tapisserie (suite)
Les lissiers flamands en Italie
Toutefois, la Réforme avait provoqué le départ de nombreux lissiers et leur dispersion dans plusieurs pays. Accueillis par des cours étrangères, ils y constituèrent des centres de tissage. Ainsi, des tapissiers flamands travaillèrent à Ferrare pour le duc d'Este ; citons, de la grande période de cet atelier, qui avait été actif dès 1436, les tapisseries d'après Battista Dossi (Berceaux de verdure avec termes, v. 1544, Paris, musée des Arts décoratifs ; les Métamorphoses d'Ovide, 1545, Louvre).
À Florence, les lissiers flamands (notamment Giovanni Rost et Nicolas Karcher) exécutèrent des tentures d'après des cartons de Bronzino et Pontormo (Histoire de Joseph, 1546-1553, Florence, Palazzo Vecchio ; Rome, palais du Quirinal), Bacchiacca (Grotesques, 1549 ; les Mois, 1552-1553, Florence, Soprintendenzaalle Gallerie), Salviati (Loth fuyant Sodome, Paris, Mobilier national ; le Banquet, château d'Oiron).
Bruxelles au XVIIe siècle
L'émigration des lissiers entraîna un certain déclin des ateliers bruxellois. Pourtant, ceux-ci s'illustrèrent encore avec éclat au XIIe s. grâce à Rubens, dont les somptueux cartons ne firent que consacrer la soumission de la tapisserie à la grande peinture : Histoire de Decius Mus (notamment à Bruxelles, M. R. B. A. ; peintures dans la coll. Liechtenstein à Vaduz), Apothéose de l'Eucharistie (1625-1626, première tenture expédiée en 1628 au couvent des Descalzas Reales à Madrid et toujours en place ; 2 cartons au musée de Valenciennes (dépôt du Louvre) ; esquisses notamment au Prado), Histoire d'Achille (v. 1630-1632, palais ducal de Vila Viçosa au Portugal et musée de Kassel ; esquisses notamment au B. V. B. de Rotterdam et modelli au musée de Pau).
Jordaens donna aussi de nombreux et superbes cartons, où il rivalise d'ampleur baroque avec Rubens : Histoire d'Alexandre le Grand (Milan, Palazzo Marino), Scènes de la vie des champs (Hardwicke Hall, Derbyshire et Vienne, K. M.), l'Éducation équestre (Vienne, K. M.), Proverbes flamands (Tarragone, museo diocesano ; cartons au Louvre) et l'Histoire de Charlemagne (Rome, palais du Quirinal ; cartons au Louvre).
Fontainebleau et Paris au XVIe siècle
Amateur de tapisseries, François Ier fit à Bruxelles de très importantes acquisitions de tentures (les Denys de Hieronyme, tapisseries d'après Hieronymus Bosch ; Actes des Apôtres, Histoire de Scipion, Mois Lucas). Cependant, vers 1540, le roi installa à Fontainebleau des lissiers parisiens qui réalisèrent le tissage de la tenture de la Galerie de François Ier (Vienne, K. M.). Il semble bien que cet atelier n'ait eu qu'une existence assez éphémère, suscitée seulement par la grande commande (peut-être destinée à Charles Quint) née de la volonté du souverain de faire reproduire fidèlement la galerie qu'il avait fait décorer à partir de 1534 au château de Fontainebleau par Rosso et Primatice. Les décorations de Primatice inspirèrent à Jean Cousin les bordures de l'Histoire de saint Mammès (Langres, Cathédrale ; Louvre), pour laquelle il fournit des cartons en 1544 à deux lissiers parisiens, Pierre Blasse II et Jacques Langlois.
Quelques années plus tard, en 1551, Henri II établit à Paris, rue Saint-Denis, un atelier dans l'hôpital de la Trinité. On lui a attribué, sans preuve, la tenture de l'Histoire de Diane (château d'Anet ; Rouen, musée départemental des Antiquités ; Metropolitan Museum) exécutée pour le château d'Anet entre 1550 et 1560, peut-être d'après Lucas Penni. Actuellement, seuls 2 fragments de la Vie du Christ d'après Lerambert (dessins à Paris, B. N.), commandée en 1584, une tête de Saint Pierre (Paris, musée de Cluny) et une tête de Christ (Paris, musée des Gobelins) peuvent être donnés avec certitude à cet atelier.
Des pièces à décor d'arabesques comme Cybèle et Flore (Paris, Mobilier national), probablement tissées à la Trinité, montrent l'influence exercée par le Livre des grotesques (1566) de Jacques Androuet Du Cerceau, qui offrit à l'art de la tapisserie une nouvelle source d'inspiration en « vulgarisant » les décors de Fontainebleau.
Les ateliers parisiens au XVIIe siècle
C'est à Henri IV que revient le mérite d'avoir organisé à Paris des manufactures de tapisseries. En 1597, un atelier est installé dans la maison professe des Jésuites, rue Saint-Antoine. Dirigé par Girard Laurent, à qui sera adjoint Maurice Dubout, qui venait de la Trinité, il sera bientôt transféré dans la galerie du Louvre (installation officielle en 1608). Une des premières réalisations de cet atelier fut l'Histoire de Diane (Paris, Mobilier national), en partie d'après des dessins (un au Louvre) de Toussaint Dubreuil, qui s'inspira des tapisseries d'Anet. Cette tenture sera aussi réalisée par les ateliers du faubourg Saint-Marcel, où s'étaient installés les Flamands appelés par le roi, Marc et Jérôme de Comans ainsi que François de La Planche ; ils y fondèrent le premier atelier des Gobelins. En 1633, le fils de François de La Planche s'installera faubourg Saint-Germain, rue de la Chaise. La production des ateliers parisiens fut importante et de haute qualité.
Nommé par Henri IV « peintre pour les tapisseries du Roi », Henri Lerambert est l'auteur des cartons (peints à l'huile ou dessins à grandeur d'exécution) des 2 célèbres tentures de l'Histoire d'Artémise d'après Antoine Caron et de l' Histoire de Coriolan, tissées vers 1600 par les ateliers du Louvres, puis par ceux du faubourg Saint-Marcel. Guillaume Dumée et Laurent Guyot succédèrent à Lerambert. Aux différents ateliers parisiens, qui exploitaient souvent les mêmes cartons, revient aussi le tissage de la tenture de Psyché (Paris, Mobilier national), exécutée d'après celle de Michiel Coxcie, réalisée à Bruxelles pour François Ier.
Désirant renouveler les modèles trop souvent répétés, Louis XIII commanda en 1622 l'Histoire de Constantin (Paris, Mobilier national) à Rubens. Le premier exemplaire (Philadelphie, Museum of Art) de la tenture, qui eut un succès considérable, fut offert par le roi au cardinal-légat Barberini en 1625. Ce dernier chargea un lissier français, Jacques de La Rivière, de diriger les ateliers romains, qui travaillèrent d'après les modèles de Pierre de Cortone, Poussin (Histoire de Scipion), Romanelli (Mystères de la vie et de la mort du Christ).
Le retour d'Italie en 1627 de Simon Vouet, retour voulu par le roi, qui désirait notamment donner à son peintre la « conduite des patrons de tapisserie », est une date importante. Comme Le Brun plus tard aux Gobelins, Vouet organisa un véritable atelier chargé de réaliser d'après ses dessins ou d'après ses tableaux des cartons de tapisseries : tenture de l'Ancien Testament (Paris, Mobilier national et Louvre), de Renaud et Armide (haras du Pin ou Monuments historiques). Pendant son séjour à Paris (1641-1642), Poussin reçut la commande, pour faire pendant à une tenture des Actes des Apôtres, d'une tenture des Sept Sacrements qui ne fut pas réalisée.
Après la mort de Simon Vouet, Philippe de Champaigne, Sébastien Bourdon, Eustache Le Sueur donnèrent les modèles (peintures au Louvre et au musée de Lyon) de la Tenture de saint Gervais et de saint Protais (coll. de la Ville de Paris).
Les manufactures royales : Gobelins, Beauvais
C'est en 1662 que Colbert décida de regrouper aux Gobelins les ateliers de haute et de basse lisse dispersés dans Paris, auxquels il ajouta celui créé par Nicolas Fouquet à Maincy. Il souhaitait développer une production artistique susceptible de concurrencer celle des États voisins. Ainsi, une volonté économique est-elle à l'origine du renouveau en France de la tapisserie.
Les Flandres, qui avaient occupé jusqu'au XVIIe s. une place prépondérante, la perdirent au profit des manufactures royales voulues par Louis XIV et Colbert, qui occupèrent dès lors le premier rang.
La manufacture espagnole de Santa Barbara
Il convient de signaler l'existence au XVIIIe s. en Espagne de la manufacture de Santa Barbara, dont la création est due aussi à un Bourbon, Philippe V. Des premières réalisations, il faut principalement citer les tentures commandées par le roi à Michel-Ange Houasse, Télémaque, et à Andrea Procaccini, Histoire de Don Quichotte. Après la disparition de ces deux artistes, la jeune manufacture connut une période de déclin. Au milieu du XVIIIe s., les ateliers reprirent vie. D'après Corrado Giaquinto, qui avait la direction des travaux comme l'aura, à partir de 1762, Raphaël Mengs, fut tissée la Vie de Salomon (1760). La célébrité de Santa Barbara fut assurée dans le dernier quart du XVIIIe s. par Goya, qui était entré à la manufacture en tant que peintre cartonnier. De 1774 à 1791, il peignit 45 toiles (Prado), destinées à servir de modèles de tapisseries pour la décoration des palais royaux. Elles représentent des scènes de la vie à Madrid (le Goûter, l'Ombrelle, Colin-Maillard, le Marchand de faïence ; Espagne, Patrimonio nacional).