Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
C

couleurs complémentaires

Couleurs dont le mélange produit la sensation de blanc. Dans la pratique, le mélange pigmentaire de deux couleurs complémentaires (couleur primaire et couleur binaire) ne donne pas du blanc, mais un ton sale ou rompu.

   Les 3 couleurs génératrices, ou fondamentales, du spectre solaire, le bleu, le jaune et le rouge, ont pour complémentaires les couleurs composées, ou binaires, l'orangé, le violet et le vert résultant du mélange 2 à 2 des couleurs fondamentales. Le mélange bleu + jaune donne le vert, complémentaire du rouge ; le mélange bleu + rouge donne le violet, complémentaire du jaune ; le mélange rouge + jaune donne l'orangé, complémentaire du bleu.

   Une couleur est exaltée par la proximité optique de sa complémentaire. Deux couleurs quelconques juxtaposées s'enrichissent chacune de la complémentaire de l'autre : si les deux couleurs rapprochées sont des couleurs chaudes (un rouge et un orangé par exemple), la coloration apportée par leur complémentaire réciproque les refroidit.

couleurs primaires

On appelle ainsi les 3 couleurs fondamentales, ou génératrices, du spectre solaire : le bleu, le rouge et le jaune.

   Ces 3 couleurs, mélangées entre elles, donnent des couleurs dites " binaires ", " secondaires " ou " mixtes " : le vert, le violet et l'orangé. Le mélange bleu et jaune donne le vert, couleur complémentaire du rouge ; le mélange bleu et rouge donne le violet, complémentaire du jaune ; le mélange rouge et jaune donne l'orangé, complémentaire du bleu.

   D'après la loi, formulée par Chevreul, du " contraste simultané " des couleurs, 2 couleurs complémentaires (vert et rouge par exemple) ou 2 complémentaires binaires (violet et vert) juxtaposées deviennent optiquement plus intenses, alors que, mélangées sur la palette, elles se neutralisent, provoquant l'achromatisme

Courbet (Gustave)

Peintre français (Ornans 1819  – La Tour de Peilz, Suisse, 1877).

Courbet naquit dans une famille d'agriculteurs aisés de Franche-Comté, et toujours il restera fidèle à sa province natale que l'on ne peut dissocier de ce qui constitua sa personnalité d'homme et d'artiste. Après une formation rudimentaire reçue à l'école de dessin de Besançon, il partit pour Paris, en 1839, afin de se consacrer à la peinture. Dans l'atelier de l'académique Steuben, il apprit les bases solides de son métier, bien que, par forfanterie, il ait, plus tard, renié cet enseignement. Il est vrai qu'il trouva sa plus concrète leçon auprès des maîtres admirés au Louvre, qu'il copia. Il s'adressa à ceux qui l'attiraient par l'éclat de leurs couleurs et la richesse de leur pâte : Véronèse et Titien — il copia l'Homme au gant —, Velázquez et Zurbaran. Un des premiers, il s'imprégna de l'exemple des grands Espagnols réunis au Louvre par Louis-Philippe, et dispersés après 1848, ainsi que des Hollandais qu'il connaîtra mieux plus tard. Dès ses débuts, il traite de genres divers : paysages de Franche-Comté ou de Fontainebleau, compositions historiques (Loth et ses filles, 1841, Japon, coll. part.), ou allégoriques (la Nuit de Walpurgis (v. 1841, Salon de 1848, détruit par le peintre), portraits de ses amis (Paul Ansout, 1842, musée de Dieppe) ou de ses proches (sa sœur Juliette, 1844, Paris, Petit Palais), mais sa meilleure interprétation du visage humain réside dans ses Autoportraits, dont très tôt il entreprit la prestigieuse série qui illustre les quinze premières années de sa carrière. Il apparut au Salon de 1844 avec l'un d'eux, l'Homme au chien (1842, Paris, Petit Palais). Cette propension à se prendre pour modèle découlait, plus que d'un naïf narcissisme, d'un lyrisme tout romantique. En se montrant sous des déguisements vestimentaires ou moraux dans des expressions ressenties ou affectées, il outrepassait une simple recherche de soi-même. Citons parmi les plus marquants : le Désespéré (1843, Paris, coll. part.), les Amants dans la campagne (1844, musée de Lyon), l'Homme à la ceinture de cuir (1845, Paris, musée d'Orsay), le Violoncelliste (1847, Stockholm, Nationalmuseum), l'Homme à la pipe (1849 ?, musée de Montpellier), l'Homme blessé (1850-1854, Paris, musée d'Orsay).

   En 1846, Courbet affermit son inclination pour les peintres hollandais, déjà étudiés au Louvre, au cours d'un voyage aux Pays-Bas. Il découvrit dans les vastes toiles de Rembrandt et de Hals un exemple à suivre pour atteindre à son idéal de réalisme. C'est le métier de ceux-ci qui lui inspira sa première œuvre de maturité, Une après-dînée à Ornans (1848, acheté au Salon de 1849 pour être envoyé au musée de Lille). On perçoit dans ce tableau, de grandes dimensions, le souffle épique mis au service de la représentation d'une réalité quotidienne qui anima les deux œuvres capitales entreprises ensuite : les Casseurs de pierres (1849, musée de Dresde, détruit pendant la Seconde Guerre mondiale) et l'immense composition d'Un enterrement à Ornans (Paris, musée d'Orsay). Celui-ci fut l'événement pictural du Salon de 1850 ; en déchaînant la critique, il inaugura les querelles que le peintre suscitera dorénavant. Ses admirateurs eux-mêmes, tel Delacroix, regrettèrent qu'il galvaudât sa puissance créatrice pour se faire l'interprète de la vulgarité. Aujourd'hui, nous comprenons que Courbet sut exalter la médiocrité de la vie banale en insufflant à des personnages qui lui étaient connus (chacun peut être nommé), à une scène villageoise et familière, la grandeur et la monumentalité d'une peinture d'histoire. Un caractère analogue empreint le Retour de la foire des paysans de Flagey (1850, musée de Besançon), les Cribleuses (1854, musée de Nantes) et la vaste composition des Pompiers courant à un incendie (1850, Paris, Petit Palais, inachevé), véritable réponse moderne à la Ronde de nuit de Rembrandt. Le public encore accoutumé au classicisme et au " beau idéal " s'offusquait du prosaïsme de ses sujets, il réprouvait la laideur de ses modèles, blâmant par exemple l'inélégance des sœurs du peintre représentées dans un magistral paysage d'Ornans (les Demoiselles de village, 1852, Metropolitan Museum), criant à l'indécence devant le réalisme des académies, celle des Lutteurs (1853, Budapest, Szépmûvészeti Muzeum), et surtout celle des Baigneuses (1853, musée de Montpellier) qui provoquèrent un esclandre au Salon.

   Cependant, on constate une évolution dans l'art de Courbet à partir de 1854. Il était alors invité à Montpellier par le collectionneur-mécène Bruyas, immortalisé dans le fameux tableau de la Rencontre, également intitulé la Fortune saluant le génie, ou encore Bonjour, monsieur Courbet !(1854, musée de Montpellier). Était-ce à la faveur de la luminosité méditerranéenne ou au contact de protecteurs humanistes et raffinés, comme Alfred Bruyas ou, un peu plus tard, Étienne Baudry, qu'eut lieu ce revirement ? Courbet nuança sa palette par l'intervention de demi-teintes, évita les effets contrastés en adoucissant sa facture où apparurent des glacis dans une pâte plus fluide, abandonna les thèmes paysans et dénonça davantage l'influence des Vénitiens que celle des Hollandais. Cette transformation se fait jour dans l'immense toile de l'Atelier du peintre, paradoxalement sous-titrée Allégorie réelle (1855, Paris, musée d'Orsay), par laquelle Courbet réalisa un programme ambitieux, celui de symboliser ses idéaux et ses réprobations en une composition aux intentions historiques et philosophiques. Il s'imposa alors comme le chef de file de l'école nouvelle en promulguant son Manifeste du réalisme à l'occasion de l'" Exhibition de quarante tableaux " de son œuvre en un baraquement édifié à proximité de l'Exposition universelle de 1855, qui avait repoussé Un enterrement à Ornans. Pour la première fois s'ouvrait une exposition consacrée à l'œuvre d'un artiste vivant ; il renouvela cette expérience en 1867. Désormais, son réalisme servit souvent l'expression d'un onirisme poétique. Les opulentes Demoiselles des bords de la Seine (1856, Paris, Petit Palais) illustrent cette heureuse alliance qui se retrouve dans des portraits (la Dame de Francfort, 1958, musée de Cologne) et dans les voluptueux tableaux de nu, tantôt œuvres érotiques intimes (le Repos ; l'Origine du monde, 1866, Paris, Orsay), tantôt compositions aux figures de grandeur naturelle, le Réveil (1866, Musée de Berne), le Sommeil, dit encore les Amies (1866, Paris, Petit Palais), la Femme au perroquet (1866, Metropolitan Museum).

   Avec une égale maestria, Courbet aborda tous les genres, sollicité par une clientèle devenu nombreuse. Auteur de multiples portraits, tantôt traités sur un mode traditionnel : Bruyas (1853, musée de Montpellier), Madame Cuoq (1857, Metropolitan Museum), tantôt images d'intimité, Bruyas malade (1854, musée de Montpellier), Madame Borreau (1863, musée de Cleveland, É.-U.), il y atteignit le sommet de l'art avec le portrait de Proudhon et ses enfants (1865, Paris, Petit Palais), tout en ne méprisant pas un aspect secondaire de ce genre, celui de la figure de fantaisie, tant recherché alors par les amateurs (la Femme au chat, 1864, musée de Worcester, É.-U. ; la Femme aux bijoux, 1867, musée de Caen), d'une suggestive sensualité ou, au contraire, d'un charme juvénile, tel le Treillis (1863, musée de Toledo, É.-U.), qui juxtapose la grâce d'une jeune fille à un luxuriant bouquet. En effet, le peintre exécuta avec un œil attentif bien des natures mortes de fruits et de fleurs (Fleurs dans un panier, 1863, musée de Glasgow). Cependant, la part la plus féconde de son œuvre réside dans les paysages. Dans un siècle aussi riche en interprètes de la nature, il fut un des meilleurs, inspiré par les sites campagnards (la Vallée de la Loue, 1849, musée de Strasbourg) ou fluviaux (la Source de la Loue, 1864, Hambourg, Kunsthalle) ou forestiers (la Remise de chevreuils, Salon de 1866, Paris, musée d'Orsay) ou hivernaux (" Voyez la neige comme elle est bleue ", s'exclamait-il : les Braconniers, 1867, Rome, G. A. M.) ou encore maritimes (la Vague, 1870, Paris, musée d'Orsay), il se renouvela sans cesse malgré des séries consacrées à la représentation d'un même motif. Dans ces paysages, il installa souvent, en grand animalier, des scènes de chasse (la Curée, 1857, musée de Boston ; le Cerf à l'eau, 1861, musée de Marseille ; l'Hallali du cerf, 1867, musée de Besançon) dans des toiles de grandes dimensions.

   Quand survint la guerre franco-prussienne, Courbet était au faîte de sa gloire, protégé par Napoléon III — il refusa avec éclat la Légion d'honneur —, et enfin admis par la plupart de ses anciens détracteurs. Après Sedan, il fut élu président de la Commission des arts et s'employa avec ferveur à diverses tâches : sauvegarde des œuvres d'art, réorganisation des musées. En février 1871, désireux de mener une action politique, il laissa entendre son envie de participer au Gouvernement provisoire replié à Bordeaux ; écarté amicalement mais fermement par son compatriote Jules Grévy, il se retourna vers ses amis parisiens, Vallès, Delescluze, Rigaud, et, l'insurrection de la Commune venue, se trouva engagé à leurs côtés. Bien qu'il fût démissionnaire avant la semaine sanglante, la IIIe République l'accusa de complicité avec les insurgés destructeurs de la colonne Vendôme. Il fut condamné, à la suite de deux procès haineux, à la prison et à la ruine, et dut s'exiler. Sa jactance, les jalousies suscitées firent oublier la dette de la France : en effet, usant de ses amitiés au sein de la Commune, il avait contribué à sauver le Louvre de l'incendie des Tuileries. La Suisse l'accueillit. Dépossédé de ses biens, amoindri par les souffrances morales et physiques, son génie s'affaiblit ; il peignit pourtant quelques œuvres importantes, son dernier Autoportrait à Sainte-Pélagie, souvenir de sa détention (v. 1874, musée d'Ornans), et de beaux paysages, le Château de Chillon (1874, id.), un grand Panorama des Alpes, son ultime peinture (1877, musée de Cleveland), mais, contraint de remplir un gousset vidé par sa condamnation, il en appela à des collaborateurs, et la production de ses dernières années est encombrée de véritables contrefaçons. Courbet fut sans conteste le plus grand peintre de sa génération. S'il prôna un art " vrai " destiné aux masses populaires, on ne doit pas enfler outre mesure son désir propagandiste.

   S'il fut séduit par la pensée généreuse du socialisme, il se montra plus républicain que révolutionnaire et manifesta dans ses derniers engagements plus de naïveté que de fanatisme. Sa place dans l'histoire de la peinture est celle d'un novateur : bien que se reconnaissant lui-même le continuateur de Gros et de Géricault, il modernisa leur métier en adaptant leur réalisme à la calme interprétation de la chose vécue quotidiennement. La rectitude de son dessin, la sûreté de sa main usant aussi bien du pinceau que du couteau, l'acuité de son œil, sa science des demi-teintes le gardèrent de la vulgarité. En représentant ce qu'il voyait, il fut en fait le peintre du mystère, des symboles et des préoccupations que l'on peut qualifier de métaphysiques.

   Ses Autoportraits sont des confessions, et il fut, un des derniers grands romantiques. Si ceux-ci exprimaient ouvertement leurs appétits d'évasion par l'attrait de la fable, de la légende et de l'exotisme, chez lui la fiction est dissimulée par le vérisme. Il se fit l'interprète de l'intemporel, des songes, de la mort, des amours. À la cruelle vérité, il allia la plus irréelle poésie.

   Il échangea avec ses contemporains assidûment fréquentés, Corot, les peintres de Barbizon, Boudin, Manet, Jongkind et Whistler, des notions luministes qui ouvrirent la voie à l'impressionnisme, mais son influence se limita, en France, à un renouvellement de vision et de sources d'inspirations ; bien que Degas, les impressionnistes, Cézanne, Puvis de Chavannes l'aient révéré, son faire énergique n'eut pas de descendance directe. Au contraire, à l'étranger, Repine en Russie, De Groux, Joseph Stevens, Meunier en Belgique, Leibl, Thoma, Müller, Trübner en Allemagne comprirent sa leçon. De nos jours, Soutine, Matisse, Picasso, Balthus s'en sont inspirés. On constate que la peinture moderne, dans certaines de ses manifestations les plus émouvantes et les plus singulières, s'alimenta auprès de deux maîtres du XIXe s., parfaitement antinomiques, Ingres et Courbet. D'importantes séries de peintures de Courbert sont conservées à Paris (musée d'Orsay et Petit Palais), aux musées de Montpellier, de Besançon et dans des musées étrangers (Metropolitan Museum, Winterthur, Cologne, Hambourg, Stockholm, Berne). Un musée Courbet a été créé dans la maison du peintre à Ornans. Une rétrospective a été présentée en 1977-78 (Paris, Grand Palais ; Londres, Royal Academy).