Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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Tintoret (suite)

La dernière période

À partir de 1580, l'accumulation des commandes rend indispensable la collaboration de l'atelier, qui, dans la Sala Grande de la Scuola di S. Rocco, travaille sous la direction absolue du maître ; mais la plupart des autres œuvres contemporaines accusent une baisse de qualité due à l'intervention excessive des collaborateurs de Tintoret. Les quatre Allégories à la gloire des doges de Venise, dans la Sala dell'Anticollegio au palais ducal (terminées en 1577), sont encore dues à Tintoret seul ; leur sérénité démontre bien la souplesse expressive du maître fervent et romantique de la Scuola di S. Rocco. En revanche, dans les huit scènes des Fastes des Gonzague, commandées par Guglielmo Gonzaga peu avant 1579 et terminées en mai 1580 (Munich, Alte Pin.), la collaboration massive de l'atelier se fait sentir malgré l'intervention importante de Domenico, fils de Tintoret. Il en va de même dans le vaste travail de décoration au palais ducal (toiles pour la Sala del Senato et la Sala del Maggior Consiglio), et c'est pourquoi le génie créateur de Tintoret est bien plus sensible dans le « modello » autographe de son Paradis (Louvre) que dans l'immense version définitive (1588). Mais, dans la série de huit toiles exécutées de 1583 à 1587 dans la Sala Inferiore de la Scuola di S. Rocco, Tintoret retrouve sa veine inventive ; il rénove sa technique luministe et aboutit dans les Scènes de la vie de la Vierge à des résultats d'un expressionnisme raffiné ; dans la Sainte Marie-Madeleine lisant et dans la Sainte Marie l'Égyptienne, les figures se dématérialisent sous les jets imprévus de lumière, les reflets, les phosphorescences quasi surnaturelles et les filaments incandescents qui font vibrer les paysages fabuleux. Tintoret peint inlassablement jusqu'à sa mort et laisse dans la Cène fantastique et grandiose de S. Giorgio Maggiore l'ultime message de sa vision poétique.

 
Domenico (Venise 1560 – id. 1635). Fils de Jacopo, il vécut et travailla toute sa vie à Venise, qu'il ne quitta que pour un bref séjour à Mantoue et à Ferrare. De 1581 à 1584, il collabora, dans l'atelier de son père, aux peintures du Palais ducal (salles du Scrutin et du Collège) et, en 1588, à l'exécution définitive du Paradis pour la Sala del Maggior Consiglio ; cette même année, il poursuivit les travaux de Jacopo à la Scuola Grande di S. Marco. De 1588 à 1590, sous la direction de Jacopo, il participa avec l'atelier à l'exécution des toiles des Fastes des Gonzague (Munich, Alte Pin.). En 1591, il travaille avec Aliense à la Scuola dei Mercanti et, de 1592 à 1594, en collaboration avec son père, il exécute quelques toiles pour l'église S. Giorgio Maggiore. Des documents attestent son activité de mosaïste à Saint-Marc en 1595. Peintre plutôt médiocre, Domenico n'aboutit guère qu'à une imitation prosaïque de l'art de Tintoret. Quelques œuvres de jeunesse (la Résurrection, Venise, Accademia ; Saint Jérôme, Rome, G. N., Gal. Barberini) tirent leur intérêt de certaines notations naturalistes puisées chez Leandro Bassano ou chez des peintres nordiques de l'atelier de Tintoret. C'est seulement dans le portrait, superficiel et bourgeois, genre qu'il cultiva particulièrement, que Domenico se libère de l'influence paternelle et trouve un mode d'expression personnel.

Tischbein (les)

Peintres allemands.

 
Johann Heinrich, dit Tischbein l'Ancien ou le Tischbein de Kassel (Haina 1722 – Kassel 1789). Après son apprentissage auprès d'un peintre de Kassel, il fut remarqué par le comte Stadion, qui l'envoya se former à Paris, où il fut l'élève de Carle Van Loo (1744-1748). Il travailla ensuite à Venise auprès de Piazzetta, puis à Rome. De retour à Kassel en 1752, il passa au service du landgrave Guillaume VIII de Hesse et devint professeur, puis directeur de l'Académie de la ville. Dans un style qui dénote une solide formation, mais dépourvu d'originalité, reflet moyen de la manière de l'époque, il a traité des sujets très divers, de l'histoire antique (Querelle d'Achille et d'Agamemnon, 1776, Hambourg, Kunsthalle ; d'après le tableau d'A. Coypel conservé au musée de Tours) à la scène de genre intime (Autoportrait avec sa femme à l'épinette, 1769, musées de Berlin). Parmi ses travaux pour le landgrave, le plus célèbre est sans doute l'ensemble de portraits de femmes qui constituent la « galerie des beautés » au château de Wilhelmstal, près de Kassel.

 
Johann Heinrich Wilhelm, dit Wilhelm Tischbein ou le Tischbein de Goethe (Haina 1751 – id. 1829). Issu du baroque tardif par sa formation auprès de ses deux oncles, Johann Heinrich à Kassel et Jacob à Hambourg, il reçoit l'influence hollandaise lors d'un séjour aux Pays-Bas, découvre le Sturm und Drang en Suisse et n'adhérera au classicisme que lors de son deuxième séjour à Rome. Il s'installe en 1777 à Berlin, où il connaît, comme portraitiste, un rapide succès. En 1779, l'Académie de Kassel lui décerne la bourse d'études en Italie. En chemin, il s'arrête à Munich et Nuremberg pour étudier les œuvres de Dürer, dont il copie les Apôtres. En 1781, il séjourne à Zurich chez Lavater qui le met en rapport avec Goethe. Il fait le Portrait de Bodmer (Zurich, Kunsthaus), instantané qui illustre la conception des « caractères » de Lavater, Götz et Weislingen (Weimar, Goethe Nationalmuseum), dont le sujet médiéval est en opposition apparente avec la présentation « classique » des personnages, alors que conception et pathos trahissent encore les origines baroques de l'artiste. La Vue du Saint-Gothard (id.) insiste, pour la première fois dans l'art allemand, sur le caractère violent et sauvage de la montagne suisse. En 1783, Goethe lui fait obtenir une bourse du duc de Gotha pour un nouveau voyage en Italie. Au début, il continue d'affectionner les thèmes inspirés par l'histoire allemande, mais il sera bientôt en contact avec le classicisme de David et se tournera vers l'Antiquité gréco-romaine. En 1787, il peint le célèbre portrait de Goethe dans la campagne romaine (Francfort, Städel. Inst.), œuvre chargée de symboles et d'allégories qui élèvent le modèle au-dessus de son existence naturelle. La même année, il part pour Naples, où il devient, en 1789, directeur de l'Académie. La prise de la ville par les Français provoque son retour en Allemagne, où il s'installe, à Hambourg (1800), puis à Eutin (1809) au service du duc d'Oldenbourg. La médiocrité de son talent explique mal la réputation dont il a joui à l'époque, due en partie à ses liens avec le milieu suisse de Bodmer et avec Goethe, ainsi qu'à ses gravures de vases de la collection Hamilton et à ses illustrations d'Homère. Dans son œuvre se reflètent certaines tendances, parfois contradictoires, de l'époque : le néo-classicisme, l'intérêt pour l'histoire nationale (Conradin de Souabe, musée de Gotha), l'exigence d'une étude très stricte de la nature, opposée aux pratiques de la peinture rococo, qui se manifeste dans son intérêt pour les théories de Lavater, dans son admiration pour Dürer, le goût pour le symbole et l'allégorie, parfois cachés dans des représentations réalistes l'Éplucheuse de pommes de terre, Hambourg, Kunsthalle).