Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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maniérisme (suite)

Le Maniérisme en Italie

Rome

C'est en Italie qu'est né le Maniérisme. Le rôle fondamental joué par Michel-Ange a été souligné par tous les historiens : ce sont non seulement ses œuvres tardives (Sixtine : Jugement dernier, 1541 ; fresques de la chapelle Pauline : Crucifixion de saint Pierre et Conversion de saint Paul) qui ont inspiré les artistes, mais aussi celles de sa maturité (Tondo Doni, Offices, 1504-1506 ; carton de la Bataille de Cascina, 1504 ; voûte de la chapelle Sixtine, 1508-1512). Ses sculptures ont également servi de modèles : du David à ses Pietà tardives. Les jeunes artistes y ont trouvé des solutions hardies pour renouveler le problème spatial ou la mise en page de leurs compositions. L'inspiration grandiose et passionnée de Michel-Ange leur a également offert l'exemple d'un mysticisme résolument en opposition avec le naturalisme et l'harmonie de la première Renaissance.

   C'est de la même manière que les jeunes artistes ont interrogé Léonard, qui, cependant, par sa naissance, appartient au XVe s. Ses œuvres les plus célèbres ont fourni autant de citations aux maniéristes (Adoration des mages, Vierge aux Rochers, Sainte Anne, Léda, carton de la Bataille d'Anghiari), non seulement pour la beauté des motifs ou des attitudes, mais aussi pour leur expression dramatique, leur poétique clair-obscur et peut-être aussi pour l'exquise perfection des détails.

   Raphaël a été interrogé de la même manière : au Vatican, la Chambre d'Héliodore (1511-1514) et la Chambre de l'Incendie (1511-1517), avec leur climat dramatique, leur recherche de composition et de mouvement, ont séduit les jeunes artistes bien plus que la perfection classique de la Chambre de la Signature (1511). Dans la Chambre de Constantin, exécutée après la mort de Raphaël par ses collaborateurs sous la direction de Giulio Romano, l'équilibre de la Renaissance est définitivement abandonné. Qu'il s'agisse bien là des intentions profondes du maître nous est prouvé par ses dessins originaux et ses dernières œuvres, comme l'étonnante Transfiguration (Vatican), dont la composition, sur 2 registres séparés, et la mimique expressive des figures sont déjà maniéristes. C'est à Raphaël que l'on doit, aussi, le regain d'intérêt pour le décor antique, qu'il découvrit dans les ruines du Palatin comme directeur des fouilles de Rome. Toutes ces orientations ont été exploitées par ses élèves : aux Loges s'épanouit sous le pinceau agile de Giovanni da Udine le répertoire animé de grotesques de la Domus Aurea, tandis que la Farnesina ou la Stuffetta du cardinal Bibbiena imposent une vision heureuse de la mythologie. Perino del Vaga offrit à Florence un des manifestes du nouvel idéal de la " maniera " avec son carton pour le Martyre des Dix Mille ; artiste raffiné et élégant, ses créations à Rome (château Saint-Ange) et surtout à Gênes (palais Doria) diffusèrent le nouvel esprit du décor romain fait de stuc et de fresques, au programme iconographique complexe, tandis que Polidoro da Caravaggio s'illustrait dans le genre, alors à la mode, de la peinture des façades de palais et découvrait, à travers l'antique, le paysage (San Silvestro al Quirinale). Il devait, après le sac de Rome, dans son exil sicilien, donner une expression profondément dramatique aux tendances expressionnistes latentes dans les dernières œuvres de Raphaël. Mais c'est à Giulio Romano qu'il revint d'en tirer toutes les conséquences : à Mantoue, où il s'établit dès 1523, au Palais ducal et surtout au palais du Té, il fait alterner l'érotisme (Salle de Psyché), la grâce (Salle des Mois) et la violence (Salle des Géants) selon une iconographie liée à l'exaltation de la maison des Gonzague ; le système décoratif, d'une variété continuelle, unit le stuc à la fresque d'une manière toute nouvelle : le palais du Té est un des ensembles maniéristes les plus frappants et les plus précoces.

La Toscane

Le rôle privilégié joué par la Toscane dans la formation du Maniérisme est une des découvertes les plus remarquables des historiens du XXe s. Andrea del Sarto et son école ont été examinés, de ce point de vue, d'une façon tout à fait nouvelle : sur le chantier de l'Annunziata se formèrent autour d'Andrea les artistes les plus doués de la nouvelle génération, passionnés non seulement par Léonard, Michel-Ange et Raphaël, mais aussi par Donatello et Dürer. Ils puisèrent chez ces maîtres des audaces de composition, de dessin et de couleur qui les conduisirent encore plus loin que leurs prédécesseurs, Piero di Cosimo ou Filippino Lippi, dont, cependant, le langage formel et l'iconographie offraient, déjà, un frappant contraste avec l'art équilibré d'un Fra Bartolomeo, héritier à Florence de la tradition classique ; ils avaient ouvert le courant des " excentriques " florentins (Maître des Paysages Kress) ou les curieuses recherches graphiques du sculpteur B. Bandinelli. Cependant, le détachement du Classicisme, parce qu'il en était moins imprégné, fut sans doute plus aisé pour l'Espagnol Alonso Berruguete que pour les Florentins et fut aussi favorisé par l'expérience des chefs-d'œuvre romains de Michel-Ange et de Raphaël qu'il connut, avant eux. Le séjour de ce dernier à Florence (entre 1508 et 1516) fut donc important pour les jeunes peintres. Déjà Pontormo avait montré dans la décoration de la chambre nuptiale de Francesco Borgherini (Histoire de Joseph), face aux autres élèves d'Andrea del Sarto, de quelle manière on pouvait briser l'espace et exalter la puissance expressive des figures. Ses œuvres suivantes témoignent d'un subjectivisme de plus en plus désespéré (chartreuse de Galuzzo, après 1522), même dans le décor des villas médicéennes, où il se pare de grâce (Vertumne et Pomone, 1521, Poggio a Caiano). Cette tendance profonde pousse Pontormo vers un art irréaliste qui veut rivaliser sans espoir avec celui de Michel-Ange et l'enferme dans une solitude personnelle et artistique totale (chœur de S. Lorenzo). Au cours de sa fiévreuse enquête, Pontormo accumulait les dessins, qui tiennent une place essentielle dans la genèse de son œuvre et soulignent, d'ailleurs, le rôle remarquable que les artistes accordent désormais à ce moyen d'expression.

   L'originalité de Rosso s'affirma très vite avec un éclat de scandale (Assomption, 1517, Florence, S. Annunziata ; Madone et saints, Offices, 1518) et une volonté d'indépendance absolue qui, en dépit de ses emprunts aux Florentins (Fra Bartolomeo, mais surtout Andrea del Sarto) et de son culte pour Michel-Ange, font de lui un artiste sans maître. Les recherches de sa première manière florentine culminent dans l'étrange géométrie colorée de la Déposition de croix (1522, pin. de Volterra). C'est à Rome, au contact d'abord de Michel-Ange, de Raphaël, qui le désorientèrent, puis de Parmesan et de Perino del Vaga, que Rosso apprit l'idéal tout de grâce et de sophistication de la " maniera " (Christ mort, Boston, M. F. A.). Après 1527, poursuivant une vie errante et difficile, il laisse en Ombrie et en Toscane des œuvres étranges d'une profonde tristesse (Orfanelle, Borgo San Sepolcro), pleines de violence, aux couleurs dissonantes et au dessin aigu, déchiqueté. Enfin, en 1530, l'appel de François Ier lui permit de montrer, à Fontainebleau, qu'il était un des décorateurs les plus originaux et les plus importants de son temps.

   Le Siennois Domenico Beccafumi, décorateur profane (palais Bindi-Segardi, Palais public de Sienne) ou peintre sacré (Mariage de la Vierge, Christ aux limbes, Sienne, P. N.), peint un monde irréel et poétique dans une gamme de tons lumineux et lyriques, parfait exemple d'une " maniera " singulièrement suave et raffinée.

   Pontormo, Rosso et Beccafumi, par leur originalité créatrice dans le domaine de la composition, de l'expression, de la lumière et de la couleur, se distinguent nettement de la génération opérant à Florence dans la seconde moitié du XVIe s., où, sous l'impulsion des Médicis, va se développer un art de cour. Bronzino est un portraitiste intellectuel et brillant, d'une froideur et d'une élégance savamment calculées (Bartolomeo et Lucrezia Panciatichi, Offices), au dessin parfait (Déposition, musée de Besançon) et aux allégories complexes, qui reflètent l'idéal subtil des cours et des académies (Allégorie, Londres, N. G.). Cette génération compte aussi de grands décorateurs, comme Francesco Salviati. Les ensembles qu'il réalise à Rome (château Saint-Ange ; palais Ricchi-Saccheti) et à Florence (Palazzo Vecchio), avec leur organisation complexe sur plusieurs plans, encadrant des fresques héroïques ou charmantes (Histoire de Bethsabée), constituent un des exemples les plus représentatifs du décor maniériste.

   Les grands ensembles de Vasari, historiographe des peintres, homme à tout faire des Médicis, qu'il glorifia sans relâche, exerçant ses talents dans tous les domaines et influençant les nombreux collaborateurs qui le secondèrent dans ses multiples entreprises, jouèrent un rôle également exceptionnel. Dans les décorations du Palazzo Vecchio, Vasari adapte intelligemment toutes les ressources du vocabulaire ornemental de son temps (grotesques, sculptures feintes, natures mortes et paysages) pour servir d'écrin à des compositions qui sont parfois d'une fraîcheur et d'une grâce inattendues : sa réussite la plus achevée et la plus typiquement maniériste est le fameux studiolo de François Ier, sorte de musée du prince, auquel il travaille, à partir de 1570, avec ses élèves les plus doués (Poppi, Naldini, Allori, Santi di Tito, Maso da San Friano, Cavallori, Macchietti, Stradano et Jacopo Zucchi).