vitrail et peinture (suite)
Intervention des peintres et diffusion de leurs œuvres par la gravure
Dès le dernier tiers du XVe s. et au premier tiers du XVIe, on peut confronter les œuvres majeures de maîtres verriers dont nous saisissons la personnalité à certains vitraux dont les grands peintres contemporains ont tout au moins exécuté les cartons. Quelle que soit la rigidité apparente des maîtrises, artistes et artisans travaillent en étroite union, particulièrement dans les grands chantiers urbains : Mathis Nithart, dit Grünewald, sortait de l'atelier de Martin Schongauer, où il avait acquis la maîtrise, pour travailler, en 1479-80, dans un atelier de peintre verrier à Strasbourg, celui de Pierre Hemmel. Vasari avait été l'élève du peintre verrier d'origine auvergnate Guillaume de Marcillat, dont les vitraux s'insèrent mal dans l'architecture de la Renaissance classique à Rome. Mais c'est à tous les niveaux que circulent la documentation et l'information. Après Émile Mâle, Henri Focillon a pu écrire que, " sans l'estampe, la Renaissance n'aurait pas présenté la même unanimité ". J. Delen nous donne un état des estampes flamandes les plus demandées en France d'après les comptes de Plantin. Couffon en fait longuement état pour les vitraux bretons : l'imitation est touchante, lorsque, dans un beau vitrail de Conches, Romain Buron va jusqu'à reproduire la signature d'Aldegrever et, à La Roche-Maurice, un peintre verrier breton celle de Jost de Negker. La transposition, toutefois, est heureusement très libre, et J. L. Fischer rapproche utilement la gravure d'un Saint Martin de Schongauer du Saint Martin du peintre verrier Oswal Göschel (v. 1510).
Les courants s'entrecroisent : flamands, germaniques, italiens, et il faut tenir le plus grand compte des romanistes d'Anvers, notamment de Dirck Vellert. Le cabinet des Dessins du Louvre possède une esquisse de Dirck Vellert où la division des ferrures est portée, ne laissant aucun doute sur sa destination monumentale. Le peintre lyonnais Antoine Noisin, dans la grande verrière de l'abside de l'église de Brou, reproduit pour le Couronnement de la Vierge une planche de la Marienleben de Dürer et, dans le bandeau où se déroule le Triomphe du Christ, une estampe italienne d'Andrea Andreani d'après Titien. Nous savons par ailleurs que le programme des verrières impériales de Bruxelles, de Mons et de Liège, contemporaines de Brou, a été réalisé sur " de grands patrons sur papier faits à Bruxelles en 1525 et 1528 ".
Une analyse plus poussée nous amène à penser que les grands maîtres verriers de l'époque puisent leur inspiration à des sources plus directes : Hans Haug nous fait toucher du doigt l'importance du " Hausbuch " — collection de dessins originaux, notations rapides avec indications de couleur —, qui passe entre les mains de Grünewald, de Baldung Grien et des nombreux peintres collaborateurs de Pierre Hemmel d'Andlau. Dans ce recueil, on relève d'ailleurs plusieurs projets de médaillons à sujets religieux ou civils, genre mineur où interviendront des peintres célèbres outre-Rhin comme Jörg Breu et Urs Graf, en Flandre comme Lucas de Leyde et Cornelis Engebrechtsz. Une tradition veut que le verrier Engrand Leprince, de Beauvais, ait possédé une collection d'œuvres originales de grand prix. Dans son testament, Valentin Bousch, le peintre verrier de la cathédrale de Metz, cède " tous les grands patrons, desquels il a fait les verrières de ladite église, pour s'en servir à la réparation d'icelles ". Il lègue à un serviteur " douze pièces de portraiture d'Italie ou d'Albert... ". Nous conservons d'assez nombreux cartons de Barend Van Orley (Rijksmuseum), d'autres, autour de l'école de Fontainebleau, de Dumonstier et, dans la seconde moitié du XVIe s., l'ensemble des cartons de Dirk Crabeth pour la suite des verrières de Saint Jan de Gouda ; nous conservons aussi un très grand nombre de cartons des maîtres verriers suisses à sujets mythologiques ou profanes. Ces documents sont plutôt décevants, car peu sont traités assez largement pour évoquer à la fois la liberté et l'invention du peintre sur verre, avec sa gamme de pinceaux, de petits bois et d'épingles ; la coupe des verres et la mise en plomb ne figurent que sur quelques documents, où elles sont tracées à la sanguine. Les contrats que nous possédons, qui sont très précis sur l'iconographie, la qualité des matériaux employés et les délais imposés, comportent parfois la remise d'un dessin, comme aussi la communication d'un modèle par le donateur.
Dans les pays germaniques, nous trouvons, dès la fin du XVe s. et dans les deux premiers tiers du XVIe s., une étroite liaison entre les peintres et les maîtres verriers. Cette Renaissance germanique, dont Panofsky et Worringer ont souligné sinon les limites, du moins les tensions, s'affirme avec une rare acuité dans l'art du vitrail, dont la réduction de l'espace, la gamme colorée très saturée conviennent à la dramatisation des attitudes et à une sorte d'expressionnisme accusé dans le dessin. Que l'on conteste l'attribution à Pierre Hemmel d'Andlau de la Crucifixion de Waldbourg (1461) ou que l'on en fasse une œuvre de jeunesse, la perfection est atteinte dans ce milieu strasbourgeois, ouvert alors aux courants les plus divers et notamment aux influences flamandes et bourguignonnes. La saturation des couleurs est alors à son maximum, et la lisibilité des personnages est assurée par une coupe d'une exceptionnelle rigueur. La carrière de Pierre Hemmel d'Andlau est prestigieuse : le catalogue de son œuvre, dressé par Wentzel, ne compte pas moins de 50 verrières et séries de verrières en Alsace, à Uracht, à Salzbourg, à Ulm, à Augsbourg, à Nuremberg. L'importance et l'éloignement de ses commandes l'amènent à travailler intimement avec d'autres verriers, notamment avec Thiébaut de Lixheim, à qui l'on doit la verrière du croisillon nord de la cathédrale de Metz (1504), où C. de Mandach découvre une influence de Conrad Witz dans le traitement des draperies. Le passage de Grünewald dans l'atelier de Hemmel apparaîtrait dans la Tête de femme à la coiffe d'or du musée de Strasbourg. À la même époque, la collaboration avec Hans Wild, qui signa v. 1480 l'Arbre de Jessé de la cathédrale d'Ulm, accentue pourtant le caractère germanique de sa production. Un lien existe aussi entre le milieu strasbourgeois et Hans Baldung Grien. L'exécution de l'œuvre monumentale qui est attribuée à ce dernier à la cathédrale de Fribourg-en-Brisgau, où il résida de 1512 à 1517, est, jusqu'au stade de la peinture sur verre incluse, très probablement de la main du peintre verrier local Ropstein, encore que l'ampleur des draperies rappelle bien la manière de Baldung Grien dans le Saint Jean-Baptiste et l'Ecce homo. Mais il faut mettre à part une Tête de Vierge, dont la fermeté et l'économie de trait évoquent la main du maître. Il est piquant, par contre, de constater que l'on attribue avec plus de vraisemblance à Baldung Grien de nombreux vitraux armoriés, dont la facture est plus proche des éclairages et de la qualité des enlevés qui caractérisent ses dessins rehaussés de gouache. C'est à la cathédrale de Metz, avec la grande verrière de Valentin Bousch, qu'on appelait aussi Valentin de Strasbourg, que l'on trouve la véritable traduction sur verre de la technique de Baldung Grien : nous savons que Valentin Bousch exécutait ses cartons au fusain, avec des rehauts de craie. La parenté profonde entre les deux artistes s'exprime plus fortement encore par la facture même : larges enlevés dans les draperies et les figures, accumulation des effets, resserrement du trait dans les accessoires des costumes et dans les éléments figuratifs du décor.
Un style très apaisé se répand ensuite en Allemagne du Sud. La bourgeoisie, très internationale, d'Augsbourg commande des cartons de vitraux à Burgkmair. Le contrat conserve encore son caractère traditionnel : en 1515, Burgkmair reçoit 15 gulden pour le dessin, et le maître verrier Hans Braun 24 gulden pour l'exécution. Hans Holbein l'Ancien réside à Augsbourg de 1493 à 1517. Son activité s'étend à de nombreux domaines ; il crée son propre atelier de peinture sur verre. Les vitraux qu'il exécute pour le presbytère de la cathédrale sont sans commune mesure avec l'œuvre assez conventionnelle de Burgkmair. Dans un certain sens, le Saint Jean l'Évangéliste de Holbein paraît, au premier coup d'œil, d'un style plus attardé, plus fidèle aux traditions germaniques. Mais cette première impression ne résiste pas à l'examen de la facture, essentiellement picturale. Pour ce Saint Jean, comme pour le Roi mage, à la découpe frontale ou au profil accusé, que campent les peintres verriers, se substitue une présentation sereine des personnages en mouvement dans l'espace. Hans Holbein l'Ancien, qui, contrairement à son fils, n'a pas laissé de portraits peints, nous offre, avec ses vitraux, une effigie de l'homme déjà préclassique.
Les deux courants de la Renaissance italienne ont profondément marqué l'art du vitrail en France et en Flandre. Guichardin, citant Arnoult de Nimègue et Dirck Vellert, les appelait " grandissimi imitatori di disegni d'Italia ". Dirck Vellert semble avoir été essentiellement un cartonnier. Mais Arnoult de Nimègue est un exécutant prestigieux, marqué par son passage sur le chantier de Gaillon (les 3 verrières du haut chœur de la Trinité de Fécamp, les verrières en provenance de la cathédrale de Malines, actuellement à Lichfield, Grande-Bretagne). Ce sera dans la " vesture " des personnages de l'Arbre de Jessé à Saint-Étienne de Beauvais (v. 1525) qu'Engrand Leprince exprimera cet italianisme passé par le crible d'Anvers. L'aspect composite de cette première Renaissance détermine aussi bien le cadre architectonique polychrome de l'ensemble d'Arnould de Moles à la cathédrale d'Auch que les architectures sans surcharge de Jean Lécuyer à Bourges.