Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
H

huile (peinture à l')

Éléments constitutifs

Il y a des siècles qu'on peint " à l'huile ", bien que l'expression soit employée surtout pour désigner les techniques utilisées à partir du XVe s. en Europe, où, depuis, elles sont devenues le symbole de la peinture des Temps modernes. Dans des conditions obscures, elles ont alors pris lentement le relais des peintures dites " a tempera ", amenant avec elles l'usage d'un support nouveau — la toile tendue sur châssis — plutôt que le panneau bois et propageant une vision nouvelle, l'" espace pictural ", largement exploité par la Renaissance.

   Cette peinture est constituée de couleurs broyées et agglutinées avec de l'huile siccative, mais généralement véhiculées (ou même diluées) grâce à une essence volatile. Bien souvent, l'huile est additionnée de résines et de produits siccatifs complémentaires. On peut l'utiliser sur n'importe quel support, à condition que celui-ci ait été au préalable recouvert d'un enduit qui empêche les contacts détériorants qui pourraient se produire entre la couche picturale et le support.

   Longtemps fabriquée en atelier, la matière picturale (pigments et huile) était autrefois transportée dans des vessies. Depuis le début du XIXe s., l'industrie des couleurs utilise des tubes pliables en étain.

La couche picturale

Constituée de pigments en suspension, elle peut prendre des aspects bien différents selon les conditions de séchage du feuil (pellicule solidifiée avec du liant), la texture et la structure du support, comme celles de l'enduit. Le rapport pigments-liant-support et enduits constitue le fondement de cette technique, dont les aspects varient selon la technique de chaque peintre. Celle d'un Van Eyck était très différente de celle d'un Rembrandt ou d'un Matisse, par exemple ; et l'aspect final de la couche picturale, qui influe fortement sur l'effet des couleurs, résulte en effet beaucoup de la manière dont on en use, de la structure qu'on lui donne. Ce qui demeure un souci essentiel du peintre, d'autant qu'elle conditionne également la durée de l'œuvre.

   La qualité et la beauté finales de la peinture dépendent pour beaucoup de la condition selon laquelle les pigments seront enrobés, liés et protégés ainsi que du jeu réciproque de leur indice de réfraction à la lumière par rapport à celui du milieu chimique constitué.

   La peinture à l'huile a largement profité de l'enrichissement constant du nombre des colorants. Ceux-ci sont d'origines diverses : minérale, végétale, chimique. Plus ou moins couvrants ou opaques, comme la plupart des terres, ils peuvent être constitués par des teintures végétales, qui ont souvent été fixées avec des laques, donnant des couleurs parfois translucides. S'y ajoute la foule des pigments obtenus artificiellement, fabriqués déjà dès l'Antiquité et que la chimie moderne fournit en quantité encore bien plus grande, plus résistants à la lumière que la plupart des couleurs de synthèse fabriquées au début du XIXe s. (telles certaines couleurs aux noms poétiques : mauves de Mahogany, vert Victoria, rouge de Toscane), qui avaient l'inconvénient de passer assez vite. Le comportement d'une couleur dépend beaucoup du rapport de la texture chimique avec celle de la couleur voisine. Dans les mélanges, certaines teintes peuvent en détruire d'autres ou s'atténuer mutuellement (ainsi les jaunes de chrome avec les rouges de cadmium et l'outremer). De ce fait, bien des tableaux ne nous apparaissent plus avec leurs couleurs d'origine. Le broyage importe aussi ; il a été très amélioré par les machines modernes.

   Mais c'est avant tout le liant qui joue un rôle déterminant. Base des secrets des anciens peintres, ce liquide a, de tout temps, été le souci de l'artiste. De lui dépendent brillance, transparence, matité, embu, formes des empâtements, effets des glacis et, naturellement, craquelures. Tout commence avec l'huile choisie, le traitement qu'on lui fait subir, les mélanges qui lui sont imposés, sa siccativité, son degré d'épaississement, d'oxydation et de jaunissement. En cours de séchage, il se constitue en effet à la surface de l'huile une pellicule jaunâtre de linoxyne, par fixation de la vapeur d'eau.

   Selon la capacité d'absorption de l'enduit sous-jacent, il peut également se produire un phénomène de rétraction avec écoulement de l'huile dans l'enduit ; d'où un assèchement de la surface, qui perd de son brillant ; c'est l'embu, qui affecte certaines parties du tableau. Il faut alors rétablir l'équilibre avec un vernis à retouches, qui, malgré tout, introduit une certaine hétérogénéité.

   Pour assurer à la couche picturale l'homogénéité nécessaire, on a, depuis longtemps, recours à l'huile cuite, qui, grâce à la formation de grosses molécules (par polymérisation), constitue un milieu plus stable, plus translucide, à condition de s'en servir avec un diluant très fluide. De même, en laissant " réduire " au soleil, les Italiens arrivaient à la débarrasser des impuretés qu'elle contenait. C'est à partir de ces huiles cuites qu'on préparait des vernis, souvent par addition d'une résine ; ainsi pouvait-on se passer de vernis de surface.

   Cette question du vernis protecteur et finalement du " vernis à peindre " a donné lieu à de nombreuses recettes, notamment celles qui sont rapportées par Mrs Merrifield dans ses Original Treatises on the Arts of Painting (1899 ; rééditées en 1967). Par vernis, il faut entendre, à proprement parler, tout produit contenant en dissolution une matière colloïdale plastique du type de la résine naturelle, extraite des arbres, ou synthétique (ou toute autre matière colloïdale hyophile).

   Cette matière doit être associée soit à une huile, soit à des solvants organiques ou à des alcools. Parmi les plus anciennes résines connues d'origine naturelle, mentionnons, à côté de l'ensemble colophane, le groupe exotique des copals, avec la résine Dammar, la sandaraque, la gomme-laque, dont l'usage est attesté dès le Moyen Âge. Aujourd'hui, la plupart des résines fabriquées par synthèse sont des matières plastiques qui peuvent devenir plus ou moins transparentes et se révèlent particulièrement utiles pour obtenir des vernis-émaux. Elles sont très résistantes, parfois trop, ce qui pose de singuliers problèmes aux restaurateurs.

Supports et enduits

Le comportement de l'ensemble de ces matériaux dépend pour beaucoup du choix du support. Support et matière picturale doivent être choisis l'un en fonction de l'autre. Actuellement encore, on se sert essentiellement de toiles, tendues sur châssis ou, plus rarement, marouflées (c'est-à-dire collées contre un mur ou un support indépendant). Mais la toile demeure le plus mauvais des supports, étant très fragile à manier, très sensible aux variations de température et à l'action de toutes sortes d'agents destructeurs. Elle demeure malgré tout le support le plus commode et le plus léger ; elle offre au métier du peintre une très grande variété de " grain " de tissage, qui influence l'inflexion même de son pinceau. L'usage des bois, largement utilisés (chêne, pin, peuplier) jusqu'au XVIIe s., est devenu très rare : ceux-ci présentent certains inconvénients, proches de ceux qui sont présentés par la toile. Autrefois, la fabrication de panneaux de bois avec des lattes jointes posait déjà de gros problèmes. De plus, le bois se gonfle. Par contre, les agglomérés actuels sont en partie exempts de ces inconvénients, sauf sur une trop grande surface. Il reste le papier, souvent marouflé ensuite sur une toile, excellent (Rubens en usait, Corot également), et le mur, où la durée de conservation dépend de l'état d'humidité où il se trouve. Mais, dans le premier cas, il faut éviter la brûlure de l'huile avec un badigeon de colle ou de vernis ; dans le second, le rôle de l'enduit sera déterminant.

   Cependant, un support par lui-même ne signifie rien sans son enduit, bien que Degas, par exemple, ait fait des essais sur support brut. C'est lui qui protège et le support et la couche picturale dans leurs rapports réciproques. Les restaurateurs savent combien l'état de l'enduit décide de la facilité ou de la difficulté d'une transposition quand un support est dangereusement usagé. Notons que la peinture à l'huile a été pratiquée sur des enduits faits pour la peinture " a tempera ". Il s'agissait alors d'enduits de plâtre et de colle (type " gesso duro ") à plusieurs couches, comportant parfois, noyée à l'intérieur, une toile fine, assurant une certaine stabilité à l'ensemble du panneau, fait souvent de lamelles jointes et, par conséquent, susceptibles d'écartement. Ce plâtre était soigneusement poncé. Il était purifié et souvent recouvert d'une couche de " tempera " (et, par la suite, de vernis). Il était destiné à une peinture lentement élaborée par surfaces colorées aux tons très purs, qui jouaient avec la blancheur sous-jacente de cet enduit. En revanche, il se révéla dangereux sur les toiles, car trop cassant. On lui préfère des préparations à base de colle, à laquelle on mêle, depuis le XIXe s., des éléments à base de blanc de plomb ou de zinc, mais peu couvrant. Plusieurs couches sont nécessaires, à moins qu'on n'y ajoute une couche d'impression finale, souvent colorée, avec des terres avant le XIXe s., de manière à préparer une teinte de départ en fonction des tons envisagés. Cette " imprimatura ", comme disent les Italiens, constitue donc déjà un certain " engagement " pictural, selon son épaisseur par rapport au grain de la toile et selon sa couleur. Elle peut être préparée " a tempera " ou à l'huile, ou recevoir une couche de vernis.

   Depuis quelques années, les peintures cellulosiques ont permis de donner à la toile des enduits qui la garantissent contre le craquèlement dû aux erreurs de pliage ; les émulsions acryliques supportent également l'emploi de l'huile par-dessus.