Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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Rouan (François)

Peintre français (Montpellier 1943).

Après ses études à l'École des beaux-arts de Montpellier, puis à celle de Paris (atelier de Roger Chastel), il travaille avec des papiers gouachés et découpés avant d'entreprendre des œuvres de papiers tressés, puis de tissus tressés. Dans le courant des " héritiers de Matisse à travers l'école américaine ", qui constitue une part de la Nouvelle Abstraction, sa technique personnelle, développée à partir de 1969 après deux ans d'interruption d'activité picturale, apparaît comme une démarche à la fois pratique et théorique, puisque le tressage concerne toutes les étapes de la réalisation matérielle du tableau et tous les aspects de sa conception. Par le découpage en bandes de deux toiles, puis le tressage suivi de reprises et de retouches, la toile définitive est constituée dans un processus dialectique qui débouche, de 1971 à 1974 (à la Villa Médicis de Rome, où le peintre se consacre également à la gravure), sur la réalisation des douze Portes (chacune a reçu le nom d'une porte de Rome) : dans des couleurs sourdes, essentiellement des noirs, des réseaux de lignes et de structures se confrontent et s'organisent avec la trame du tressage dans un ensemble dense et somptueux. Dans une seconde série de Portes, le peintre inclut des données nouvelles, ni abstraites ni strictement géométriques, mais qui sont des morceaux ou des structures de paysage qui se multiplient dans le dessin et qui fournissent le sujet de nombreuses études à l'encre, à l'aquarelle ou au crayon. Cette expérience, toujours renouvelée, a donné des œuvres comme le tondo Jardin-Marbre vert (1973-1975) ou Marbre-Figure (1976), dominées par les rythmes des formes, des espaces et de la couleur. À partir de 1980 avec la série des Coffrets (Cassone), la " mise en tresse " des matériaux se fait désormais à la surface même du tableau, et la présence de figures et de motifs empruntés le plus souvent à la peinture, à l'architecture ancienne est de plus en plus affirmée dans un coloris savoureux et brillant. Chaque tableau porte ainsi témoignage de l'histoire de la peinture, et voit l'affleurement de motifs de prédilection (Lorenzetti, Poussin). À partir de 1982-83 se fait jour la violence, avec le visage de la mort et la prédominance du noir et blanc : séries Selon ses faces et Volta baccia, regard vers les masques africains et Picasso, recours aux facettes, aux hachures et aux virgules. Les séries des années suivantes accueillent des figures de monstres, détruisent et reconstruisent le tableau à partir d'images de corps, d'oiseaux et de crânes : Son pied-la route, 1986, série des Stücke, et des Voyages d'hiver, 1988-90, des Jardin taboué, 1992-94, des Coquille, 1992-95. Le travail de Rouan apparaît, en face des innombrables émules de Duchamp, comme une proclamation de confiance en la peinture, traquée dans toutes ses possibilités expressives. Le M. N. A. M. de Paris, qui présenta une rétrospective de ses œuvres en 1983, le M. O. M. A. de New York, les musées de Grenoble et de Marseille possèdent de ses tableaux.

   Des expositions rétrospectives ont été consacrées à François Rouan à la Kunsthalle de Düsseldorf en 1979-80 et dans le même lieu et au musée de Villeneuve-d'Ascq en 1994-95. Il a réalisé les cartons de 9 vitraux pour l'église S. Jean-Baptiste de Castelnau-le-Lez (1995).

Rouault (Georges)

Peintre français (Paris 1871  –id.  1958).

Les débuts

Ses origines artisanales (son père était ébéniste) et sa première formation lui donnèrent toute sa vie le goût du travail bien fait, de la perfection du métier. En 1885, il commence son apprentissage de peintre verrier et entre chez Hirsch, restaurateur de vitraux anciens, tout en suivant les cours du soir de l'École des arts décoratifs. En 1890, il décide de se consacrer à la peinture et, l'année suivante, s'inscrit aux Beaux-Arts dans l'atelier d'Élie Delaunay, à qui succède Gustave Moreau en 1892. Ce dernier, qu'il apprécie fort, le présente au prix de Rome en 1893, puis en 1895 ; après ces deux échecs, Rouault quitte les Beaux-Arts sur le conseil de Moreau lui-même. Trois ans plus tard, il devient le premier conservateur des collections léguées par son maître à la Ville de Paris. Deux faits importants doivent alors être retenus : sa fréquentation de l'abbaye bénédictine de Ligugé (Vienne), où il fait la connaissance de Huysmans et où se développe le sentiment religieux qui imprégnera désormais toute son œuvre ; sa participation à la fondation du Salon d'automne (1903), qui va lui permettre de se faire mieux connaître.

En marge du Fauvisme

C'est à cette époque que Rouault se libère d'une formation académique dont il retenait surtout un solide métier de dessinateur. Une humanité déchue ou marginale lui sert de modèle : filles et clowns, également destinés à assouvir les instincts sociaux les plus bruts. Adaptant à ses propres fins la meilleure leçon de Moreau, il tire de l'aquarelle, parfois rehaussée de pastel et de gouache, des effets magistraux, dont on retrouve la largeur et la fluidité dans ses huiles. La palette est d'une austérité corrosive : les bleus dominent, défaits par des roses livides, mordus par les ocres, avivés par les noirs. L'intensité expressive demeure à fleur du sujet, dont elle respecte l'identité (Clown tragique, 1904, Zurich, Kunsthaus), mais qu'elle transpose parfois avec une hardiesse inédite (Nu se coiffant, 1906, Paris, M. A. M. de la Ville ; Au miroir, 1906, Paris, M. N. A. M.).

   Inspiré par la Femme pauvre de Léon Bloy, Monsieur et Madame Poulot suscita une réaction violente de l'écrivain ; exposée au Salon d'automne de 1905, l'œuvre tranchait fortement avec les tableaux des fauves ; elle témoignait d'une approche de la réalité humaine et d'une méthode picturale différentes, qui offraient davantage de similitudes avec les " périodes " de Picasso antérieures au Cubisme. Toute personnelle, l'évolution de Rouault se détache rapidement de celle de l'art contemporain. À partir de 1906, il s'intéresse à la céramique, se préoccupe, par conséquent, d'unir le décor à l'expression : déjà le contour sombre des figures s'affermit, équilibré par le modelé intérieur (Baigneuses, 1907, Hem, coll. part.). Inaugurée en 1908, la suite des Juges et des Tribunaux, accompagnée de peintures représentant les humbles gens de faubourgs et de banlieues lépreuses, est d'une veine plus satirique, d'une tension lourde à la limite de la caricature ; la mise au jour de la hideur morale des pharisiens répond au pathétique désespéré des premières aquarelles.

Les suites gravées

L'abandon progressif de cette technique au profit de l'huile, utilisée exclusivement à partir de 1918, fut favorisé par l'exécution des suites gravées (Miserere et Guerre), entreprises à l'instigation de Vollard ; celui-ci, après les deux expositions personnelles de Rouault chez Druet (1910-11), avait acheté l'atelier de l'artiste (1913) et devint en 1917 son marchand exclusif. C'est justement vers cette date, alors que Rouault commence à graver, qu'un nouveau style se dégage : le parti synthétique et statique se précise, faisant saillir le motif sobrement mis en valeur par le cerne, isolant des plans colorés ; l'image et le symbole deviennent les points extrêmes de multiples interférences. De 1920 à 1937 env., l'œuvre graphique prend le pas sur la peinture : Miserere, les Réincarnations du père Ubu de Vollard (eaux-fortes et bois gravés, publiés en 1932), Maîtres et petits maîtres et Souvenirs intimes (lithographies, 1926), Petite Banlieue (lithographies, 1929), quelques lithos pour les Fleurs du mal en 1926 ; entre 1930 et 1940, Rouault réalisa encore eaux-fortes et xylographies pour le Cirque de l'étoile filante (1938, texte de l'artiste) et pour Passion, d'André Suarès (1939).

Les peintures de l'entre-deux-guerres

Ces longues investigations dans le domaine du noir et blanc devaient quelque peu marquer l'activité picturale de Rouault. Au grain velouté des valeurs, allant du noir profond au blanc pur (ce dernier très rare), correspondit un accord médité des teintes : le bleu, le jaune, le vert et l'ocre s'enrichissent de nuances complexes, se minéralisent sous l'effet d'une matière épaisse et grumeleuse. L'équilibre entre l'abstraction formelle, décorative, et l'expression (problème résolu par Rouault suivant ses voies personnelles) est atteint dans l'Apprenti ouvrier (1925, Paris, M. N. A. M.), d'autant plus exemplaire qu'il s'agit d'un autoportrait, où l'intensité affleure et cependant reste voilée. Après 1930, la figure christique (nombreux Ecce homo) s'identifie en profondeur avec le thème profane du Pierrot, livrés l'un et l'autre à la dérision ; la portée symbolique de ces effigies s'impose d'autant mieux qu'elles évitent la cristallisation du regard ou ne consentent à la signifier que dans une fixité intemporelle, byzantine (Véronique, v. 1945, Paris, M. N. A. M. ; Tête de Christ, 1938, musée de Cleveland).