Ubac (Raoul)
Peintre et sculpteur belge (Malmédy, Ardennes belges, 1910 – près de Beauvais 1985).
De 1926 à 1934, il fait de nombreux voyages à pied en Europe et séjourne à partir de 1930 soit à l'étranger, soit à Paris. Sous l'influence du Surréalisme et de Man Ray, il délaisse bientôt la peinture et se consacre à la création de photos surréalistes, utilisant différentes techniques : brûlage, solarisation, pétrification (la Nébuleuse, 1939). En 1936, il étudie la gravure chez Hayter et partage les activités du groupe surréaliste jusqu'à la guerre. Réfugié à Carcassonne en 1940, il dessine de nouveau et revient ensuite à Bruxelles, où il fait sa dernière exposition uniquement consacrée à la photographie (1941), avant de regagner Paris. Il se lie avec Queneau, Eluard, André Frénaud, Jean Lescure, dont il illustre de photos un ouvrage, puis il réalise de grands dessins à la plume et pratique de moins en moins la photographie, qu'il abandonne complètement en 1945. Il fait alors de nombreuses petites gouaches et des dessins, puis revient à la peinture dès 1947. Il fait la première exposition de ses peintures en 1950 à Paris, à la gal. Maeght, qui présentera par la suite toutes ses expositions particulières (1955, 1958, 1961, 1964, 1966, 1972 : Terres et sillons). D'une grande austérité qui n'exclut pas un sentiment tragique, ses peintures traduisent en formes simplifiées les éléments purement plastiques d'une nature souvent traversée par l'homme (les Bûcherons, 1950). Entre-temps, Ubac s'était essayé à graver un dessin sur un fragment d'ardoise ramassé par hasard en Savoie. Il se passionne bientôt pour cette matière et ses ressources techniques, et il travaille simultanément la peinture et les ardoises, qu'il grave de plus en plus profondément et dont il tire de véritables reliefs en les taillant largement. En passant par l'exécution de stèles à 2 faces (l'Arbre, stèle, 1961), il est parvenu à maîtriser la structure lamellaire de l'ardoise et à donner une équivalence de la sculpture en ronde bosse (Grand Torse, ardoise sculptée, 1962-1966). D'autre part, en employant un mélange à base de déchets d'ardoise et de caséine, il a doté sa peinture d'une plasticité qui lui permet d'obtenir des effets de relief en striant la surface de sillons parallèles (Grand Paysage, 1966 ; Terre rouge, 1979-81). Il a réalisé plusieurs œuvres monumentales, comme le mur en mosaïque et reliefs d'ardoise (1958) à Évian pour l'usine des Eaux, les vitraux en dalle de verre pour l'église d'Ézy-sur-Eure (1957), un autre mur pour la Société chimique d'Aquitaine ainsi que le chemin de croix (ardoises taillées) pour la chapelle de la fondation Maeght à Vence (1964), des mosaïques pour la faculté des sciences à Reims (1970) et la nouvelle université de Lille-Est (1973), ainsi que des tapisseries (mairie de Grenoble, 1968 ; faculté de pharmacie de Châtenay-Malabry, 1974). Son intérêt pour le graphisme s'est manifesté à toutes époques par l'illustration de livres de ses amis poètes, en particulier André Frénaud, Yves Bonnefoy, P.A. Lecuire, qui ont été souvent aussi les préfaciers de ses expositions. Si ses premières illustrations ont été photographiques, Ubac a utilisé par la suite la lithographie, la gravure sur bois, les empreintes d'ardoise, l'eau-forte et plus rarement le burin. Une grande unité de conception relie intimement dans son œuvre ses deux moyens d'expression, la peinture et la sculpture. Il est représenté notamment à Paris (M. N. A. M. et M. A. M. de la Ville : Terres) à Metz (musée d'Art et d'Histoire : Thème de la croix, 1957) et à Rouen (musée des Beaux-Arts : les Deux Champs), à Cologne (W. R. M.) et à New York (M. O. M. A.). Des expositions consacrées à Ubac ont eut lieu au M. N. A. M. de Paris (1968) et à la fondation Maeght de Saint-Paul-de-Vence (1978).
Uccello (Paolo di Dono, dit Paolo)
Peintre italien (Pratovecchio, Toscane, ou Florence 1397 – Florence 1475).
Traité avec désinvolture par Vasari, cet artiste a été révélé au goût moderne par les cubistes ; puis les surréalistes virent en lui un " peintre lunaire " dont le " constructivisme [...] dégage ce sentiment d'absolu et d'obsession qui n'appartient qu'au seul rêve " (G. Pudelko, dans Minotaure, 1935). Dans les trois panneaux de la Bataille de San Romano, la délimitation précise des plans, la stylisation géométrique des corps suspendent et figent les mouvements tout en conférant à l'aspect luisant des guerriers, hermétiquement clos dans leurs armures métalliques, une signification inquiétante qui rappelle en effet certains résultats " surréalistes ". De même, on peut voir dans la représentation insolite du Déluge une énigme voulue. Paolo Uccello est devenu en tout cas un des artistes les plus discutés du quattrocento, considéré par certains comme l'un des ancêtres de l'art de la Renaissance (Salmi, Pope-Hennessy), relégué par d'autres dans les limbes d'un artisanat conceptuel (Schlosser, Longhi).
La reconstitution de sa carrière artistique laisse souvent perplexe aussi. Le petit groupe de ses œuvres certaines (fresque du Monument équestre de sir John Hawkwood [dit " Giovanni Acuto "], Florence, dôme, 1436 ; quatre Têtes de prophètes, id., 1443 ; les cartons pour les vitraux de la coupole représentant la Résurrection et la Nativité, id., 1443-1445 ; le cycle fragmentaire de fresques avec des Scènes de la vie monastique, au cloître de S. Miniato al Monte, de datation discutée [1440-1445] ; les Scènes de la vie de Noé, Florence, S. Maria Novella, Chiostro Verde ; la Bataille de San Romano [v. 1456 ?, Offices, Louvre et Londres, N. G.] ; la Nativité, fresque de S. Martino della Scala à Bologne [sur laquelle la date de 1431 ou 1437 a été lue] ; Saint Georges et le dragon, Paris, musée Jacquemart-André [à mettre peut-être en rapport avec un document de 1465], et Londres, N. G. ; la Chasse, Oxford, Ashmolean Museum ; le Miracle de l'hostie, 1467-1469, Urbino, G. N.) présente des dissonances. Bien qu'un certain exhibitionnisme de l'art de la perspective en soit le dénominateur commun, on peut se demander, par exemple, comment le traitement sculptural et monumental des Histoires de Noé arrive à coexister avec les élégances caractéristiques de la Chasse d'Oxford (Ashmolean Museum) ou comment, du Monument équestre de sir John Hawkwood, documenté en 1436 (mais qui semble peint à l'époque même de la Bataille de San Romano, postérieure pourtant de vingt ans environ), on passe à des compositions aussi néo-gothiques et dénuées de tout souci de perspective telles que celles qui sont destinées aux vitraux de S. Maria del Fiore. Il semble donc que cette fameuse passion pour les problèmes de la perspective ne constitue pas non plus le vrai dénominateur commun de l'œuvre de Paolo di Dono, qu'il faut plutôt chercher dans l'attitude générale que le peintre assume devant la figuration, sentie comme un jeu intellectuel compliqué qui force l'esprit à de grisantes subtilités. Regardons le Déluge : avec l'indifférence la plus désarmante à la tragédie de l'épisode, Uccello dispose froidement ses personnages comme les pièces d'un échiquier et, du même coup, il désacralise le vénérable récit biblique, le vide de son contenu dramatique ; la stabilité immuable du supposé Sem, au premier plan, est ridiculisée par le personnage qui s'agrippe à ses chevilles ; le jeune homme dans le tonneau, la femme " sur le buffle ", le géant et son bâton sont autant de présences énigmatiques qui frisent le comique. La réalité charnelle de Masaccio et les règles de perspective qui la situent dans un espace certain sont devenues un pur jeu. Tout donne l'impression que la perspective était une si " douce chose " parce qu'elle représentait en fait un divertissement intellectuel. Le vaste espace unificateur de Masaccio, de Brunelleschi ou de Piero della Francesca est tout à fait différent du jeu compliqué des espaces clos de la Bataille de San Romano ou de la double ligne de fuite de la Nativité de S. Martino della Scala, ou encore des lignes d'horizon contrastées dans le Saint Georges et le dragon du musée Jacquemart-André ; ces remarques ont amené des spécialistes à considérer les procédés perspectifs d'Uccello comme une application plus ou moins interprétée des préceptes empiriques du Moyen Âge en matière d'optique, ou " perspectiva " (Parronchi). Il ne faut pas oublier, d'autre part, que les plus célèbres expériences d'Uccello dans le domaine de la perspective sont très tardives : la Bataille de San Romano ne peut pas avoir été exécutée avant 1450 et doit dater de 1456 env. ; les fragments de fresques de S. Miniato al Monte ne peuvent être antérieurs à 1447 et sont à situer v. 1455, année où l'activité du peintre est documentée en ce lieu. Presque tout appartient donc à la seconde moitié du siècle, moment où la peinture florentine cherchait déjà d'autres intérêts. Cela explique encore pourquoi l'art de Paolo Uccello n'a pas eu de suite à Florence.
En fait, les données biographiques de Paolo di Dono peuvent fournir la clé permettant de comprendre son vrai visage. Né quelques années avant Masaccio, Paolo di Dono travaille très jeune aux côtés de Ghiberti, le Ghiberti encore " gothique " de la porte nord du baptistère de Florence : il figure en effet sur la liste des assistants de ce maître cités dans les deux contrats relatifs à cette porte.
Tandis que Masaccio exécute à Florence ses principales œuvres, de 1425 à 1430, il est à Venise, où subsiste le souvenir de Gentile da Fabriano et où, grâce aux premières manifestations de l'art de Pisanello, à la pleine activité de Niccolò di Pietro, de Zanino di Pietro et de Jacobello del Fiore, s'épanouit le Gothique international. De retour à Florence en 1431, le maître ne doit pas être encore très affirmé puisque, en 1432, le conseil de fabrique du Dôme s'informe à Venise de ses capacités comme mosaïste avant de l'engager, puisqu'en outre il doit refaire le Monument équestre de sir John Hawkwood parce qu'il " n'est pas peint comme il convient " et surtout puisque, dans l'introduction du Traité sur la peinture (1436), Alberti ne le cite pas parmi les grands artistes du temps et qu'en 1438 encore Domenico Veneziano, dans une lettre écrite de Pérouse, ne mentionne pas son activité, alors qu'il est informé de celle d'artistes un peu plus jeunes, comme Fra Angelico et Filippo Lippi.
Le problème de l'activité de Paolo Uccello durant ces années et jusqu'au milieu du siècle environ est l'un des plus ardus qui se soient posés à la critique. Certains historiens ont proposé d'attribuer au maître un groupe important d'œuvres : les fresques de la chapelle de l'Assunta au dôme de Prato (en excluant la zone inférieure, due à Andrea di Giusto), les trois panneaux de la prédelle de Quarata représentant Saint Jean à Patmos, l'Adoration des mages et des saints (Florence, Seminario Maggiore) et l'Adoration de l'Enfant avec trois saints (musée de Karlsruhe). Mais, en fait, l'identité de main de ces diverses peintures est controversée, et elles ont été tour à tour attribuées à des maîtres hypothétiques, comme le " Maître de Prato " (Pope-Hennessy), le " Maître de Quarata " (Salmi), le " Maître de Karlsruhe " (Pudelko) ou même le peintre florentin Giovanni di Francesco (Berenson). Il est indéniable, cependant, que ce groupe présente de fortes affinités et qu'on y reconnaît l'influence de Domenico Veneziano, mais interprétée de manière tantôt plus large et plus lumineuse (fresques de Prato), tantôt plus contournée et allusive (tableau de Karlsruhe) ; si les fortes réminiscences gothiques y abondent, les intérêts marqués pour les problèmes de perspective y sont peu prononcés. Quelques-unes de ces peintures montrent pourtant des rapports évidents avec les vitraux du dôme de Florence ; les fresques de Prato sont très proches des Prophètes de S. Maria del Fiore (Florence), comme la prédelle de Quarata l'est du Saint Georges et le dragon de Londres, et la Nativité de Karlsruhe des fresques de S. Miniato. On est donc tenté d'admettre l'attribution de ce groupe d'œuvres à Uccello. Reste le problème posé par le Monument équestre de sir John Hawkwood (Florence, S. Maria del Fiore) : dans la conception de sa perspective, cette fresque (documentée en 1436) montre en effet une affinité si péremptoire avec les œuvres certaines de Paolo Uccello qu'elle rend inconcevable un parcours postérieur jalonné par la série des œuvres dont l'une — la prédelle de l'Annunziata d'Avane, près de Florence — porte une date très tardive, 1452. Ou alors il faudrait supposer que Paolo Uccello aurait pratiquement refait le Monument équestre de sir John Hawkwood à l'époque même (1456) où Andrea del Castagno exécutait également à S. Maria del Fiore celui qui est dédié à Niccolò da Tolentino (Longhi) ; et les raisons stylistiques sembleraient vérifier cette supposition, étant donné l'affinité parfaite de cette fresque avec la Bataille de San Romano.
La personnalité multiforme de Paolo Uccello pose enfin le problème relatif aux premières Scènes de la vie de Noé du Chiostro Verde à S. Maria Novella, fresques attribuées sans discussion au maître sur la foi des témoignages anciens. Dans ces peintures, qui sont malheureusement aujourd'hui très dégradées, on ne relève aucune trace de ces aspects alambiqués et aigus qui font de Paolo Uccello le plus bizarre interprète de la Renaissance florentine.