estampe (suite)
Dürer
Pendant la Renaissance, Dürer excella dans tous les arts graphiques : il était graveur avant d'être peintre. Il y avait eu, en dehors de l'illustration du livre, des bois gravés isolés, mais ils étaient rarement de premier ordre. Sous l'influence de Dürer (qui ne taillait généralement pas ses blocs lui-même, mais dessinait sans doute à même le bloc), l'art de la taille se perfectionna. Cet artiste a apporté au bois non seulement la perfection du dessin, mais aussi une qualité de composition qui fait de chaque feuille un véritable tableau. Il publiait ses planches soit isolément, soit en séries (Apocalypse, 1498 ; Grande Passion, 1511 ; Vie de la Vierge, 1511). À côté du bois gravé, Dürer a pratiqué toute sa vie la gravure sur cuivre. À la suite de Schongauer, il l'enrichit en variant la densité et l'angle des tailles ; il arriva ainsi à décrire avec une étonnante précision la diversité des surfaces (Adam et Ève, 1504, où l'on note l'influence du graveur vénitien Jacopo de Barbari). À la fin de sa carrière, la simplification de son métier est peut-être due à l'exemple de Marcantonio Raimondi. Dürer s'est essayé à la pointe sèche (Saint Jérôme) et a gravé quelques planches à l'eau-forte sur acier (de 1515 à 1518), tirant des effets très puissants de cette technique nouvelle (Jardin des Oliviers). Il est, sans conteste, le plus grand graveur de son temps, et son influence fut universelle. La production graphique de l'Allemagne dans la première moitié du XVIe s. fut considérable avec Hans Burgkmair, Hans Baldung Grien, Wechtlin, Lucas Cranach, Urs Graf notamment. L'invention du camaïeu permit d'accroître les qualités picturales du bois gravé. Les Sorcières de Baldung sont le chef-d'œuvre reconnu de cette école. Cet art s'éteint v. 1550.
Lucas de Leyde
Dans les Pays-Bas du Nord, l'artiste le plus important de l'époque, Lucas de Leyde, est surtout graveur. Ses œuvres de jeunesse, exécutées v. 1508, d'un extrême raffinement, n'ont aucune filiation connue. Elles sont les plus originales et les plus attachantes. On y trouve déjà des scènes de genre qui annoncent l'art néerlandais du siècle suivant. Plus tard, Lucas de Leyde sera profondément influencé par Dürer, qu'il rencontrera en 1521, et par Marcantonio Raimondi. Dürer et Lucas de Leyde ont inspiré toute l'estampe des Pays-Bas dans la première moitié du XVIe s. Le Maniérisme anversois (Dirck Vellert) et le Romanisme (Gossaert, Van Orley, Pieter Coecke) se sont exprimés avec bonheur en empruntant leur technique.
L'Italie : l'estampe d'interprétation jusqu'au XVIIe s
Marcantonio Raimondi constitue un important jalon dans l'histoire de l'estampe. Il créa un vocabulaire graphique assez systématique et assez souple pour permettre de transposer toute composition. Sa manière, plus simple et plus claire que celle de Dürer, exprime les formes au lieu de rendre les surfaces. Son nom reste associé à celui de Raphaël, peintre dont il a gravé l'œuvre avec le plus de succès ; mais il a emprunté des sujets à d'autres artistes. Il faut pourtant remarquer que ce genre de gravure apporte une sorte d'uniformité qui tend à niveler les styles individuels. Raimondi est à l'origine de la gravure de traduction, qui s'est maintenue jusqu'au XIXe s. Le plus doué de ses élèves fut Agostino Veneziano, dont la sensibilité est plus proche de l'art maniériste (les Squelettes, d'après Rosso). Après le sac de Rome (1527), l'école se développe surtout à Mantoue sous l'influence de Giulio Romano ; le graveur le plus important est Giorgio Ghisi, qui grave souvent d'après des peintures, et non plus d'après des dessins, comme le fait Marcantonio. Procédé de gravure sur bois, le clair-obscur, mis au point en Italie par Ugo da Carpi, tenta de concurrencer le burin dans le cercle de Raphaël. Les résultats en sont quelquefois plus agréables parce que d'un effet plus pittoresque, mais cette technique, moins précise et moins souple, se perdit assez vite ; elle n'eut de succès véritable que sous l'influence de Parmesan, qui, dans certains cas, a dessiné lui-même les blocs gravés par Antonio da Trento ; Ugo da Carpi et Giuseppe Nicolo Vicentino ont aussi gravé d'après lui.
Les Pays-Bas : XVIe et XVIIe siècle
La gravure de traduction s'est vite répandue hors d'Italie. En Flandres, elle s'est développée sous l'influence d'un grand éditeur de gravures, lui-même excellent graveur, Hieronymus Cock, qui fit venir Ghisi à Anvers. Cock publia les œuvres de Floris et de très nombreuses gravures, d'un maniérisme violent, d'après Maerten Van Heemskerck. Il publia aussi l'œuvre de Bruegel, dont les paysages gravés, peut-être par Cock lui-même, sont les premiers du genre. Un élève de Cock, Cornelis Cort, alla en Italie et fut employé par Titien pour graver ses compositions. Cock occupe une place privilégiée dans l'histoire de la reproduction, étant le premier à avoir créé des équivalents graphiques des valeurs colorées. Installé à Rome, il y forma une école, mais son vrai successeur en Italie fut Agostino Carracci, dont la manière se définit au cours d'un séjour à Venise, où il grava d'après Véronèse et Tintoret. En même temps, aux Pays-Bas, H. Goltzius se consacra à de semblables recherches, mais plus riches encore d'effets, au service du maniérisme exacerbé de la fin du siècle. C'est à son école que se formèrent les premiers graveurs de Rubens. Ce grand peintre s'attacha particulièrement à la publication de ses œuvres ; sous son influence et sa direction immédiate, les graveurs L. Vosterman et A. Bolswert portèrent à un point de virtuosité surprenant l'interprétation du coloris. Ils instaurèrent l'usage de préparer la planche à l'eau-forte avant de la travailler au burin. Les graveurs de Rubens œuvrèrent aussi d'après Van Dyck (surtout une série célèbre de portraits, l'Iconographie). La technique de ces graveurs flamands se transmit aux graveurs parisiens, tels les Drevet et les Audran, interprètes de l'art officiel de la fin du siècle, dont l'école se continua pendant tout le XVIIIe s.
L'eau-forte en Europe : XVIe et XVIIe siècle
L'eau-forte existait depuis 1500 environ, mais sans effets importants ou heureux, lorsque, dans quelques planches seulement, Parmesan en fit un instrument souple et riche entre les mains du peintre. Il y mêla la pointe sèche et le burin pour enrichir l'effet ; Schiavone lui succéda dans cette entreprise, avec un œuvre gravé abondant, comprenant souvent des variations élégantes sur les compositions de Parmesan. Peu avant 1550, la technique fleurit dans plusieurs centres, surtout à Fontainebleau, dans l'école du Danube (paysage d'Hirschvogel et de Lautensack), et aussi en Flandres, où Vermeyen en tire un parti brillant. Baroccio est le premier à pratiquer les morsures multiples, tandis qu'Annibale Carracci mêle l'eau-forte au burin pour soutenir les ombres.
Sur ces prémices se développe l'école si riche du XVIIe s. Très nombreux seront les peintres qui manieront la pointe dès le début du siècle, Guido Reni avec ses vigoureuses eaux-fortes, Bellange, aux effets très recherchés. Van Dyck a gravé 18 portraits avec une sûreté et une fermeté qui en font des chefs-d'œuvre. Mais le grand graveur de l'époque est incontestablement Rembrandt, qui a consacré une bonne partie de son génie à l'estampe. Après une courte période où il emploie l'eau-forte pure, il mêle de plus en plus celle-ci à la pointe sèche, cherchant les effets de clair-obscur et le ton d'ensemble. Il transformait parfois entièrement les planches en cours d'exécution, et la comparaison de leurs états successifs est d'un grand intérêt (les Trois Croix, 1653). Il est parfois difficile de distinguer les gravures du maître de celles de son école, mais, en dehors de ses élèves directs, Rembrandt n'a pas grandement influencé les graveurs de son temps, sauf peut-être pour le paysage. Il eut des émules en Italie, Giovanni Benedetto Castiglione à Gênes, et, à travers lui, les Vénitiens du XVIIIe s. Aux XVIIIe et XIXe s., les gravures de Rembrandt jouirent d'une immense popularité, et il devint le modèle même du peintre-graveur.
Presque tous les peintres français du XVIIe s. se sont essayés à l'eau-forte. Brébiette a laissé de nombreuses œuvres très spirituelles, et Claude Lorrain d'admirables paysages. Vignon, Perrier, Vouet, Dughet, Mignard, Le Brun ont exécuté eux-mêmes leurs eaux-fortes. L'Italie eut aussi ses graveurs, après Guido Reni : Carlo Maratta, le portraitiste Ottavio Leoni, Cantarini, Pietro Testa ont excellé dans cette technique. À Naples, Ribera et Salvator Rosa, le premier avec des sujets religieux, le second avec des paysages animés, de goût romanesque, se sont élevés au rang de grands aquafortistes. Mais c'est surtout en Hollande que la production fut abondante. Le paysagiste Hercules Seghers est le plus inventif de tous, avec ses essais d'estampes en couleurs. Les paysages gravés sont très nombreux (quelques planches seulement par Jacob Van Ruisdael, mais surtout Everdingen, Zeeman, Waterloo). Les scènes de genre eurent aussi leurs graveurs : Van Ostade et Bega. Les peintres animaliers Paulus Potter, Nicolaes Berchem et Karel Dujardin furent des aquafortistes accomplis.