Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
L

Lorenzo Veneziano

Peintre italien (Venise, documenté de 1357 à 1372).

Le Polyptyque Lion (Venise, Accademia), première œuvre datée (1357-1359) de Lorenzo Veneziano, montre un artiste déjà formé. On peut supposer que, avant cette réalisation, celui-ci travailla dans l'entourage de Paolo Veneziano (plusieurs œuvres ont été attribuées à cette première période non documentée) et qu'il fit un séjour à Vérone, v. 1350, où il laisse une fresque à Santa Anastasia et un Crucifix à San Zeno. En tout cas, on perçoit dans le Polyptyque Lion (l'Annonciation et de nombreux Saints sur deux registres) une tentative de s'évader des règles figuratives rigides, d'origine byzantine, héritées de Paolo Veneziano, moyennant une articulation formelle plus variée de tendance gothique et un anticonformisme expressif déjà fort conscient de certains mouvements européens et du réalisme bolonais. Ces efforts courageux permettent de voir en Lorenzo un innovateur de la peinture vénitienne de la seconde moitié du trecento. La tentative de rupture avec l'art byzantin est évidente dans le Mariage mystique de sainte Catherine (1359, Venise, Accademia), aux rythmes sinueux, aux couleurs plus claires et animé d'une sensibilité naturaliste rappelant Tommaso da Modena ; elle est moins décidée dans le polyptyque (Dormition de la Vierge et Saints) du dôme de Vicence (1366), qui garde la présentation générale et certains éléments stylistiques de goût oriental, et limite ses aspirations modernes à de grêles préciosités linéaires gothiques. Cette attitude linguistique, imprégnée de velléités gothiques, mais aux modes encore byzantins, s'accentue dans le polyptyque démembré, comprenant, au centre, la Remise des clés à saint Pierre (1370, Venise, musée Correr) et, aux côtés, quatre Saints, conservés à Berlin. Cependant, la prédelle, brillante, également à Berlin (Scènes de la vie de saint Pierre et de saint Paul), qu'animent une fraîcheur narrative et un sens de l'observation aigu de la nature, révèle une sensibilité nouvelle et originale ; témoignant de l'assimilation d'une culture de type continental, elle souligne aussi les liens étroits avec le milieu bolonais et confirme la présence de Lorenzo à Bologne. On sait d'ailleurs qu'en 1368 il avait peint pour l'église S. Giacomo, à Bologne, un Polyptyque, auj. démembré (2 panneaux à la P. N. de Bologne). Dans le Polyptyque de l'Annonciation de 1371 (Venise, Accademia), les personnages, d'une densité corporelle plus consistante, sont placés sur un pré fleuri annonciateur des " mille-fleurs " précieux du Gothique international. Une majesté nouvelle et vigoureuse et un esprit narratif plus fantastique se manifestent dans le triptyque, reconstitué par R. Longhi, avec la Résurrection du Christ (Milan, Castello Sforzesco), le Saint Pierre (1371) et le Saint Marc de l'Accademia de Venise.

   Dans la dernière période de son activité, Lorenzo abandonne ses anciens intérêts et se limite à la recherche d'élégances subtilement gracieuses, auxquelles il se complaît particulièrement dans la Vierge et l'Enfant Jésus, centre d'un polyptyque démembré (1372, Louvre) ; son " gothicisme " atteint alors, dans les images douces et raffinées ainsi que dans de nouveaux caprices architectoniques, une tension originale. Dans le Polyptyque de S. Maria della Celestia (Brera) avec la Vierge et l'Enfant avec des anges entourés de huit Saints, ce " gothicisme " se complique d'ajours et de pinacles, composant ainsi, avec les petits personnages malicieux, un ensemble décoratif infiniment précieux. Avec cette dernière œuvre, le style de Lorenzo Veneziano atteint une dimension gothique déjà imprégnée d'esprit " courtois " qui, en concluant la carrière du peintre, ouvre à Venise le nouveau chapitre du Gothique international.

Lorme (Anthonie de)
ou Anthonie de Delorme

Peintre néerlandais (Tournai v.  1610  – Rotterdam  1673).

Déjà mentionné à Rotterdam, en 1627, comme élève du peintre d'architecture Van Vucht, il s'y marie en 1647 et travaille passagèrement à Delft et à Anvers. Ses premiers tableaux datés ne remontent qu'à 1640. Petit maître d'envergure modeste, spécialisé dans la peinture d'église, Lorme répète inlassablement les mêmes motifs, avec une précision sèche et un coloris froid, presque neutre, qui laisse parler les lignes de la perspective. Dans une première partie de sa carrière, il reste fidèle à la manière encore archaïque de Van Vucht et de Steenwyck, affectionnant des intérieurs d'églises imaginaires de style Renaissance tardif, avec des effets d'éclairage artificiel (1641, Kunsthalle de Hambourg, musée de Schwerin ; 1652, musée de Rennes). Puis, dans les années 1650, il se met soudain à la mode nouvelle, décrit des églises réelles avec le seul éclairage du jour et cherche de plus en plus à creuser l'espace et à suggérer des perspectives vraisemblables et bien construites. Son exécution, sa manière et son coloris tendent alors à devenir extrêmement propres et clairs, sinon froids. L'un de ses motifs favoris est l'église Saint-Laurent de Rotterdam, ce que remarquait déjà le voyageur français Monconys, de passage à Rotterdam en 1663 : " Il ne fait que l'église de Rotterdam en diverses vues, mais il les fait bien " (2 exemples, 1655 et 1669, Rotterdam, B. V. B. ; d'autres en 1658 à Schwerin, en 1667 à Grenoble et en 1669 à Lille).

Lorrain (Claude Gellée ou Gelée, dit Claude)

  • Claude Lorrain, Port de mer au soleil couchant

 Peintre français (Chamagne, diocèse de Toul, 1600  – Rome 1682).

Orphelin très jeune, il se rendit à Rome, entre 1612 et 1620, où il fut le domestique puis l'élève d'Agostino Tassi, dont il adopta entièrement la manière. Deux autres sources d'inspiration furent moins décisives : un séjour de deux ans à Naples auprès de Gottfried Wals de Cologne, dont aucun tableau ne nous est connu, et un séjour d'un an à Nancy (1625-26) comme assistant de Deruet. Ses débuts se perdent dans l'anonymat de l'école de Tassi, elle-même héritière de l'art de Bril et de celui d'Elsheimer. L'Allemand Sandrart engagea Claude (comme les Britanniques le nomment) à dessiner en plein air, le Néerlandais Breenbergh doit avoir influencé son graphisme et il fut en relation avec Swanevelt. De 1620 à 1630 env., Claude imita son maître romain dans le travail à fresque, dont il ne subsiste qu'une décoration au palais Crescenzi. Il ne quitta plus Rome que pour faire d'assez brèves excursions en campagne. Son existence et son développement artistique ne sont marqués d'aucun événement saillant. Il ne se maria pas, mais vécut pendant vingt ans avec un " garzone ", Desiderii, puis jusqu'à sa mort avec sa fille naturelle Agnese et avec ses deux neveux. Peu après 1630, des commandes du cardinal Bentivoglio et du pape Urbain VIII assurèrent son succès, qui ne cessa de croître. Gellée travailla surtout pour les plus illustres dignitaires romains — papes, princes et cardinaux —, mais aussi pour des ambassadeurs, de grands Français et pour la noblesse étrangère. Les deux acheteurs principaux furent, vers 1638, le roi d'Espagne, puis, après 1663, le prince Colonna.

   La production de l'artiste ne peut être saisie qu'à partir de 1629. Dans la première phase, on distingue de petits cuivres très fins dans la tradition d'Elsheimer (coll. des ducs de Westminster et de Rutland), des paysages sur toile d'une facture d'abord plus grossière avec des figures de genre ou pastorales à la manière de Bamboche (1629, Philadelphie, Museum of Art ; 1630, musée de Cleveland) et des ports de mer. Ces œuvres sont caractérisées par l'emploi de motifs pittoresques (arbres brisés, cascades, caprices architecturaux), souvent par une composition en diagonale et par des effets de couchers de soleil ; les tableaux principaux sont alors Céphale et Procris (détruit, autref. à Berlin) et deux séries de paysages à sujets religieux, au Prado. Vers 1640, on constate l'influence du paysage classique d'Annibal Carrache et de Dominiquin dans la composition plus solide et l'atmosphère plus sereine. Les tableaux sont plus grands, les sujets souvent religieux, parfois classiques : le Moulin et la Reine de Saba (Londres, N. G.), le Temple de Delphes (Rome, Gal. Doria Pamphili). Dans les années 50, époque de la maturité la plus féconde de l'artiste, un style monumental se décèle tant dans l'importance du format, la sévérité de la composition que dans le choix du sujet, souvent tiré de l'Ancien Testament : le Parnasse (Édimbourg, N. G.), l'Adoration du veau d'or (musée de Karlsruhe), Laban (Petworth House), le Sermon sur la montagne (New York, Frick Coll.), Esther (détruit). Si cette phase peut être qualifiée d'héroïque, les deux dernières décennies de l'artiste, qui marquent l'aboutissement suprême de sa carrière, sont plus classiques, voire antiquisantes. Les tableaux restent grandioses dans leur conception, mais deviennent plus lyriques dans le sentiment, plus délicats dans le détail (Paysage avec Psyché, 1664, Londres, N. G.). Les compositions sont nouvelles et audacieuses ; l'artiste tire ses sujets de préférence de l'Énéide, faisant parfois allusion à la famille ou à la vie de l'acheteur, et allonge le canon des figures : les 4 Heures du jour (Ermitage), l'Oracle de Milète et le Débarquement d'Énée (coll. lord Fairhaven), Égérie (Naples, Capodimonte), le Parnasse (Jacksonville, États-Unis), la Chasse d'Ascagne (Oxford, Ashmolean Museum).

   Représentant par excellence du paysage classique, l'art de Lorrain offre une conception idéalisée : à quelques exceptions près, les sites de ses tableaux sont toujours imaginaires. La composition comprend, selon les dimensions de la toile, des plans et des éléments plus ou moins nombreux (groupes d'arbres, édifices). Elle s'inscrit dans une ordonnance orthogonale et dans la symétrie de simples proportions mathématiques (tiers, quarts de la largeur et de la hauteur). Presque toutes les œuvres de Gellée sont exécutées par paires, illustrent le même thème, ont les mêmes proportions intérieures, mais sont contrastées dans la composition, l'atmosphère et l'heure. Le sujet décide du mode particulier de chaque composition comme des espèces, de la disposition des arbres et même du style des édifices. La lumière venant de gauche, froide, indique le matin ; celle qui vient de droite, avec ses couchers de soleil chauds, le soir. Le secret de l'art de Gellée réside dans l'évocation de la profondeur de l'espace, due autant à l'observation du paysage romain qu'à l'étude de la lumière et de l'atmosphère. L'artiste participe ainsi aux courants principaux de la peinture de son siècle par son luminisme, la profondeur de l'espace, l'étude réaliste de la nature et en même temps par la représentation idéalisée.

   Avec plus de 1 200 dessins connus, tous très poussés, Lorrain se révèle l'un des plus grands dessinateurs de tous les temps. L'inventaire après son décès mentionne une douzaine d'albums, dont probablement l'album Wildenstein, qui contient 60 dessins illustrant toute sa carrière, attestant l'influence de Tassi et de Deruet dans les années 20, de Breenbergh v. 1630 et atteignant une maîtrise complète dès 1633.

   La technique la plus courante de Claude Gellée est le dessin à la plume et au lavis, sur une esquisse rapide à la pierre noire. Mais ce sont les dessins au lavis pur, technique par excellence des études de nature v. 1635-1645, qui ont toujours suscité la plus vive admiration. Pour les dessins composés, l'artiste emploie souvent des papiers teintés, notamment en bleu. On peut, en effet, distinguer deux groupes principaux de dessins : les études d'après nature faites sur le motif, nombreuses dans les premières années, et les compositions faites en atelier, qui caractérisent l'évolution ultérieure de l'artiste. Mais qu'ils soient exécutés sur le motif ou dans l'atelier, tous ses dessins témoignent d'un même souci de structuration et d'effet pictural, et constituent donc des œuvres achevées. Les esquisses rapides sont très rares chez Claude. Les feuilles préparatoires pour les tableaux deviennent avec l'âge de plus en plus fréquentes. On en compte jusqu'à 10 par œuvre. Aux études d'ensemble s'ajoutent des études de figures pour les principales toiles des années 1645-1678.

   Un certain nombre de dessins originaux, très travaillés, sans rapport avec les compositions connues, forment une catégorie particulière dans la production tardive de l'artiste.

   Dès 1636, Lorrain copia systématiquement ses tableaux par ordre chronologique dans un volume de 200 feuilles, le Liber veritatis (British Museum, qui possède plus de 500 dessins de Claude). Cet ensemble fut gravé à deux reprises par R. Earlom dans les années 1770, puis par L. Caracciolo (1815). Claude Gellée fit une quarantaine de gravures pastorales, la plupart avant 1642. Ces plaques gravées ne sont pas des œuvres originales, mais sont au contraire en liaison étroite avec des tableaux connus. Elles reflètent l'influence d'Elsheimer, de Pieter Van Laer et peut-être de Gottfried Wals, et semblent un témoignage des rapports de l'artiste avec les paysagistes hollandais à Rome dans les années 30.