Millet (Jean-François) (suite)
Pastels et paysages après 1860
On constate plusieurs changements importants après 1860. D'abord presque exclusivement peintre de figures, Millet se tourne, de plus en plus, vers le paysage, en partie grâce à son long compagnonnage avec Théodore Rousseau, qui était avec lui le chef de file de l'école de Barbizon. Les paysages peints par Millet représentent les vastes terres cultivées près de Barbizon (l'Hiver aux corbeaux, 1862, Vienne, K. M.) et plus souvent les villages et les collines couvertes de pâturages sur le littoral de son Cotentin natal (Hameau Cousin, musée de Reims ; l'Église de Gréville, 1871-1874, Paris, musée d'Orsay), tableaux dont la perspective impressionnante et la densité spirituelle impliquent la présence de l'homme et son étroite communion avec la nature. Des séjours de l'artiste à Vichy, de 1866 à 1868, datent ses petits dessins de paysages les plus connus, exécutés à l'encre et à l'aquarelle, merveille de sensibilité évocatrice. Un autre aspect du changement des années 60 consiste dans la production de grands pastels. À partir de 1865 env., Millet réalisa dans cette technique de très beaux paysages et des études de paysans, que beaucoup regardent comme le sommet de son art (Boston, M. F. A.) et qui illustrent ses dons exceptionnels de dessinateur. Sur un dessin préliminaire à la craie noire, il pose les couleurs en accents séparés qui leur permettent de garder leur autonomie (annonçant ainsi Van Gogh), tandis que les blancs construisent des formes denses et synthétiques.
Les dernières années et l'héritage de Millet
Les pastels de Millet correspondent aussi à une période de succès dans sa vie, grâce à des achats réguliers qui le libérèrent des conditions difficiles de ses débuts. La Légion d'honneur, en 1868, consacre une reconnaissance officielle. Il passe à Cherbourg la période de la guerre franco-prussienne et de la Commune, brossant quelques-uns de ses plus beaux paysages. Au cours de ses dernières années à Barbizon, son activité embrassa toutes les techniques. Il exécuta alors des paysages d'un violent lyrisme (le Coup de vent, musée de Cardiff), l'étonnant nocturne de la Chasse aux oiseaux (1874, Philadelphie, Museum of Art) et l'admirable suite des Quatre Saisons (le Printemps, Paris, musée d'Orsay ; l'Automne, Metropolitan Museum ; l'Été, M. F. A. de Boston ; l'Hiver, les bûcheronnes, musée de Cardiff). Sa santé l'empêcha d'accepter la commande d'une peinture décorative au Panthéon en 1874, et il mourut quelques mois plus tard à Barbizon.
Millet, sa vie durant, puisa son inspiration dans Virgile, La Fontaine et la Bible et l'exprima dans une nostalgie orgueilleuse du terroir en des formes qui transposaient les pulsions créatrices issues du passé, émanant à la fois du Classicisme français et de la tradition des Pays-Bas, particulièrement celle de Bruegel. Son rôle fut de transmettre ce flux créateur à Pissarro, à Van Gogh, à Seurat, à Léger, matérialisé dans des formes qui révèlent sa dette envers l'histoire et la morale, mais surtout la puissance et l'harmonie d'un des plus grands talents de peintre du XIXe s.