et sera malgré lui le porte-drapeau de la révolution qui se prépare.

   Il peint alors des compositions fort différentes : sujets espagnols (Lola de Valence, 1862, Paris, musée d'Orsay ; le Ballet espagnol, 1863, Washington, Phillips Coll. ; le Torero mort, 1864, Washington N. G.), marines (Combat des navires Kearsage et Alabama, 1864, Philadelphie, Museum of Art), scènes de plein air (Courses à Longchamp, 1864, Chicago, Art Inst.), tableau d'histoire contemporaine (l'Exécution de Maximilien, 1867, musée de Mannheim ; fragments à Londres, N. G.), natures mortes (Paris, musée d'Orsay ; Chicago, Art Inst.) et même sujets religieux (le Christ mort, 1864, Metropolitan Museum).

   En 1866, par son refus du Fifre (Paris, musée d'Orsay) et de l'Acteur tragique (Washington, N. G.), le jury manifeste à l'égard de Manet une injustice flagrante. Zola, dans les articles retentissants de l'Événement, prend sa défense, mais doit, sous la pression des abonnés, cesser sa publication. Un an plus tard, avant l'ouverture de l'Exposition universelle, il publie une longue étude sur son ami. Pour lui, le mérite de Manet est de peindre par masses, d'avoir découvert la tache, de partir toujours d'une note plus claire que celle qui existe dans la nature. De 1868 datent le Déjeuner (Munich, Neue Pin.) et le Balcon (Paris, musée d'Orsay), où figure la belle-sœur de Manet, Berthe Morisot, dont celui-ci fera plusieurs fois le portrait (musée de Cleveland ; musée de Providence, Rhode Island ; Berne, coll. Hahnloser).

   Si Manet fréquente les jeunes peintres animés d'autres convictions, il refuse pourtant de s'engager ouvertement avec eux. La toile le Bon Bock (Philadelphie, Museum of Art), qu'il expose au Salon de 1873 et qui reçoit un accueil favorable, paraît à tous une concession regrettable. Car, dès 1872, Manet s'était rapproché de Monet et de Renoir. Il avait même tenté de peindre en plein air en représentant Monet dans sa barque au bord de la Seine (1874, Munich, Neue Pin.) et avait magnifiquement réussi. Ces rencontres l'avaient néanmoins incité à éclaircir sa palette. C'est l'époque où il peint certains de ses chefs-d'œuvre, les plus lumineux : le Chemin de fer (1873, Washington, N. G.), En bateau (1874, Metropolitan Museum), Argenteuil (1874, musée de Tournai). Mais, en 1874, lorsque ses amis décident d'exposer ensemble, Manet se récuse, laissant à Monet la place de chef de file, qu'il a tenue pendant longtemps. Davantage marqué par le naturalisme de Zola (dont il a peint le Portrait en 1868, Paris, musée d'Orsay) et de Maupassant, il réalise une suite de toiles : Nana (1877, musée de Hambourg), la Serveuse de bocks (1879, Londres, N. G.), Chez le père Lathuille (1879, musée de Tournai), Dans la serre (1879, Berlin, N. G.), le Bar des Folies-Bergère (1881, Londres, Courtauld Inst.), où il pousse toujours plus loin l'expression de la sensation visuelle. On peut parler, à propos de certaines d'entre elles, d'abolition du sujet, tant est géniale l'improvisation avec laquelle sont traités les visages et l'atmosphère. Dans le Bar des Folies-Bergère, exposé au Salon de 1882, il parvient à synthétiser, non sans mélancolie, le charme de la vie montmartroise, à laquelle il fut longtemps attaché. En effet, à cette époque, il est immobilisé à Rueil, malade, peignant son jardin (Berlin, N. G.) ou des natures mortes de fleurs, recevant la visite de belles amies, dont il fait au pastel des portraits pleins d'acuité (Paris, musée d'Orsay ; musée de Dijon ; Washington, N. G.). Après avoir subi une opération, il meurt le 30 avril 1883. À la fin de sa vie, Manet a été lié d'une étroite amitié avec Mallarmé. Il a exécuté pour lui diverses illustrations, notamment pour sa traduction du Corbeau de Poe et pour un de ses poèmes les plus importants, l'Après-midi d'un faune, ainsi que son Portrait (1876, Paris, musée d'Orsay), qui, malgré ses petites dimensions, compte parmi ses chefs-d'œuvre. Une grande exposition s'est tenue à Paris et à New York (1983) pour le centenaire de sa mort.