Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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Maulbertsch (Franz Anton)

Peintre autrichien (Langenargen 1724  – Vienne  1796).

C'est auprès de son père, à Langenargen, au bord du Léman, que Maulbertsch apprit les rudiments techniques de la peinture. Dès 1739, il va s'établir à Vienne pour y suivre les cours de l'Académie, où Van Schuppen enseignait la peinture de chevalet. Au contact de Paul Troger, qui avait longtemps séjourné en Italie, il découvre la peinture vénitienne (Piazzetta, Pittoni, Ricci), dont il exploite les données : le clair-obscur violent de Piazzetta, la composition pyramidante grâce aux marches sur lesquelles s'étagent les personnages (Remise des clés à saint Pierre, v. 1748-49, musée d'Opava) ; l'importance qu'il accorde à la couleur, partie intégrante de la composition de ses œuvres, constitue l'un de ses aspects baroques. Le Baptême de l'eunuque (v. 1750, Ermitage), avec son Oriental élancé et le visage du Maure se détachant de profil sur un linge blanc lumineux, révèle son goût pour des modèles rembranesques. Cette influence sera prédominante dans ses gravures, telle la Communion des apôtres (1765), où l'artiste déforme jusqu'à la caricature les visages de ces mystiques en extase.

   Avec le plafond peint sur toile représentant une Allégorie des quatre saisons (Kirchstetten, château Suttner), Maulbertsch réalise, v. 1750, sa première grande œuvre décorative, exemple de l'équilibre de sa maturité : la puissance des nus aux musculatures fortement accentuées, se référant aux peintres austro-italiens tels que Rottmayr, est tempérée par le pittoresque de la nature morte, inspiré par la peinture néerlandaise. L'atmosphère floue et mystérieuse dans laquelle baigne la Sainte Famille (1752-53, Vienne, Österr. Gal.) est coupée par le violent coup de lumière qui prête aux figures leurs formes fantastiques. Les visages sont caractérisés par des nez pointus, constitués par un triangle fortement éclairé.

   En 1752, le peintre est chargé d'exécuter son premier ensemble de fresques à l'église des Piaristes Maria Treu, à Vienne. La composition de la coupole centrale, figurant la Glorification de la Vierge avec les représentants de l'Ancienne et de la Nouvelle Loi, s'organise, dans les deux axes, autour de deux architectures et de deux masses de nuages. Les figures réparties sur les marches du pourtour perdent leur individualité et leurs contours pour se fondre dans l'harmonie des effets colorés, pastellisés et lumineux. Certains éléments, tels que la figure-repoussoir au premier plan, le cheval qui se cabre et le mouvement violent imprimé à l'ensemble, se retrouveront à travers toute son œuvre. Dans l'esquisse en grisaille (musée de Tours) pour l'Apothéose des Trinitaires (église de Trnava), il répartit largement les surfaces d'ombre et de lumière. L'Invention de la Croix (Heiligenkreuz-Gutenbrunn, voûte de l'église), aux couleurs légères, se développe dans un paysage incertain qui accroît le sentiment fantastique conféré par le déploiement de riches costumes orientaux et l'apparition d'un chevalier traité selon un audacieux raccourci.

   La décoration (voûtes et fresques du chœur) de l'église de Sümeg (Hongrie) constitue son chef-d'œuvre (1757-58). Les acteurs de la Crucifixion se meuvent dans un climat pathétique, où l'expression atteint à sa plus forte intensité. Seule la Vierge, au corps légèrement arqué, est figée dans une immobilité aussi rigide que la croix. La touche, nerveuse et fluide, juxtapose les tons pastel délicats, les harmonies très chaudes et la vibration éclatante du blanc et de l'outremer. Déjà à Heiligenkreuz se faisait sentir le rapprochement avec le rococo de l'Allemagne du Sud. La palette de Maulbertsch s'éclaircit, et le plafond de la résidence épiscopale de Kromeřˇıž (1759) marque l'apogée de son style lumineux. Quatre groupes de personnages se détachant aux angles sur un fond d'architecture plafonnante, ainsi qu'une apothéose s'élevant dans les cieux, au centre, sont chargés de retracer l'Histoire de l'évêché. L'ensemble est conçu picturalement comme une vision colorée où l'artiste se complaît à accumuler riches accessoires et costumes. Vers 1760, il obtint les effets les plus étourdissants dans la peinture de chevalet et surtout dans l'esquisse, tourbillonnante et lumineuse (Martyre de saint André, Vienne, Barockmuseum ; Assomption, id. ; Victoire de saint Jacques de Compostelle, id.). Le souci de clarté et de solidité se fait sentir dans le Baptême du Christ (1766-67, Vienne, ancienne université, salle de théologie) et se développera sans cesse à partir des années 1770. La lecture des fresques de la Hofburg d'Innsbruck (1775-76), en particulier les Allégories des ressources et de l'industrie du Tyrol, se fait plus aisément, aux dépens du mouvement et de l'expression. Chaque figure est traitée pour elle-même, et le pittoresque nuit à l'unité.

   Cette évolution, sous l'influence du Néo-Classicisme, se poursuit à l'église de Pápa (1782-83) : les architectures rythment les compositions symétriques, l'espace est complexe et articulé, les figures sont délimitées par leurs contours, la lumière unifie l'ensemble en supprimant les zones d'ombre, les couleurs sont froides et plus timides. Les peintures de chevalet gardent cependant en général leur dynamisme (Sainte Trinité, v. 1785-86, musée de Budapest), accentué parfois par les rehauts de petits accents nerveux à la manière de Rembrandt (Coriolan devant Rome, 1792-93, Stuttgart, Staatsgal.). Ce maître, italianisant à ses débuts, appartient à la dernière génération des peintres allemands baroques, dont il est le représentant le plus brillant. Pourtant, son œuvre manifeste à la fin de sa vie une tendance classique radicalement opposée à l'emportement et à la violence qui caractérisent la période de sa maturité. L'Autoportrait de l'année de sa mort (Vienne, Österr. Gal.) préfigure la peinture allemande et autrichienne des générations suivantes.

Maurer (Alfred Henry)

Peintre américain (New York 1868  – id.  1932).

Fils de Louis Maurer (1832-1932), peintre de genre qui fut aussi illustrateur pour Currier et Ives, il étudia brièvement avec Edgar Ward à la National Academy of Design et effectua un court passage à l'Académie Julian. Il résida de 1897 à 1914 à Paris, où il fut un témoin attentif des mouvements artistiques du début du siècle. Dès 1904, il abandonna courageusement un style brillant, dérivé de Whistler et qui lui avait apporté estime et même une certaine gloire (An Arrangement, 1901, New York, Whitney Museum, lui valut la médaille d'or du Carnegie Institute ; Evening at the Club, v. 1904, id.), pour adopter des formes plus exigeantes, qui montrent une compréhension de l'Impressionnisme, du Fauvisme (Flowers, 1912, id.) et du Cubisme.

   Il fréquentait alors régulièrement Leo et Gertrude Stein, qu'il connaissait depuis 1904. En 1909, Stieglitz organisa sa première exposition américaine, à la Galerie 291, en compagnie de John Marin. Il fut représenté à l'Armory Show. À cause de la guerre, Maurer fut obligé de rentrer aux États-Unis, où il ne connut aucun succès, malgré ses expositions successives à la Société des artistes indépendants. Dans les années 20, son style évolua vers une sorte d'expressionnisme, qui apparaît notamment dans la série des " Sad Girls " (Young Girl, 1922, Addison Gal. of American Art), commencée en 1919, et celle des " Sisters ", commencée en 1925. En raison de sa situation financière précaire, Maurer fut obligé de cohabiter avec son père, qui, vers la fin de sa longue vie (1832-1932), devint lui-même un artiste en renom. La tension qui existait entre lui et son père a souvent été proposée comme explication de ces étranges toiles où l'artiste a représenté deux visages affrontés (Two Heads, v. 1930, New York, Whitney Museum). Maurer mit fin à ses jours quelques semaines après la mort de son père.

   Il n'exerça pas d'influence proprement dite, mais sa présence, durant le premier tiers du siècle, sur la scène américaine a valeur de témoignage. Familier des tendances européennes, Maurer sut se dégager de celles-ci non seulement dans des toiles originales, mais aussi dans des collages tels que Still Life with Doily (1930, Washington, Phillips Coll.), qui proposaient d'autres solutions que celles qui étaient apportées par les cubistes en Europe.